Université Charles-de-Gaulle – Lille III Ecole doctorale "Sciences de l’Homme e

Université Charles-de-Gaulle – Lille III Ecole doctorale "Sciences de l’Homme et de la Société" Centre d’Etude des Arts contemporains EA 3587 JEUX CHAMANIQUES, JEUX MARIONNETTIQUES : AUX SOURCES D’UNE CULTURE THEÂTRALE Sous la direction de Monsieur Claude Jamain Alain GUILLEMIN Le 3 décembre 2012 THESE DE DOCTORAT Discipline : ARTS Jury : Madame Simone Blazy Madame Gisèle Krauskopff Monsieur Amos Fergombe Monsieur Claude Jamain Monsieur François Lazaro Monsieur Martial Poirson Remerciements Je remercie Monsieur Claude Jamain pour sa direction chaleureuse et le soutien qu'il m'a apporté durant ces dernières années, Andrée Leroux- Caudoux, Sylvie Priem , Agnès Chamley et Gérald Ryckeboer. 1 INTRODUCTION Les définitions de la marionnette vue comme un jeu d'enfant, alors qu'elle est porteuse de nombreux mythes liés à la mort ou à la régénérescence et la sexualité, sont confrontées à une situation paradoxale. Presque mort au début du XXe siècle, le pantin de bois réapparaît à la suite de la guerre dans son rapport à la mort, à la prothèse, aux membres artificiels Venue de l'inframonde, la marionnette revient dans les esprits au moment des massacres de la "grande guerre". Cette image même appartient de plein droit à la culture shamanique. Une réflexion s'impose, à défaut de dogme ou de clergé organisé à propos de la réalité traduite par le mot "shamanisme". Je préférerais parler de culture des shamans. La marionnette, phénomène contradictoire, paradoxal, multiforme, doit pouvoir trouver une définition suffisamment ouverte, même si les cultures de ceux qui pratiquent cet art, sont difficiles à appréhender. L'idée de la relation entre la culture des shamans et la culture des montreurs de marionnettes me semble, dans leurs rapports aux mythes et aux rites, pouvoir constituer un "théorème" capable de mettre en relation des faits épars. Cette formule est empruntée à Georges Dumézil qui considère sa vision linguistique d'un ensemble indo-européen comme un "théorème", un instrument destiné à établir un rapport entre des éléments dispersés. Une première approche permettra de réfléchir à des définitions de la marionnette et à de premières tentatives d'application à un texte de Lemercier de Neuville désignant la main comme un être pensant et au film étrange, Dans la peau de John Malkovich. 2 Paradoxale, la marionnette ne répond jamais à la définition, souvent fausse et parcellaire, qu'on en donne. On la sent simple, fruste, proche, presque complice. Pourtant, elle est toujours l'Autre, un Autre qui joue la vie ou plus exactement feint la vie. C’ est sur cette question du jeu marionnettique que me suis penché : qu’ est-ce que jouer, en ce cas, et, surtout, comment le principe de vie, l’ illusion que le manipulateur installe dans la figure se produisent-ils ? On sait que, dans certaines régions du monde, un objet que l’ on va chercher dans le domaine des esprits peut se charger d’ une vie et se mettre à parler d’ un ailleurs inquiétant qui est le lieu de la mort, de la violence en même temps que de l’ inconnu1. La figure, autrement dit, l'ombre, la représentation symbolique sans recherche de réalisme est un accompagnateur, mais aussi le moyen d’ agir à partir de ce monde-ci sur l’ autre. Par exemple, avant de désigner les marionnettes à fils, le mot chinois kuilei désignait des statues articulées, les "gardiens de tombes", qui accompagnaient l’ empereur dans la mort ; sans doute ces statues remplaçaient-elle les serviteurs et les soldats que primitivement, on enterrait vifs. En Indonésie, après l’ horrible attentat de Bali, en 2003, un montreur d’ ombres joue l'Origine de Kala. Le dalang, le montreur de marionnettes, ne fera pas un discours pour condamner les terroristes. Kala, capable de dévorer tout être humain, avatar négatif d'un dieu bénéfique, devra mourir et renaître sous sa forme positive. Le public devra, dans ce rite, se purifier et chasser la violence qui l'habite. Les "forces du mal" ne se trouvent pas seulement chez l'Autre. La mort et la régénérescence s'inscrivent en chacun. Kala, avatar d’ un dieu bénéfique est aussi présent dans tous ceux qui participent à ce rituel. Le dalang, les marionnettes, les participants devront expulser toutes ces forces maléfiques pour que de Kala, mort, la vie renaisse dans une forme divine bénéfique. C'est, en effet, en Chine, en l'Asie de Sud Est, en Afrique que cette relation au culte des morts, le lien entre une forme de théâtre et 1 Une mort qui a tendance, en Afrique, en Chine, en Asie du Sud Est, à ricaner lorsqu’ un mannequin, une effigie représentant un défunt et habillant son cadavre seront accompagnés, dans une ambiance joyeuse, du village à la tombe. 