social compass https://doi.org/10.1177/0037768619833311 Social Compass 2019, Vo
social compass https://doi.org/10.1177/0037768619833311 Social Compass 2019, Vol. 66(2) 198 –210 © The Author(s) 2019 Article reuse guidelines: sagepub.com/journals-permissions DOI: 10.1177/0037768619833311 journals.sagepub.com/home/scp Régler l’heure de religion : l’enseignement de la religion catholique comme dispositif administratif entre les écoles publiques italiennes et l’Église catholique Guillaume SILHOL Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence, France Résumé Cet article aborde l’enseignement de la religion catholique dans les écoles publiques italiennes dans une perspective de sociologie politique. « L’heure de religion » opère comme un dispositif qui ne s’arrête pas aux salles de classe, mais qui implique des pratiques de contrôle mêlant les écoles de l’État et les administrations diocésaines. L’administration scolaire de ce dispositif donne lieu à des négociations pratiques entre les enseignants et le personnel, liées à sa légitimation comme discipline de « culture religieuse ». Toutefois, la rationalisation bureaucratique se produit également dans les diocèses, dans la gestion des ressources humaines et le contrôle ponctuel des « témoignages » de foi des enseignants. L’enseignement de la religion catholique apparaît alors comme un cas de régulation informelle et hybride du religieux dans les « zones grises » des institutions de l’État. Mots-clés bureaucratie, division du travail religieux, institution, professionnalisation, régime de vérité Abstract This article deals with Catholic religious education in Italian State schools from a political-sociology perspective. The ‘hour of religion’ works as an arrangement, not Corresponding author: Guillaume Silhol, CHERPA, IEP d’Aix-en-Provence 25, rue Gaston de Saporta 13100 Aix-en-Provence, France. Email: guillaume.silhol12@gmail.com 833311 SCP0010.1177/0037768619833311Social CompassSilhol : L’enseignement de la religion catholique en Italie research-article2019 Article Silhol : L’enseignement de la religion catholique en Italie 199 limited to classrooms, that involves practices of control across State schools and ecclesiastic administrative bodies. The school’s management of this arrangement leads to practical negotiations between teachers and personnel, related to its legitimization as a subject of ‘religious culture’. However, bureaucratic rationalization also occurs in Church dioceses, through the management of human resources and periodic checks of teachers’ ‘proofs’ of faith. Catholic religious education appears then as a case study of the informal, hybrid regulation of religion in the ‘grey areas’ of State institutions. Keywords bureaucracy, division of religious labor, institution, professionalization, regime of truth La religion à l’école et ses à-côtés En sciences sociales contemporaines, les recherches sur les enseignements religieux sont souvent menées dans l’optique d’étudier la transmission pédagogique. Il est alors question d’analyser des curricula, d’observer des leçons ou d’interroger des élèves par questionnaires, pour décrire un enseignement dans (teaching into religion), à partir (teaching from religion) ou à propos de la religion (teaching about religion) (Jackson, 2007). Cette typologie classique fait de l’enseignement de la religion catholique (insegnamento della religione cattolica, désormais IRC) en Italie un cas paradoxal d’enseignement « dans la religion », non obligatoire, administré par les diocèses et la Conférence épiscopale italienne (CEI), avec un quasi-monopole dans des écoles italiennes à plus de 90% publiques et laïques. Ces caractéristiques donnent souvent lieu à des positionnements militants dans la production savante. En effet, dans les controverses actuelles, l’IRC est régulièrement critiqué par des journalistes, des universitaires, des militants laïques ou des intellectuels catholiques progressistes comme une matière « faible » (Canta, 1999 : 9), inefficace contre « l’analphabétisme religieux » des jeunes (Giorda et Saggioro, 2011 : 56–59 ; Melloni, 2014). Inversement, d’autres acteurs, notamment ecclésiastiques ou politiques, justifient sa présence à l’école sur les registres de l’ouverture au transcendant ou d’une « culture religieuse » historiquement imprégnée par le catholicisme. En s’écartant de jugements de valeur sur ce que les écoles devraient enseigner, il est certes possible d’enquêter sur la perception de l’IRC par les élèves et sur la fabrique des identités religieuses (Frisina, 2011), mais ce n’est pas la seule option. Le gouvernement du religieux en pratiques dans les écoles constitue une autre entrée heuristique. Avec une sécularisation contestée et un pluralisme religieux atypique, largement postérieur aux années 1980, l’Italie est souvent présentée comme une exception européenne. Le déclin des associations catholiques et la dissolution de la Démocratie Chrétienne, parti au pouvoir de 1948 à 1992, ont laissé place à une recomposition des institutions catholiques autour de la CEI. Au-delà des fonctions pastorales, celle-ci peut opérer en groupe d’intérêt représentant l’Église italienne et travaille à contenir une dispersion politique et culturelle des catholiques italiens (Garelli, 2013). L’extension de ses domaines d’intervention est également consécutive à la mise en œuvre de l’accord de révision du Concordat, signé le 18 février 1984 par le Président du Conseil Bettino Craxi et le cardinal