Revue de l’histoire des religions 1 | 2005 Varia Les mystiques musulmans entre
Revue de l’histoire des religions 1 | 2005 Varia Les mystiques musulmans entre Coran et tradition prophétique. À propos de quelques thèmes chrétiens Muslim mystics between Qur’an and Sunna. About some Christian topics Geneviève Gobillot Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rhr/2811 DOI : 10.4000/rhr.2811 ISSN : 2105-2573 Éditeur Armand Colin Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2005 Pagination : 43-87 ISSN : 0035-1423 Référence électronique Geneviève Gobillot, « Les mystiques musulmans entre Coran et tradition prophétique. À propos de quelques thèmes chrétiens », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 1 | 2005, mis en ligne le 28 janvier 2010, consulté le 17 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/rhr/2811 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/rhr.2811 Tous droits réservés Revue de l’histoire des religions, 222 - 1/2005, p. 43 à 87 GENEVIÈVE GOBILLOT Université Jean Moulin Lyon 3 Les mystiques musulmans entre Coran et tradition prophétique. À propos de quelques thèmes chrétiens Les ulémas reprochent souvent aux mystiques une hétérodoxie assimilée à l’adoption de valeurs chrétiennes. Or, si les mystiques citent beaucoup Jésus, c’est en raison d’une sorte de surenchère par rapport aux textes fondateurs qui contiennent le principe d’une tendance hyper englobante par rapport aux religions révélées précédentes, comme la « revendication d’antériorité » (la révélation faite à Muhammad est la seule véritable et la Thora et L’Évangile n’en sont que des versions déformées). C’est dans leurs choix ponctuels, entre connotations coraniques et orientations du Hadith qu’ils se sont parfois éloignés des opinions dites « orthodoxes ». En fait, à travers leur exploration des sources les plus diverses, les mystiques se montrent souvent plus orthodoxes que les orthodoxes eux-mêmes. Muslim mystics between Qur’an and Sunna. About some Christian topics The ulama blamed mystics for an inclination towards heterodoxy confused with an adoption of Christian values. In fact, if the mystics quote Jesus, it is not at all from a Christian viewpoint, but because of a tendency to overstate the founding texts of Islam which contain an hyper-inclusive tendency towards the previous revelations, such as the « claim of anterio- rity » (the revelation made to Muhammad is the unique true one which preceded the previous revelations, in themselves no more then its deformed versions) Thus it is in their selective choices, between Qur’an and Hadith, that Muslim mystics diverged from the orthodoxy. Because of their choices directed towards exploring the greatest number of sources, they have shown themselves as being more orthodox than the orthodox themselves. 44 GENEVIÈVE GOBILLOT Conformément à un phénomène récurrent en histoire des reli- gions, qui répond à un mécanisme spécifique des phénomènes de transferts culturels, l’islam s’est placé, dès ses débuts, par rapport au christianisme et au judaïsme en particulier, dans une attitude de « revendication d’antériorité »1. Elle se manifeste, entre autres, dans l’affirmation que depuis toujours, la révélation divine unique n’est autre que celle qui a été transmise par le prophète envoyé Muhammad, et que ce sont les hommes auxquels se sont adressés les prophètes envoyés antérieurs qui l’ont déformée pour produire autre chose que ce que véhiculent les corpus fondateurs de l’islam. C’est ce qu’indique clairement le Coran (3, 84) : « Nous croyons à Dieu, à ce qui nous a été révélé, à Abraham, à Ismaël, à Jacob et aux tribus, à ce qui a été donné à Moïse, à Jésus… Le culte de celui qui cherche une religion en dehors de l’islam n’est pas accepté ». Or, une telle attitude implique nécessairement l’existence d’une image de « l’autre », élaborée conformément aux critères selon lesquels il a été, d’abord, saisi et assimilé. Cette tendance à « englober dans le passé » le christianisme et le judaïsme s’est étendue, depuis les premiers temps de la conquête islamique, entre autres, au bouddhisme, bien que de manière un peu différente, dans la mesure où elle s’est trouvée limitée, dans ce type de situation, à une simple démarche d’historien. On peut en donner ici comme exemple une description, réalisée au Xe siècle par un chroniqueur musulman, du culte rendu au temple de Balkh (Bactres) : « Balkh a été construite par Alexandre le Grand. C’est là que se trouve le Nawbahar (Temple du Nouveau Printemps), l’une des constructions des Barmak. Ils avaient pour religion le culte des idoles. On leur avait décrit la Mekke, l’aspect de la Kacba qui s’y trouve et le rite qu’y 1. Nous en avons donné une description détaillée dans une précédente intervention intitulée « Les méthodes actuelles d’exégèse et d’étude du texte