Philo de base Vladimir Grigorieff © Groupe Eyrolles, 2003 pour la présen- te éd

Philo de base Vladimir Grigorieff © Groupe Eyrolles, 2003 pour la présen- te édition, ISBN 2-7081-3502-3 Chapitre 1 : Le miracle grec Chapitre 1 : Le miracle grec 10 Il y a de ces petites phrases qui font rêver et en lesquelles se résume pour beaucoup ce qu’il reste d’une instruction dite obligatoire : « l’Égypte est un don du Nil », « le miracle grec ». Il y eut d’autres « miracles » sans doute, mais pour l’Occident que nous sommes, et que le monde rencontre, envie et repousse, c’est bien là le début d’une longue histoire. Celle de la pensée à se dégager de l’emprise des mythes et des dieux, à poser tous les problèmes sur le plan rationnel, à inventer une philosophie éthique et une science politique. Comment le monde a-t-il été créé, comment se poursuit-il ? Qu’en est-il de la justice et de l’ordre dans la cité ? Et tout se passe comme si, déjà, dès le début, un même scénario se mettait en place qui reprendrait, mutatis mutandis, tout au cours de l’histoire. Dans le premier temps un bouillonnement de mythes, d’images, de repré- sentations, comme une sorte de coup de force dogmatique qui, à défaut de prouver, affirme. Et ce sont les présocratiques avec leurs cosmogonies et leur obéissance aux décrets arbitraires des dieux dont tout est signe. Dans un deuxième temps, le refus de ces grandes envolées qui affirment plus qu’elles ne prouvent, et un repli sur soi, sur l’homme, qui devient « la mesure de toute chose ». La certitude est impossible, tout est relatif, la nature n’est pas connaissable, il n’y a de loi que de convention, le caprice et la volonté de puissance y ont part. Et ce sont les sophistes avec leur scepticisme intellectuel et leur subjectivisme moral. Puis, dans un troisième temps, vient celui qui dépasse à la fois le dogmatis- me des uns et le nihilisme des autres pour, dialectiquement, fonder une connaissance par la science et surtout s’efforcer de donner une base solide à l’éthique, tant il est vrai que les discussions stériles sur la morale sont plus dommageables à l’homme que les discussions spéculatives sur la nature. Et c’est Socrate qui, fils de la sage-femme, « accouche » les esprits en les condui- sant à trouver eux-mêmes les vérités qu’ils portent en eux (maïeutique est le nom de cette méthode), dans le même temps qu’il « ironise », disant le faux pour qu’on devine le vrai. Aux alentours du Ve siècle avant Jésus-Christ, au moment où en Inde naît avec Siddharta Gautama (surnommé Bouddha, ce qui veut dire l’Éveillé) le bouddhisme, et en Chine avec Kong Tzeu (Maître Kong, latinisé en Confucius) le confucianisme, et où en Babylonie et dans le royaume de Juda la loi de Moïse et les appels des Prophètes fortifient la vocation propre d’un petit © Eyrolles Pratique PYTHAGORE 11 © Eyrolles Pratique peuple singulier, le miracle grec marque pour nous, dans le bassin méditerra- néen, cette « mer grecque », l’âge classique de « notre » philosophie dont la plupart des questions, sinon des réponses, sont aujourd’hui encore les nôtres. Les présocratiques Pour la plupart des philosophes présocratiques, nous ne disposons que de témoignages sur leurs opinions, et, très rarement et de façon toujours lacu- naire, de textes propres. Pythagore VIe siècle av. J.C. Né à Samos (île grecque de la mer Égée), il aurait vécu à Crotone (Italie du Sud). Personnage quasi légendaire, dont on ne sait avec certitude pratiquement rien. Il n’a rien écrit. Il passait pour astronome et on lui attribue la démonstration du théorème qui porte son nom (théorème du carré de l’hypoténuse). Il croyait en la métempsycose (une même âme peut animer successivement plusieurs corps) et voyait dans les nombres le principe de toute chose, les lois de l’univers. Il eut de nombreux disciples et de nombreuses associations, suivant une dis- cipline de vie très ascétique, s’inspirèrent de sa doctrine. On parle donc, dans les témoignages que nous avons, beaucoup plus des pythagoriciens que de Pythagore lui-même. Citons le début et la fin des Vers d’Or (en tout deux pages), qui ne sont cer- tainement pas de lui mais qui traduisent l’enseignement moral donné dans les cercles et instituts pythagoriciens. Tout d’abord vénère les dieux, selon le rang qui leur est attribué, respecte ta parole et honore les nobles héros et les génies souterrains; tu accompliras, ce faisant, ce que prescrivent les lois... Chapitre 1 : Le miracle grec 12 Si tu négliges ton corps pour t’envoler