FRANTZ FANON “Pourquoi nous employons la violence” (Discours prononcé à la conf
FRANTZ FANON “Pourquoi nous employons la violence” (Discours prononcé à la conférence d’Accra, avril 1960) Je pense que tous les soucis qui habitent l’Afrique aujourd’hui ont été abordés avec maîtrise, avec clairvoyance, dans le discours du docteur N’Krumah. Je voudrais aujourd’hui vous faire part des réflexions suscitées par certains passages. Le problème de la violence et celui du racisme des Etats africains seront aujourd’hui des questions que j’aimerais fraternellement débattre devant vous. Je ne veux pas, vous le pensez bien, procéder aujourd’hui à une critique du système colonial. Je ne veux pas, moi qui suis un colonisé, parlant à des colonisés, démontrer que l’état colonial est un état anormal, inhumain et condamnable. Il serait grotesque de ma part de vouloir vous convaincre du caractère inacceptable de l’oppression coloniale. Toutefois, je voudrais centrer mes réflexions sur la violence consubstantielle à l’oppression coloniale. Un régime fondé sur la violence Le régime colonial est un régime instauré par la violence. C’est toujours par la force que le régime colonial s’est implanté. C’est contre la volonté des peuples que d’autres peuples plus avancés dans les techniques de destruction ou numériquement plus puissants se sont imposés. Je dis qu’un tel système établi par la violence ne peut logiquement qu’être fidèle à lui-même, et sa durée dans le temps est fonction du maintien de la violence. Mais la violence dont il est ici question n’est pas une violence abstraite, ce n’est pas seulement une violence déchiffrée par l’esprit, c’est aussi une violence du comportement quotidien du colonisateur à l’égard du colonisé : apartheid en Afrique du sud, travaux forcés en Angola, racisme en Algérie. Mépris politique de haine, telles sont les manifestations d’une violence très concrète et très pénible. Le colonialisme, cependant, ne se contente pas de cette violence à l’égard du présent. Le peuple colonisé est idéologiquement présenté comme un peuple arrêté dans son évolution, imperméable à la raison, incapable de diriger ses propres affaires, exigeant la présence permanente d’une direction. L’histoire des peuples colonisés est transformée en agitation sans aucune signification, et de ce fait, on a bien l’impression que pour ces peuples l’humanité a commencé avec l’arrivée de ces valeureux colons. Violence dans le comportement quotidien, violence à l’égard du passé qui est vidé de toute substance, violence vis-à-vis de l’avenir, car le régime colonial se donne comme devant être éternel. On voit donc que le peuple colonisé, pris dans un réseau d’une violence tridimensionnelle, point de rencontre de violences multiples, diverses, réitérées, cumulatives, assez rapidement en arrive à se poser logiquement le problème d’une fin du régime colonial par n’importe quel moyen. Cette violence du régime colonial n’est pas seulement vécue sur le plan de l’âme, mais aussi sur celui des muscles, du sang. Cette violence qui se veut violente, qui devient de plus en plus démesurée, provoque irrémédiablement la naissance d’une violence intérieure chez le peuple colonisé et une colère juste prend naissance et cherche à s’exprimer. Le rôle du parti politique qui prend en main les destinées de ce peuple est d’endiguer cette violence et de la canaliser en lui assurant une plateforme pacifique et un terrain constructif car pour l’esprit humain qui contemple le déroulement de l’histoire et qui tente de rester sur le terrain de l’universel, la violence doit d’abord être combattue par le langage de la vérité et de la raison. Mais il arrive, hélas – et il ne peut exister d’hommes qui ne déplorent pas cette nécessité historique -, il arrive, dis-je, que dans certaines contrées asservies la violence du colonisé, devienne tout simplement une manifestation de son existence proprement animale. Je dis animale et je parle en biologiste, car de telles réactions ne sont, somme toute, que des réactions de défense traduisant un instinct tout à fait banal de conservation. Et l’acquisition de la révolution algérienne est précisément d’avoir culminé de façon grandiose et d’avoir provoqué une mutation de l’instinct de conservation en valeur et en vérité Pour le peuple algérien, la seule solution était ce combat héroïque au cœur duquel il devait cristalliser sa conscience nationale et approfondir sa qualité de peuple africain. Et nul ne pourra nier que tout ce sang versé en Algérie ne servira en définitive de levain à la grande nation africaine. Dans certaines colonies, la violence du colonisé est le geste dernier que fait l’homme traqué, voulant signifier par la qu’il est prêt à défendre sa vie. Il y a des colonies qui se battent pour la