CRÉATION ET ORIGINE David Banon In Press | « Pardès » 2001/2 N° 31 | pages 59 à
CRÉATION ET ORIGINE David Banon In Press | « Pardès » 2001/2 N° 31 | pages 59 à 72 ISSN 0295-5652 ISBN 2912404673 DOI 10.3917/parde.031.0059 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pardes-2001-2-page-59.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Elle se retourne derrière elle pour se justifier tout en pensant dans le présent les justifications qu’elle projette dans le passé. Mais ce mouvement jusqu’où peut-il se déployer? Jusqu’à l’origine radi- cale? jusqu’au commencement absolu? A l’énigme de l’acte inaugural, de l’arché ou de l’incipit? La philosophie a, de tout temps, été obsédée par la recherche du commencement chronologique de son déploiement et du fondement logique de sa vérité. L’acte philosophique est, à sa manière, une origine, une renaissance, une itération : mais ce n’est plus l’être qui commence, c’est le sujet. C’est alors un commencement réflexif, un commencement qui apparaît en bout de course, à l’issue d’un itinéraire comme dans le célèbre passage de la préface aux Principes de la philosophie du droit, de Hegel, où la chouette de Minerve ne prend son vol qu’au crépuscule. «La philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son proces- sus de formation… Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut pas la rajeunir avec du gris sur du gris, mais seulement la connaître. Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de minerve prend son vol 2.» La recherche d’un commencement, pour nous pauvres humains, est, hélas, toujours trop tardive. Tout a déjà, toujours-déjà, commencé. L’acte philosophique du commencement est toujours second, jamais premier. C’est la seconde étape, étape de la ré-flexion philosophique qui est seule en mesure de dire l’origine. Et encore! Certes, l’ensemble même PARDÈS N° 31/2001 © In Press | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) © In Press | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) de la philosophie plotinienne atteste que, lentement et progressivement, Plotin a construit le premier des êtres – l’Un –, décrit ses hypostases et leurs relations. Le recommencement, parce qu’il inaugure le règne réflexif de la seconde fois, reprend à un moment donné de son acte de réflexion la première fois, en l’élevant à sa propre vérité et en maîtrisant ce que cette première fois comportait d’empirique, de flou, de diffus, d’obscur et d’aliéné. Seul Dieu est commencement et fin, le premier et le dernier. L’origine et le terme sont soustraits à l’humain. Il n’y accède qu’obliquement, qu’après-coup. C’est ce que nous apprend le cosmologue se risquant à parler, sous les traits imagés du big-bang, de l’explosion qui se serait produite «au commencement», le biologiste s’interrogeant sur les débuts de la vie, l’anthropologue remontant vers les origines tout aussi fuyantes de l’être humain, l’historien enquêtant sur la naissance de telle ou telle nation ou le psychanalyste remontant vers la scène primitive ou origi- naire. L’après-coup est la démarche même de l’homme de science. C’est par le détour du questionnement philosophique ou encore en emprun- tant la voie narrative du midrach et de l’argumentation talmudique non pour la vérité qu’elles prétendent celer, mais pour leur signifiance, qu’on peut espérer «reconstituer» cet horizon immémorial. Nous interrogerons l’énigme des origines – fût-ce en la raturant – à partir d’une exégèse des chapitres 1 et 2 de la Genèse avant de nous attar- der sur l’analyse de quelques midrachim qui le mettent en scène sans prétendre pour autant cerner ou capturer dans leurs mailles ce «jadis, profond jadis, jamais assez». CRÉATION ET SÉPARATION La création est l’acte par lequel Dieu impartit l’existence à l’univers par la parole. Selon le récit biblique, la création tout entière est placée sous le signe de la séparation, qu’on peut dire originaire, par laquelle l’univers existe comme une réalité multiple, hiérarchiquement organi- sée. Cette idée est évoquée par le verbe hébreu (léhavdil dont la racine est bet-dalet-lamed) qui sert à désigner l’action divine. On trouvera cinq fois explicitement cette racine sous ses différents modes (Gn 1,4; 6; 7; 14 et 18) et plusieurs fois aussi l’idée de séparation apparaît dans des expressions qui la présupposent (Gn 1,9 ou encore : «selon son espèce» où se manifeste une séparation par spécificité). La création consiste autant à distinguer, à séparer les eaux entre elles par la voûte céleste, qu’à 60 DAVID BANON © In Press | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) © In Press | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) produire ce qui va permettre de départager : la lumière, principe de sépa- ration par excellence. Mais une difficulté surgit : cette lumière du premier jour est diffé- rente 3 de celle du soleil créée le quatrième jour, c’est-à-dire après les plantes et les arbres, après le monde végétal dont nous savons qu’il est la condition. Celui-ci est créé le troisième jour en même temps que la terre et la mer. Le troisième comme le sixième jour sont des jours de double création et de double évaluation positive («c’était bon»). La créa- tion apparaît donc comme un processus de séparation obéissant à une symétrie : deux fois trois jours plus un. La première séquence se termi- nant sur les plantes, la seconde sur l’humain. La première œuvre de créa- tion est nécessairement la lumière puisqu’elle est condition de distinc- tion. La parenté entre la lumière et le soleil réside en ce qu’ils sont tous deux au début de chacune des deux séquences : la lumière primordiale au tout début, le soleil au quatrième jour, au «commencement» de la seconde étape de la création. Ce qui est commun aux créations de cette seconde étape : les astres, les animaux aquatiques et les volatiles au cinquième jour, les animaux terrestres et l’être humain le sixième jour, c’est un même principe : le mouvement, le déplacement. Les astres se meuvent tandis que les plantes sont immobiles et restent attachées à la terre. Néanmoins, le principe de la première étape de la création, la sépa- ration, est également présent dans la seconde étape sous la forme plus élaborée du déplacement. Se déplacer signifie quitter un lieu donc s’extérioriser, s’objectiver sur un fond qui apparaît comme tel. Le quatrième jour, les corps célestes mobiles dont le cours est cependant fixe sont créés juste avant les êtres vivants dont le cours est imprévisible. L’humain, ultime créature, est donc celui chez qui la séparation atteint son plus haut degré. On part du principe de séparation : la lumière, pour ensuite voir appa- raître quelque chose qui sépare : le ciel, puis quelque chose qui est séparé : la terre et la mer, enfin des choses qui produisent d’autres choses en les séparant d’elles : les arbres, par exemple. Il en va de même dans la seconde séquence où le principe de déplacement est de plus en plus subtil. La caractéristique de ces versets semble donc être celle d’un dualisme irréductible entre des éléments qui sont séparés sans possibilité de se mouvoir, et d’autres qui sont séparés mais avec, en outre, possibilité de se déplacer. Par exemple : les êtres qui occupent un lieu ou bien ne peuvent se mouvoir – les plantes – ou bien se déplacent. Ceux-ci sont ou bien inanimés – le soleil, la lune, les étoiles – ou bien vivants. À leur tour, les CRÉATION ET ORIGINE 61 © In Press | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) © In Press | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.228.12.56) êtres vivants sont ou bien non terrestres ou bien terrestres. Et les terrestres sont soit des bêtes, soit des êtres créés à l’image de Dieu. Cette caractéristique du texte, outre le fait que rien de surnaturel ne soit ainsi créé, montre assez qu’on est en présence d’un texte soigneu- sement construit et extrêmement cohérent ; d’un récit prétendument «mythique» qu’il faudrait plus précisément qualifier de primordial dérou- lant la courbe narrative de la création du uploads/Philosophie/ parde-031-0059.pdf
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- Publié le Dec 19, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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