jusqu’aux hauteurs libres de l’éther, tu seras un dieu immortel, incorruptible et tu cesseras d’être exposé à la mort. Pour les pythagoriciens le monde semble bien être partagé en deux régions : la région céleste où les corps formés d’éther (le cinquième élément = la quintes- sence) sont incorruptibles et la région terrestre où tout est sujet au change- ment, à la corruption, à la naissance, à la mort. L’École ionienne « Ce qu’a laissé l’École (ionienne)1 en résultats positifs : peu de chose, on pourrait presque dire : rien. Ce qu’elle a ébauché et légué comme esprit, méthode, pensée : tout ; l’Ionie a fondé une science qui est devenue notre science occidentale, notre civilisation intellectuelle. Elle est la première réali- sation du miracle grec et elle en est la clef. » (M.A.Rey, La Jeunesse de la Science grecque, cité dans Les Penseurs grecs avant Socrate, de Jean Voilquin, p. 45) THALÈS DE MILET 2 VIe s. av. J.C. Contemporain de Solon et de Crésus. Sa doctrine est un premier essai de « philosophie de la nature ». Il n’existe pour lui qu’une seule substance, l’eau, dont procèdent tout aussi bien la terre, l’air, le feu que tout ce qui vit. Aristote le considère comme le premier philosophe ionien et Cicéron dit de lui dans De la Nature des dieux : Thalès de Milet, qui, le premier, a traité ces questions, dit que l’eau est l’origine des choses et que le dieu, c’est l’intelligence qui fait tout avec l’eau. ANAXIMANDRE 610-546 Pour lui, la seule substance primordiale est la matière infinie et éternelle capable de toujours produire des êtres nouveaux. Il serait un précurseur du transformisme (on passe d’une espèce à l’autre par transformations successi- ves). L’infini est le principe et l’élément des êtres. (rapporté par Simplicius) © Eyrolles Pratique HÉRACLITE D’EPHÈSE 13 Anaximandre : les premiers animaux naquirent de l’humide et enfermés dans une écor- ce épineuse ; avec le temps, ils montèrent sur le rivage, l’écorce se déchira et, en peu de temps, ils changèrent de vie. (rapporté par Aétius) ANAXIMÈNE 550-480 Peut-être le disciple d’Anaximandre. Pour lui, c’est l’air qui est la substance primordiale et principale. L’air est le principe de toute chose; toute chose en provient, toute chose y retourne. De même que notre âme, qui est de l’air, nous maintient, de même le souffle (= air) entou- re le monde entier. (Aétius) Héraclite d’Éphèse 3 576-480 Surnommé l’Obscur en raison du caractère énigmatique de ses formules concises et par- fois même sibyllines. Plus occupé de théolo- gie et de morale que de cosmologie, il semble avoir été informé de la pensée mythique égyptienne et peut-être même initié aux mystères (enseignement réservé à quelques privilégiés4 de celle-ci). Sa conception de la guerre, mère de tout (polemos pater pantôn) et de l’union des contraires grâce à la discorde, peut être mise en parallèle avec la lutte que se livrent dans la mythologie égyptienne Horus, dieu solaire, et Seth, dieu du « désordre nécessaire ». Il serait ainsi l’introduc- teur d’une tradition de mystères et de mysticisme dans la philosophie grecque. Pour lui c’est le feu qui est le principe primordial et qui est l’« échangeur » de tous les mouvements qui, finalement, se compensent. Il est l’auteur de cette for- mule, souvent citée, « panta rhei » (tout s’écoule), formule on ne peut plus mobi- le, qu’on aurait tort de ramener prosaïquement à un « tout passe, tout lasse, tout casse », car il l’entendait dans un sens dialectique et non pessimiste. Parmi les penseurs modernes, Hegel l’admira et reconnut s’en être inspiré. © Eyrolles Pratique Chapitre 1 : Le miracle grec 14 Fragments d’Héraclite Livre composé au début de l’ère chrétienne avec des citations éparses d’Aristote, de Diogène Laërce, de Plutarque et d’autres. L’œuvre originale dont ces citations sont tirées, De la Nature, est perdue. Nous nous baignons et nous ne nous baignons pas dans le même fleuve. Et les âmes s’exhalent de l’humide. La guerre 5 est le père de toute chose et le roi de toute chose, de quelques-uns elle fait des dieux, de quelques-uns des hommes, des uns des esclaves, des autres des hommes libres. Dieu est jour et nuit, hiver et été, surabondance et famine. Mais il prend des formes variées, tout de même que le feu quand il est mélangé d’aromates et qu’il est nommé suivant le parfum de chacun d’eux. Ce qui est en nous est toujours un, et le même : vie et mort, veille et uploads/Philosophie/ chap1-grigorieff.pdf

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