Ouvrages de Paul Veyne Comment on écrit l'histoire coll. « Univers historique »
Ouvrages de Paul Veyne Comment on écrit l'histoire coll. « Univers historique », 1971 Le Pain et le Cirque coll. « Univers historique », 1976 L'Inventaire des différences Leçon inaugurale au Collège de France 1976 Paul Veyne Comment on écrit l'histoire suivi de Foucault révolutionne l'histoire Éditions du Seuil Qu'est-ce que l'histoire? A en juger par ce qu'on entend dire autour de soi, il est indispensable de reposer la question. « L'histoire, en notre siècle, a compris que sa véritable tâche était d'expliquer»; « tel phénomène n'est pas explicable par la sociologie seule: le recours à l'explication historique ne permettrait-il pas d'en mieux rendre compte? »; «l'histoire est-elle une science? Vain débat! La collaboration de tous les chercheurs n'est-elle pas souhaitable et seule féconde? »; « l'historien ne doit-il pas s'attacher à édifier des théories? » - Non. Non, pareille histoire n'est pas celle que font les historiens: tout au plus celle qu'ils croient faire ou celle qu'on leur a persuadé qu'ils devaient regretter de ne pas faire. Non, le débat n'est pas vain de savoir si l'histoire est une science, car « science» n'est pas un noble vocable, mais un terme précis et l'expérience prouve que l'indifférence pour le débat de mots s'accompagne ordinairement d'une confusion d'idées sur la chose. Non, l'histoire n'a pas de méthode: demandez donc un peu qu'on vous montre cette méthode. Non, elle n'explique rien du tout, si le mot expliquer a un sens; quant à ce qu'elle appelle ses théories, il faudra y voir de près. Entendons-nous bien. Il ne suffit pas d'affirmer une fois de plus que l'histoire parle de « ce que jamais on ne verra deux fois» ; il n'est pas question non plus de prétendre qu'elle est subjectivité, perspectives, que nous interrogeons le passé à partir de nos valeurs, que les faits historiques ne sont pas des choses, que l'homme se comprend et ne s'explique pas, que, de lui, il ne peut y avoir science. li ne s'agit pas, en un mot, de confondre l'être et le connaître; les sciences humaines existent bel et bien (ou du moins celles d'entre elles qui méritent vrai- ment le nom de science) et une physique de l'homme est l'espoir de notre siècle, comme la physique a été celui du XVIIe siècle. Mais l'his- toire n'est pas cette science et ne le sera jamais; si elle sait être hardie, 10 Comment on écrit l'histoire elle a des possibilités de renouvellement indéfinies, mais dans une autre direction. L'histoire n'est pas une science et n'a pas beaucoup à attendre des sciences; elle n'explique pas et n'a pas de méthode; mieux encore, l'Histoire, dont on parle beaucoup depuis deux siècles, n'existe pas. Alors, qu'est-ce que J'histoire? Que font réellement les historiens, de Thucydide à Max Weber ou Marc Bloch, une fois qu'ils sont sortis de lcurs documents et qu'ils procèdent à la« synthèse »? L'étude scientifiquement conduite des diverses activités et des diverses créations des hommes d'autrefois? La science de l'homme en société? Des sociétés humaines? Bien moins que cela; la réponse à la question n;a pas changé depuis deux mille deux cents ans que les successeurs d'Aristote l'ont trouvée : les historiens racontent des événements vrais qui ont l'homme pour acteur; l'histoire est un roman vrai. Réponse qui, à première vue, n'a l'air de rien 1 ... 1. L'auteur doit beaucoup . à la sanscritiste Hélène F1acelière, au philosophe G. Granger, à l'historien H. J. Marrou et à l'archéologue Georges Ville (1929-1967). Les erreurs sont de lui seul; elles auraient été plus nombreuses, si J. Molino n'avait accepté de relire la dactylographie de ce livre, en y apportant son encyclopédisme un peu effrayant. J'ai beaucoup parlé de ce livre avec J. MoIlno. Par ailleurs, le lecteur averti trouvera, en maint endroit de ce livre, des références implicites et, sans doute aussi, des réminiscences involontaires de l'Introduction à la philo- sophie de l'histoire de Raymond Aron, qui demeure le livre fondamental en la matière. 