secrétaire d’État du Vatican Agostino Casaroli (Ventura, 2014). Cet accord 200 Social Compass 66(2) justifie l’IRC, dont les programmes et les normes professionnelles sont établis par accord entre la CEI et le Ministère de l’Instruction, selon « la valeur de la culture religieuse » et l’idée que « les principes du catholicisme font partie du patrimoine historique du peuple italien » (article 9.2). Ces dispositions rompent également avec le caractère obligatoire de la matière, auparavant définie comme « fondement et couronnement de l’Instruction publique » dans la loi Gentile de 1923. Dès la mise en œuvre de la réforme en 1986, des luttes politiques portent sur la définition d’une heure alternative à l’IRC pour les élèves non-inscrits (Butturini, 1987 : 187–232). Ces conflits conduisent à deux décisions de la Cour constitutionnelle, en 1989 et en 1991, qui officialisent le statut non-obligatoire de l’heure alternative, comme de la présence dans l’édifice pendant l’heure de religion, pour des élèves qui ne sont inscrits ni à l’IRC ni à l’heure alternative. En pratique, la judiciarisation a surtout abouti à déléguer aux directions d’établissements la gestion des conflits sur l’organisation de l’IRC. Il s’agit donc d’un secteur où l’informalité cohabite avec quelques règles explicites. Dans ces conditions, comment s’opèrent les pratiques de contrôle de l’IRC, en tant que dispositif intermédiaire entre les diocèses et les bureaucraties scolaires ? En quoi consiste l’administration d’un discours de vérité religieuse dans des écoles ? Cet article s’appuie sur une enquête qualitative sur l’organisation de l’IRC, menée en 2016 et 2017 dans le Piémont et le Latium, par le biais d’entretiens et d’une quarantaine d’heures d’observations, dans des sessions de formation professionnelles et syndicales, et lors de cours de quatre enseignants dans deux lycées piémontais. Des entretiens approfondis de type récit de vie ont été menés avec 25 enseignants et ex-enseignants d’IRC, principalement dans le Piémont. S’y ajoutent des entretiens avec des administrateurs diocésains, des experts en pédagogie et des responsables syndicaux. Sans prétendre à une représentativité de l’IRC à tous les niveaux scolaires, ce corpus permet de restituer des relations contextualisées. Des précisions sur le cadre théorique en sociologie politique précèdent le développement. Ensuite, dans la première partie, l’analyse part de la routinisation de l’IRC et des relations internes aux écoles. Les pratiques de gestion bureaucratique dans les diocèses sont étudiées dans la deuxième partie comme des manières de contrôler l’IRC et ses opérateurs dans le régime de vérité ecclésial. La troisième partie traite des renégociations pratiques des enseignants sur leur double appartenance à l’école et à l’Église catholique, comme des professionnels du témoignage. L’institution religieuse, vue de l’école Les recherches sur les enseignements religieux, lorsqu’elles sont centrées sur les normes juridiques ou les discours isolés des pratiques, présentent souvent trois problèmes. Premièrement, elles projettent souvent une causalité directe entre la diversification des appartenances religieuses, qui contribuerait à la sécularisation, et les réformes des programmes scolaires. Or, les études réalisées sur ces réformes montrent davantage d’hésitations, de conflits et de compromis entre des intérêts hétérogènes, dont ceux des bureaucraties éducatives (Mayrl, 2011 ; Reeh, 2013). Deuxièmement, la perspective de la sécularisation interne du catholicisme, reflétée dans une « éthicisation » du message religieux (Pace, 1996 : 224–227), s’avère incomplète pour comprendre des recompositions Silhol : L’enseignement de la religion catholique en Italie 201 plus fines de la division sociale du travail religieux. S’agissant de l’IRC, peu d’études portent sur la constitution d’une catégorie socioprofessionnelle unique d’enseignants de religion catholique, désormais composée d’environ 28000 agents dont plus de 90 % de laïcs catholiques (Cappello et Maccelli, 1994 ; Battistella et al., 2015 ; Malizia et Pieroni, 2017). En particulier, le regroupement administratif des postes spécialisés sur l’IRC dans les écoles primaires, créés après la révision du Concordat et nettement féminisés, et de la catégorie préexistante d’enseignants de religion dans les écoles secondaires, surtout investie par des clercs avant les années 1980, doit être compris dans ces recompositions institutionnelles. Troisièmement, le questionnement en termes de transmission d’une « culture religieuse » reprend un style de pensée fonctionnaliste (Douglas, 2004 : 63–67), proche du sens commun professoral. La critique académique des problématiques de la « crise de la transmission » a déjà été approfondie en sciences sociales des religions. Des recherches ont souligné les modalités diversifiées de la construction de l’appartenance religieuse (Hervieu-Léger, 1997 : 133–134), comme de l’apprentissage de compétences dans l’enseignement religieux, non seulement cognitives mais aussi interactionnelles (Hérault, 2000). Le prolongement de cette réélaboration nécessite de critiquer d’autres biais scolastiques et normatifs (Grignon et Passeron, 1989 : 9–13) qui réifient la « culture religieuse ». Ces biais apparaissent uploads/Religion/ silhol-2019.pdf
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- Publié le Nov 22, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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