liberté, l’indépendance, pour le droit au bonheur. En 1954, le peuple algérien a pris les armes car la prison colonialiste devenait à ce point oppressante qu’elle n’était plus supportable, que la chasse aux Algériens, dans les rues et dans les campagnes était définitivement ouverte et parce que, enfin, il était plus question pour lui de donner un sens à sa vie mais d’en donner un à sa mort. Le racisme en Algérie et dans les colonies britanniques … Le million d’Européens qui se trouve en Algérie, pose des problèmes particuliers. Les colonialistes en Algérie ont peur de la nation algérienne Peur physique, peur morale. Et cette double peur se traduit par une agressivité et des conduites fortement homicides. A la base de ce comportement nous trouvons : 1-un complexe de culpabilité très puissant. « Si les Algériens, disent-ils, devaient un jour diriger Algérie, ils feraient certainement ce que nous, les colons, avons fait et nous feraient payer nos crimes » ; 2-il y a aussi une certaine conception manichéiste de humanité qui se diviserait toujours en oppresseurs et en opprimes. … Nous africains ne sommes pas racistes et l’honorable Dr N’Krumah a raison quand il dit : Le concept de l’Afrique aux Africains ne signifie pas que les autres races en sont exclues. Cela signifie seulement que les Africains qui sont naturellement la majorité en Afrique devront eux-mêmes gouverner dans leurs propres pays. Nous luttons pour l’avenir de humanité et c’est une lutte des plus importantes. » Le colon en Algérie dit que Algérie lui appartient. Nous, Algériens, nous disons : « D’accord, Algérie nous appartenant à tous, construisons-la sur des bases démocratiques et ensemble bâtissons une Algérie qui soit à la mesure de notre ambition et de notre amour. » Les colons nous répondent alors qu’ils ne veulent pas d’une Algérie modifiée. Que ce qu’ils veulent c’est une Algérie qui perpétue éternellement l’état actuel. En réalité, le colon français ne vit pas en Algérie, il y règne et chaque tentative faite pour modifier le statut colonial provoque chez le colon des réactions hautement meurtrières. Il y a 14 jours nos frères d’Afrique du sud manifestaient leur hostilité aux lois promulguées par le gouvernement raciste de l’Union. 200 morts ont été dénombrés. Nous Pleurons nos frères d’Afrique du sud, nous critiquons le gouvernement sud-africain, nous condamnons le gouvernement sud-africain et nous disons que cette pression morale internationale est un atout capital dans la lutte pour la liberté africaine. Les massacres Mais le 8 mai 1945, il y a bientôt quinze ans, le peuple algérien défilait dans les principales villes Algérie pour réclamer la libération de certains détenus politiques et l’application des droits de l’homme sur le territoire national. A la fin de la journée, 45 000 algériens étaient enterrés. Ces chiffres qui révoltent la conscience sont les chiffres reconnus par le gouvernement de la République Française. Jusqu'à ce jour, pas un seul Français n’a été traduit en justice pour répondre d’un seul de ces 45 000 morts. Ce que nous disons c’est qu’il faut resserrer nos rangs. C’est qu’il faut que notre voix se fasse puissante non seulement pour le ton mais aussi par les mesures concrètes qui pourraient être prises contre tel ou tel Etat colonial. Camarades Africains, que jamais le jour ne se lève ou l’on puisse voir encore en 24 heures 45 000 citoyens africains balayés par la barbarie colonialiste ! Nous devons faire véritablement hésiter les colons blancs et les nations qui les soutiennent. En Angola ou 200 000 Portugais règnent par la terreur. En Rhodésie ou le visage monstrueux du racisme se montre avec une violence inégalée. Au Kenya ou notre valeureux frère Jomo Kenyata croupit en prison et ou les colons ne désespèrent pas de livrer une dernière et victorieuse bataille. Le colon tel qu’on le trouve en Algérie, en Angola, au Kenya, en Rhodésie, en Union Sud- Africaine est obstinément hostile à toute atteinte à sa suprématie. Nous ne disons pas au colon : « Vous été un étranger, allez-vous en. » Nous ne lui disons pas : « Nous allons prendre la direction du pays et te faire payer tes crimes et ceux de tes ancêtres. » Nous ne lui disons pas qu’à la haine passée du Noir nous opposerons la haine présente et future du Blanc. Nous lui disons : « Nous sommes des Algériens, bannissons de notre terre tout racisme, toute forme d’oppression et travaillons pour l’homme, pour l’épanouissement de l’homme et pour l’enrichissement de humanité » Le colon nous répond, et le gouvernement français le soutient : « L'Algérie est française. uploads/Philosophie/ fanon-por-que-empregamos-a-violencia.pdf
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- Publié le Sep 27, 2022
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