3 des rituels funéraires, les récits mythiques liant les origines d'un art aux secrets de l'inframonde sont le mieux documentés et que de nombreux faits amènent à tenter une mise en relation des données. Celui qui manipule un objet ou une figure pour agir est le plus souvent nommé shaman. L'idée shamanique du voyage dans le monde des esprits, de la possibilité de faire venir leur présence parmi nous, de "jouer" avec eux a posé, au départ, un problème d'interprétation. Peut-on donner vie à une figure anthropomorphe ou zoomorphe sans se prendre pour dieu? N'y a-t-il pas là une grave transgression ? Les cultures européennes ont éprouvé un sentiment d’ inquiétude devant l’ apparence insolite des figures et l’ absence de réalisme, et ont généralement renvoyé l’ Autre dans son domaine. On a désiré que les figures soient de petits êtres drôles, souriants, ne faisant pas pleurer les enfants et s’ il doit y avoir un rapport à l’ Afrique, que ce soit le "Nègre Banania" du castelet. Les petites marionnettes, charmants personnages qui semblent faire rêver les enfants, par de petites saynètes, font rire garçonnets et fillettes. Les cultures européennes semblent avoir écarté la relation entre le théâtre d'acteurs ou de marionnettes et le monde des esprits ou des morts qui n’ aurait seulement existé que dans "la nuit des temps"? Lorsque, en Europe, au début du XXe siècle, les marionnettes sont devenues une distraction pour les enfants, à ce moment, alors que la puissance industrielle, la foi dans le progrès, la confiance en elle-même que la culture dominante affirme, atteignent des sommets, lorsque le monde est partagé et colonisé, la guerre éclate. Les forces productives, les machines et les hommes s’ affrontent. Tout bascule et les machines de guerre broient la chair à canon. Blaise Cendrars2 a chanté le monde moderne, la vitesse, le transsibérien, la tour Eiffel, symbole vivant du monde nouveau qui l'émerveille. Mais il a aussi décrit les rites de mort des champs de 2 Blaise Cendrars raconte cette histoire : autour du cortège funèbre de Guillaume Apollinaire, la foule chante encore le refrain vengeur contre le monarque prussien, autre Guillaume : "Ah il fallait pas, il fallait pas qu’ tu y ailles ! Ah il fallait pas, il fallait pas y aller ! " La mort ricane. Blaise CENDRARS, Blaise Cendrars vous parle , (Propos recueillis par Michel Manoll) Oeuvres complètes, tome 13, Club français du livre, 1971, p.175. 4 bataille, des membres coupés, des "gueules cassées", des prothèses et l’ on pourrait dire qu’ il a été particulièrement sensible à l’ altération de la figure qui, elle aussi, se trouve atrophiée, diminuée. Dans leurs relations à la machine, et plus encore, dans la guerre, face aux armes modernes, les êtres vivants ont quelque chose de fantoches, de pantins, de mannequins, ce qui parfois fait rire. Cendrars participe d’ une démarche esthétique qui vise à réduire le corps vivant de l'acteur, jusque là chargé de tous les signes des émotions et des passions, au moment où l'on s’ en prend à l’ acteur de théâtre et à son envahissant ego et où l’ industrie cinématographique a confisqué le public et écarté la marionnette3. Frédéric Sauser évoquera, en 1911, la spiritualité de la main avant d’ écrire et de publier dans Die Action4 sous le nom de Blaise Cendrars, un aboutissement de son idée pour un spectacle de forme rituelle, un Théâtre des mains, une "mani-festation" A la guerre, sur le théâtre des opérations, il laissera une main5. Il convient de donner un sens précis au mot "rite" qui comprend, à la fois, l'idée de la forme d'une cérémonie religieuse et celle de l'usage ou de la coutume dans une acception plus laïque. Forme codifiée cérémonielle, religieuse ou sociale, le rite peut s'inscrire dans la perfection formelle de la pratique confucéenne, ou briller par la liberté créative du shaman- artiste. Le supplément d'âme d'un rite vivant implique la croyance partagée en un mythe fondateur que chaque cérémonie actualise et renouvelle. En un mot, le rite trouve sa force dans sa source si elle reste toujours vive. De toutes ces morts effectives ou seulement souhaitées, va surgir la "Sur-marionnette", l’ effigie, la forme, la sculpture animée, en un mot, la marionnette qui ressent le besoin de quitter son petit nom pour tenter de se donner plus grande figure que l’ acteur. Dans le contexte du machinisme, en réaction à la présence charnelle 3 Dans un monde uploads/Societe et culture/ jeux-chamaniques.pdf

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