coranique », colloque co-organisé par l’équipe Textes et Interculturalité de Lille 3 et le Centre de recherches sur les Idées et les Transferts Inter Culturels de Lyon 3 : « La critique des textes dans les différentes religions », 10 et 11 octobre 2003. Les actes seront publiés, fin 2005, avec ceux du colloque des 10 et 11 mars 2005, tenu à Lyon 3 sur la même thématique. Voir aussi notre ouvrage sur la fitra : La conception originelle (fitra) ses interprétations et fonctions chez les penseurs musulmans, Cahier des études islamologues, n° 18, IFAO, Le Caire, 2000, p. 68-70. LES MYSTIQUES MUSULMANS 45 accomplissaient les Quraysh et les Arabes. Ils avaient fondé sur son modèle un sanctuaire que l’on appelle le Nawbahar… Ils appelaient le responsable en chef Barmak, ce qui veut dire qu’il était la porte de la Mekke et le gouverneur de la Mekke. »2 Les bouddhistes étant considérés comme des idolâtres, ce n’est pas l’islam qui est ici présenté comme la racine de leur culte, mais les pratiques de l’Arabie préislamique, elles-mêmes « anoblies » en tant que préfiguration et préparation, à travers le culte, même dévoyé, rendu à la Kacba fondée par Abraham, de l’islam révélé à Muhammad. Ainsi, le sens du culte bouddhiste d’Asie Centrale, préalablement transposé en termes d’« idolâtrie » disparaît derrière celui des ancêtres des occupants arabo-musulmans de la région. Le processus de « revendication d’antériorité » reste bien le même, les éléments concernés se trouvant simplement adaptés à la situation. Il s’agit du processus que Naipaul a désigné comme étant à l’origine d’une perte d’identité culturelle et historique des pays conquis par l’islam3. Le texte d’Ibn al-Faqih renvoie à une époque où les Bouddhistes étaient encore présents dans le territoire de l’empire musulman nouvellement fondé alors qu’au moment où il est écrit, ils sont déjà presque inexistants. Il ne vise donc pas à transformer une réalité présente, mais à réécrire le passé d’un pays. De telles initiatives n’ont pas donné lieu à beaucoup d’autres développements, dans la mesure où ces populations bouddhistes ont à la fin totalement 2. Ibn al-Faqîh, Kitâb al-buldân, éd. BGA, Leyde, 1885, p. 322, traduit et publié par Melikian Shirvani, « L’évocation littéraire du bouddhisme dans l’Iran musulman » in : Le monde iranien et l’islam, Sociétés et cultures (II), Centre de Recherches d’histoire et de philologie de la IVe section de l’École Pratique des Hautes Études, Hautes études islamiques et orientales d’histoire comparée, Droz, Genève, Paris, 1974, p. 12. 3. V.S. Naipaul, Jusqu’au bout de la foi, excursions islamiques chez les peuples convertis, « Feux croisés », Plon, Paris, 1998. « Telle est l’attitude du converti à l’islam envers le lieu où il vit : son pays n’a aucune importance reli- gieuse ou historique ; ses reliques n’ont aucune valeur ; seuls sont sacrés les sables de l’Arabie » p. 246. « Au Pakistan, l’invention d’une ascendance arabe s’est généralisée. Elle a été adoptée par toutes les familles. À entendre les gens, on croirait que ce grand et merveilleux pays n’était qu’une jungle sauvage, que nul être humain n’y vivait. Tout cela s’est renforcé au moment de la partition : ce sentiment de ne pas appartenir au pays, mais à la religion »., p. 295. 46 GENEVIÈVE GOBILLOT disparu, pour diverses raisons, des terres où l’islam s’était installé4. Néanmoins, comme le constate Naipaul, elles ont connu un prolon- gement et même, de nos jours, un regain d’énergie, dirigé cette fois contre les ruines et les vestiges de leur civilisation5. Ceci dit, il est éminemment souhaitable, surtout dans le cadre de l’étude des relations des textes bibliques aux corpus fondateurs de l’islam, à savoir Coran et Hadith, d’affranchir le vocabulaire de la recherche de termes pouvant évoquer une connotation un peu trop polémique, comme « emprunts » ou « influences » qui ne sont pas nécessairement adaptés à la réalité que l’on tente de cerner. En effet, même si le résultat avéré est souvent l’altération ou l’inflé- chissement de passages, entre autres, des Évangiles canoniques ou de la Torah, rien ne prouve qu’ils furent, à l’époque, perçus en tant que tels par le milieu dans lequel ils ont été opérés et transmis. De fait, les interprétations et adaptations en question, avant de se constituer en dogme dans l’islam, ont eu tout loisir de circuler dans des groupes 4. Entre autres, la pratique des conversions forcées, suite à des menées inquisitoriales. Voir Târîkh Bukharâ’. (Histoire de Bukharâ’), par Abû Bakr Muhammad b. Jacfar al-Narshakhî (899-959), Dhakhâ’ir al-carab, n° 40, Dâr al-macârif bi-misr, Le Caire, sans uploads/Religion/ rhr-2811-pdf.pdf
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- Publié le Dec 06, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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