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Tous droits réservés © Spirale magazine culturel inc., 2005 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 13 juin 2021 14:55 Spirale Arts • Lettres • Sciences humaines Kundera, essayiste pour étudiants en lettres Le rideau. Essai en sept parties de Milan Kundera, Galimard, 208 p. Louis Cornellier Jean-Luc Nancy, à bords perdus Numéro 204, septembre–octobre 2005 URI : https://id.erudit.org/iderudit/18429ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Spirale magazine culturel inc. ISSN 0225-9044 (imprimé) 1923-3213 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Cornellier, L. (2005). Kundera, essayiste pour étudiants en lettres / Le rideau. Essai en sept parties de Milan Kundera, Galimard, 208 p. Spirale,(204), 45–46. CD CO CO CD KUNDERA, ESSAYISTE POUR ÉTUDIANTS EN LETTRES Ë RIDEAU. ESSAI EN SEPT PARTIES de Milan Kundera limard, 208 p. 3 r i y Q UAND j'étais étudiant en lettres à l'université, L'art du roman, le pre- mier essai de Milan Kundera, était un de mes livres de chevet. Je le trouvais profond et puissamment original. Plus tard, la lecture des Testaments trahis, son deuxième essai, m'a déçu. J'avais l'impression d'être devant un appendice du premier qui perdait même, ainsi, de son éclat. Je lis, aujourd'hui, Le rideau, troisième essai du maître tchèque devenu français, et ma déception s'éclaire : le grand romancier qu'est Milan Kun- dera n'est qu'un essayiste moyen dont la prose d'idée semble taillée sur mesure pour les bache- liers en herbe, ce que j'ai déjà été, mais que je ne suis plus, d'où la déception. L'étudiant en lettres ne saurait se contenter du plaisir du texte et de l'ébranlement existentiel que procurent les meilleures œuvres littéraires. Il sou- haite aller plus loin que le commun et a besoin de mots pour désigner sa profondeur puisqu'il a des travaux à remettre. Les essais de Milan Kundera lui offrent alors sur un plateau d'argent les outils dont il a besoin pour s'en imposer à lui-même et aux autres. Grand romancier mondialement reconnu, Kundera, en effet, fait autorité. Le mythe selon lequel l'artiste possède sur son art des lumières qui sont inaccessibles au pauvre critique ayant toujours cours, le romancier qui se fait essayiste pour traiter de son propre art rassure. Lui, peut se dire le bachelier en herbe, il connaît le tabac. Faire autorité sur la base de la seule réputa- tion, toutefois et bien sûr, ne suffit pas. C'est alors qu'entre en jeu la stratégie qui consiste à faire au- torité par association. A-t-on jamais remarqué, en effet, à quel point l'essayiste Kundera manque d'audace dans le choix des œuvres qu'il com- mente et à quel point il se complaît dans les va- leurs sûres comme pour être certain de ne pas se tromper? Rabelais, Cervantes, Broch, Musil, Kafka, Gombrowicz et Flaubert, écrit-il, sont de grands romanciers. Qui, aurait-on envie de de- mander, ne le savait pas? Mais le fait de le répéter, bien sûr, donne à celui qui s'y adonne une aura de lucidité critique. En se plaçant ainsi dans la cour des grands, il indique lui-même la hauteur de ses vues, n'est-ce pas? Pour les contemporains, il se contentera d'ailleurs, encore une fois, de citer des noms au-dessus de tout soupçon, comme ceux de Fuentes et de Garcia Marquez. Les autres, ceux qui se coltinent la création dans l'histoire en marche? Trop dangereux de se tromper. À l'exception d'un petit clin d'œil à Rushdie et à Chamoiseau, tout juste bon à donner un vernis d'audace à la démarche, le grand romancier ne prend pas le risque de s'associer à d'éventuels per- dants de l'histoire du roman. Il faut être déjà consacré pour avoir droit à ses largesses critiques. Ces dernières, d'ailleurs, quoiqu'elles se pré- sentent comme la quintessence d'une vision es- thétique antidogmatique, reposent sur une conception de l'art du roman fermée et exclusive. Rappelant cette vérité qui veut que « appliquée à l'art, la notion d'histoire n'a rien à voir avec le pro- grès », Kundera écrit : « L'ambition du romancier est non pas de faire mieux que ses prédécesseurs, mais de voir ce qu'ils n'ont pas vu, de dire ce qu'ils n'ont pas dit. La poétique de Flaubert ne déconsi- dère pas celle de Balzac de même que la découverte du pôle Nord ne rend pas caduque celle de l'Amé- rique. » Là-dessus, rien à redire. Toutefois, quand il ajoute que l'originalité de la poésie se manifeste par « la force de l'imagination », alors que