Molière et le jeune roi Louis XIV Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673
Molière et le jeune roi Louis XIV Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673), fils de tapissier du roi Louis XIII, est un des grands auteurs de l’histoire théâtrale française, contemporain du roi de France Louis XIV qui a régné de 1643 à 1715. Molière occupe une place importante dans l'esprit du roi, proximité particulière qui a autant servi ses talents que la politique de grandeur du souverain. Le triomphe de Molière est indissociable de la période la plus brillante du règne de Louis XIV, celle des amours et des plaisirs d’un jeune roi fou de danse, de théâtre et de musique. Leur relation qui mêle la politique à l’artistique, l’admiration à la stratégie fascine par sa richesse et sa complexité. En octobre 1663, lors des festivités à Versailles, la troupe de Molière joue L'Impromptu de Versailles. Georges Forestier, spécialiste français de Racine et Molière, co-créateur du site internet Molière 21 dit de cette pièce qu'elle révèle le rapport privilégié entre Louis XIV et Molière : il est devenu l'un des artistes préférés du roi et celui auquel il va avoir de plus en plus recours. Être artiste du roi signifie que le monarque ne veut pas attendre, leitmotiv qui s'inscrit au cœur de la politique artistique du jeune roi et qui fonde leur lien particulier. Molière par ses œuvres artistiques se présente comme entièrement dévoué au divertissement de Louis XIV, il le fait également apparaître en souverain magnanime et généreux dans la pièce L'Impromptu de Versailles, prouvant ainsi qu’il sait faire preuve d’un art subtil de l'éloge. 1 Molière, poète satiriste par excellence n’a jamais égratigné l’image du roi, il n’y a pas une ligne dans son théâtre qui soit une remise en cause, même indirecte ou très distanciée du principe du monarque absolu de droit divin. Page 1 Louis XIV et Molière PHOTO : COMBO DE PORTRAITS / AGATFILMS / COMÉDIE-FRANÇAISE Quatre ans plus tôt, en 1659, Molière s'impose à la ville, avant de séduire la cour et le roi. En effet, sa troupe vient d'obtenir « la protection » (une pension) du jeune frère du roi, Philippe, futur duc d'Orléans comme le précise Priscilla Pizzato, réalisatrice et autrice française de Molière et le jeune roi. En 1660, au retour de ses noces, Louis XIV demande à voir prioritairement les pièces de Molière. La troupe fait salle comble avec Les Précieuses ridicules et Sganarelle ou le Cocu imaginaire. Tout ceci magnifie la rencontre entre le génie de Molière qui divertit brillamment - tout en dénonçant les vices de son époque (le patriarcat, l'hypocrisie et la manipulation des esprits) - et le jeune roi de 22 ans, mélomane, danseur, qui aime et instrumentalise les arts à sa gloire. Martial Poirson, professeur français et commissaire de l'exposition Molière à l'Espace Richaud à Versailles qualifie la relation qu'entretiennent les deux hommes d'idéologique. Selon lui, c'est une communauté de valeurs entre ce jeune roi festif, libertin, respectant les rites religieux de son temps mais assez libre dans ses convictions, et Molière qui lui offre un rayonnement et organise des fêtes somptueuses à destination de la cour et des ambassades¹. Ces festivités grandioses sont un outil politique et d'ambassade et se déroulent au Louvre et à Versailles. Molière bénéficie du soutien bienveillant du roi mais « à distance » et ne le désavoue pas face à l’Église qui le combat. Molière se maintiendra dans une position dominante jusqu'à poursuivre ses provocations contre l’Église. Succès à la cour comme à la ville, faveur royale, tout semble sourire à Molière. C'est dans ce cadre propice qu'il présente en décembre 1662, L’École des femmes, qui traite d’un sujet très en vogue dans les salons mais potentiellement explosif : celui de l’éducation des filles et du mariage. Louis XIV voit cette pièce dès sa création et rit, d’après les gazetiers, à s’en tenir les côtes. Mais son rire ne suffit pas à couvrir les cris d’orfraie poussés par l'Église. Georges Forestier précise que la conception catholique et traditionnelle du mariage est au cœur de cette pièce. Molière parodie les préceptes religieux, au point que les dévots et prudes l'accusent de faire l'apologie de l'athéisme sur les planches. A Paris comme à la cour, qu'on la condamne ou qu'on la défende, il n'est bientôt plus question que de L'École des femmes 2. Les détracteurs de Molière se déchaînent. On moque son théâtre, son naturel, sa manière de jouer. N'en déplaise à ses opposants, Louis XIV n'accorde aucune attention à ces attaques, bien au contraire, il lui demande de s'associer avec celui, dont il ne peut plus se passer depuis ses 