1 L'objet de l'histoire 1 Rien qu'un récit véridique Événements humains. Des événements vrais qui ont l'homme pour acteur. Mais le mot d'homme ne doit pas nous faire entrer en transe. Ni l'essence, ni les buts de 1 'histoire ne tiennent à la présence de ce personnage, ils tiennent à l'optique choisie; l'histoire est ce qu'elle est, non pas à cause d'on ne sait quel être de l'homme, mais parce qu'elle a pris le parti d'un certain mode de connaître. Ou bien les faits sont considérés comme des indi- vidualités, ou bien comme des phénomènes derrière lesquels on cherche un invariant caché. L'aimant attire le fer, les volcans ont des éruptions: faits physiques où quelque chose se répète; l'éruption du Vésuve en 79: fait physique traité comme un événement. Le gouvernement Kérensld en 1917 : événement humain; le phénomène du double pouvoir en période révolutionnaire : phénomène répétable. Si on prend le fait pour événement, c'est qu'on le juge intéressant en lui-même; si l'on s'intéresse à son caractère répétable, il n'est plus qu'un prétexte à découvrir une loi. D'où la distinction que fait Cournot 1 entre les sciences physiques, qui étudient les lois de la nature, et les sciences cosmologiques qui, comme la géologie ou l'histoire du système solaire, étudient l'histoire du monde; car « la curiosité de l'homme n'a pas seulement pour objet l'étude des lois et des forces de la nature ; eHe est plus promptement encore excitée par le spectacle du monde, par le désir d'en connaître la structure actuelle et les révolutions passées » ... 1. Traité de l'enchaînement des idées fondamentales dans la nature et dans l'histoire réimp. 1922, Hachette, p. 204. ' 14 Comment on écrit l'histoire Événement et document L 'histoire est récit d'événements: tout le reste en découle. Puisqu'elle est d'emblée un récit, die ne fait pas revivre 2, non plus que le roman; le vécu tel qu'il ressort des mains de l'historien n'est pas celui des acteurs; c'est une narration, ce qui permet d'éliminer certains faux problèmes. Comme le roman, l'histoire trie, simplifie, organise, fait tenir un siècle en une page 3 et cette synthèse du récit est non moins spontanée que celle de notre mémoire, quand nous évoquons les dix dernières années que nous avons vécues. Spéculer sur l'intervalle qui sépare toujours le vécu et la récollection du récit amènerait sim- plement à constater que Waterloo ne fut pas la même chose pour un grognard et un maréchal, qu'on peut raconter cette bataille à la pre- mière ou à la troisième personne, en parier comme d'une bataille, d'une victoire anglaise ou d'une défaite française, qu'on peut laisser entrevoir dès le début quel en fut l'épilogue ou faire semblant de le découvrir; ces spéculations peuvent donner lieu à des expériences d'esthétique amusante; pour l'historien, elles sont la découverte d'une limite. Cette limite est la suivante : en aucun cas ce que les historiens appellent un événement n'est saisi directement et entièrement; il l'est toujours incomplètement et latéralement, à travers des documents ou des témoignages, disons à travers des tekmeria, des traces. Même si je suis contemporain et témoin de Waterloo, même si j'en suis le principal acteur et Napoléon en personne, je n'aurai qu'une perspec- tive sur ce que les historiens appelleront l'événement de Waterloo; je ne pourrai laisser à la postérité que mon témoignage, qu'elle appel- lera trace s'il parvient jusqu'à elle. Même si j'étais Bismarck qui prend la décision d'expédier la dépêche d'Ems, ma propre interprétation de l'événement ne sera peut-être pas la même que celle de mes amis, de mon confesseur, de mon historien attitré et de mon psychanalyste, qui pourront avoir leur propre version de ma décision et estimer mieux savoir que moi ce que je voulais. Par essence, l'histoire est connaissance par documents. Aussi la narration historique se place-t- 2. P . Ricœur, Histoire et Vérité, Seuil, 1955, p. 29. 3. H. J. Marrou, « Le métier d'historien ", dans coll. EncyclOpédie de la Pléiade, l'Histoire et ses méthodes, p. 1469. L'objet de l'histoire 15 elle au-delà de tous les documents, puisqu'aucun d'eux ;'le peut êo:e l'événement· elle n'est pas un photomontage documentaIre et ne fait pas voir le passé « en direct, comme si vous y éti~z »; pour .repr~ndre l'utile distinction de G. Genette 4, elle est dieges/S et non mlm~sl~. Un dialogue authentique entre Napoléon et Alexandre 1er, auraIt-il été conservé par la sténographie, ne sera pas « collé » tel quel. dans I~ récit: l'historien préférera le plus souvent parler ~ur ~ dlalo~e, s'il le cite textuellement, la citation sera un,effet lIttéraIre, destm~ à donner à l'intrigue de la vie - .dison.s :. de l'eth~ -, ce qUi rapprocherait l'histoire ainsi écrite 'de l'histOire romancée. Événement et différence. Un événement se détache sur fond d'uniformité; c'est une ~ifférence, une chose que nous ne pouvions connaître a priori : 1 'histOire .est fille de mémoire. Les hommes naissent, mangent et meurent: mal~ seule 1 'histoire peut nous apprendre leurs guerr~s et leurs. empires; Ils so~t cruels et quotidiens, ni tout à fait bons, fil tou~ à uploads/Litterature/ veyne-1971-comment-on-ecrit-l-x27-histoire.pdf
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- Publié le Mar 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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