celle du roman passe par « l'architecture de l'ensemble » et que cette distinction justifie que le poète, même grand, puisse repasser par des formes anciennes (voir Baudelaire), alors que cela est interdit au ro- mancier, il fait peser sur ce dernier une injonction d'innovation formelle qui réduit dangereusement l'espace légitime de la création littéraire, tout en rassurant l'étudiant en lettres. Il est plus facile, en effet, pour ce dernier, de saisir l'originalité qui est à l'œuvre dans un roman qui en impose par une audace formelle évidente (Les Somnambules de Broch ou Ulysse de Joyce, par exemple) que dans un autre où la force de l'imagination, justement, emprunte des voies formelles plus traditionnelles (Les Raisins de la colère de Steinbeck ou La Symphonie pastorale de Gide, par exemple). Faut-il pour autant en conclure à la supériorité esthétique du premier sur le second? S'il fallait que ce soit le cas, il fau- drait aussi conclure que les meilleurs romans sont ceux qui sont écrits pour des universitaires en quête de matériel à analyser et l'on renouerait ainsi avec un progressisme artistique qui s'ignore, tout en servant de marque de distinction. Pour Deleuze, la philosophie est création de concepts. Pascal, dans cette logique, n'est pas philosophe. Pour Kundera, le roman qui vaut passe par l'in- novation architecturale. Hugo, Gide, Steinbeck et Guèvremont, dans cette logique, ne sont pas de grands romanciers. Comment recevoir, de même, cette définition du roman empruntée à Fielding et selon laquelle il s'agirait d'un « écrit prosaï-comi-épique »? Que le roman soit l'art de la prose et que celle-ci si- gnifie « le caractère concret, quotidien, corporel de la vie », on veut bien. On se demande, toutefois, ce qui permet de glisser de ce constat vers cette vérité transcendante (aussi immanente soit-elle par ailleurs) selon laquelle « la vie humaine en tant que telle est une défaite ». Kundera ajoute : « La seule chose qui nous reste face à cette inéluc- table défaite qu'on appelle la vie est d'essayer de la comprendre. C'est là la raison d'être de l'art du roman. » Une des raisons d'être, d'accord, pour comprendre, d'accord aussi, que la vie est parfois une défaite, mais il y a du dogmatisme à ériger un nihilisme rieur en contenu ultime de l'art du roman. Ça rassure peut-être, encore une fois, l'étudiant en lettres qui y trouve à se complaire dans le désastre — pour la profondeur lucide — tout en se moquant de cette comédie — pour la clairvoyance lucide —, mais ça laisse en plan toute cette expérience existentielle de l'espérance et de la bonté qui, quoi qu'en disent les soi-disant dégrisés, n'est pas moins humaine et, parfois, aussi lucide que l'autre. Il y a, oui, des romans, de grands romans, sans humour, qui savent rester prosaïques et pour qui la connaissance de l'hu- main signifie autre chose que l'art de construire les architectures de la défaite. Kundera, enfin, c'est une de ses marottes, n'aime pas le provincialisme. Son credo est résumé par cette célèbre phrase de Goethe : « La littérature nationale ne représente plus grand-chose aujourd'hui, nous entrons dans l'ère de la littéra- ture mondiale (die WeltliteraturJ et il appartient à chacun de nous d'accélérer cette évolution. » Après le World beat, l'économie mondialisée et la World philosophie chantée par quelques exaltés, voici que le grand Kundera nous invite lui aussi à en finir avec le national pour entrer dans l'ère de la World littérature. Il parlera ainsi avec condescen- dance d'un « terrorisme du petit contexte qui réduit tout le sens d'une œuvre au rôle que celle-ci joue dans son propre pays » et citera, pour illustrer son point de vue, Gombrowicz qui avait le mérite d'être « réservé à l'égard de la littérature polonaise ». Au sujet d'un poète de son pays, le ro- mancier polonais écrivait : « De chacun de ses poèmes nous pouvons dire qu'il est "merveilleux", mais si on nous demande de quel élément tuwimien Tuwim a enrichi la poésie mondiale, nous ne sau- rons vraiment que répondre. » Et alors, a-t-on envie de répliquer. Est-ce ainsi que les hommes lisent? Qu'est-ce que ça peut bien nous faire si cette poésie contient une parcelle uploads/Litterature/le-rideau-essai-en-sept-parties-de-milan-kundera-galimard 1 .pdf
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- Publié le Fev 20, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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