15 ans, Jean-Baptiste Lully, surintendant de la musique. C'est le début d'une longue et fructueuse collaboration entre Molière et Lully qui conduit à la création de nombreuses comédies-ballets auxquelles le roi lui-même prendra part. Le Mariage forcé (1664), Le Sicilien ou l'Amour peintre (1667), George Dandin (1668), Monsieur de Pourceaugnac (1669) ou encore Le Bourgeois Gentilhomme (1670) seront ainsi créées à Versailles ou à Chambord pour les divertissements du roi par « les deux Baptiste » comme les appelle la femme de lettres française, Madame de Sévigné. Satisfait de la première collaboration entre Lully et Molière, c'est naturellement vers eux que se tourne Louis XIV pour l'organisation des grandes fêtes versaillaises qui demeurent comme l'un des éblouissements du règne du roi- Soleil. En 1664, dans son projet de conquête des cœurs et des esprits de la cour, le souverain confie à Molière l'organisation de l'une de ces premières fêtes, à Versailles, appelée « Les Plaisirs de l’Île enchantée ». Raphäel Masson, conservateur français au château de Versailles, indique que le nom de cette fête mythique fait référence au Roland Furieux, une poésie italienne de L'Arioste dont la cour lettrée a connaissance. Louis XIV y est porté en héraut et fait chevalier. « Cette fête si supérieure à celle que l’on invente dans les romans » comme l'écrira Voltaire est officiellement dédiée à Anne d’Autriche, la mère du souverain et Marie-Thérèse, son épouse devant Dieu. En réalité, la véritable destinataire de ces plaisirs, où se mêlent le tendre et la féerie est Louise de Lavallière, sa maîtresse. Prévue pour durer trois journées, la fête se prolonge quatre jours supplémentaires, du 7 mai au 13 mai 1663, pendant lesquels se succèdent grands festins, ballets, carrousels, feux d'artifices et bien évidemment des spectacles signés par Molière et Lully. Selon Laura Naudeix, maître de conférence française, les œuvres de Molière vont en partie évoluer vers une plus grande magnificence ou plus grande ampleur. Ces oeuvres seront de plus en plus associées au rayonnement européen du roi au travers de divertissements destinés, au départ, à un usage privé. Cette proximité entre le roi et son comédien favori va être mise à rude épreuve avec ce qui demeura comme le plus long et le plus âpre combat de la vie de Molière : l'affaire Tartuffe. La pièce est représentée pour la première fois, le 12 mai 1664, à la toute fin des « Plaisirs de l’Île enchantée ». Le personnage de Tartuffe est un dévot recueilli par le chef de famille Orgon ; il devient son directeur de conscience tout en convoitant sa femme. Le saint homme est en réalité un hypocrite. La controverse autour de Tartuffe continuer d'alimenter les foudres de l'Église contre Molière. Frontispice du Tartuffe, réalisé par Pierre Brissart et Jean Sauvé dans les Oeuvres de Molière, 1682 Le XVIIème siècle est mu par une remise en question du rapport à Dieu et à la religion chrétienne. Cette pièce est applaudie par le souverain qui, deux jours plus tard, cède à la demande de l'archevêque de Paris en interdisant ses représentations publiques. Martial Poirson précise que Molière garde la confiance du roi qui envoie un signal fort à l'opinion publique en disant : « Je ne peux pas imposer la représentation de cette pièce qui déplait à l'Église mais je ne l'interdis pas formellement non plus et surtout Molière garde ma faveur ». 2Selon Clément Hervieu-Léger, metteur en scène, Molière répond à ses ennemis par la création de La Critique de l'École des femmes en 1663, pièce très attendue par tout le monde. Il s'agit d'une pièce en un acte où il ne se passe rien : les gens sortent du théâtre et racontent ce qu'ils ont vu. Page 2 Martial Poirson précise que Molière garde la confiance du roi qui envoie un signal fort à l'opinion publique en disant : « Je ne peux pas imposer la représentation de cette pièce qui déplait à l'Église mais je ne l'interdis pas formellement non plus et surtout Molière garde ma faveur ». Molière refuse d'abdiquer et entreprend de modifier sa pièce en transformant Tartuffe en faux dévot, imposteur, scélérat, escroc qui dupe autant ses disciples que l’Église. Lorsqu'il lit sa nouvelle version dans les salons mondains, elle est bien accueillie. En 1667, la pièce de Tartuffe pourtant remaniée est de nouveau interdite. Cette seconde version est enfin autorisée à être jouée en public en 1669, après que Louis XIV finit par trouver un accord uploads/Litterature/ article-gauthier-ines-et-etiembre-lucy.pdf
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- Publié le Fev 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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