Gilles Henry PETIT DICTIONNAIRE DES MOTS QUI ONT UNE HISTOIRE Texto Le goût de
Gilles Henry PETIT DICTIONNAIRE DES MOTS QUI ONT UNE HISTOIRE Texto Le goût de l’histoire À Alain Decaux, qui m’a ouvert les chemins de l’Histoire ; À Michel de Decker, qui m’y accompagne… INTRODUCTION Ouvrons ce Dictionnaire par un clin d’œil à Boris Vian, Raymond Queneau et Georges Perec, grands amoureux des mots et que nous saluons avec ce texte : Manœuvrant l’espagnolette de la persienne de ses doigts jaunis par la nicotine, l’assassin pénétra dans la pièce que seul un quinquet éclairait, Sous son manteau raglan en tweed, sa chemise en oxford et son shetland, il dissimulait trois armes, un colt, un pistolet et une baïonnette. Il était venu par le train (on n’était plus au temps des fiacres, berlines, landaus ou phaétons), utilisant d’abord une micheline, puis un pullman et, depuis la gare, avait longtemps arpenté le macadam avant de se décider ; il n’était pas tranquille : sa main blessée par les crocs d’un doberman, un vrai molosse, hâtivement pansée avec une bande velpeau, le faisait souffrir et ses pieds étaient trop serrés dans ses godillots. Sûr ! Si un message en morse était diffusé, il serait bon comme la romaine pour le corbillard. Du dehors, lorsqu’il était dans la vespasienne, il avait pu voir les deux mansardes de la maison. Sans être cabotin, il était certain de son fait : il était pauvre comme Job, ses poches étaient vides de monnaie (pas un florin ou un liard) et ce n’est pas en jouant à la bourse qu’il décrocherait de sitôt le mécène dont il rêvait. C’était pour le moins une lapalissade ! Les murs étaient tendus de damas, d’indienne, de satin et de madras. Il prit son calepin et nota les objets ; au-dessus d’une ottomane et d’une athénienne une étagère avec des faïences et une série de mazagrans ; dans la bibliothèque, des parchemins, des romans, un gotha, une bible et de nombreux ouvrages reliés. — Un conservateur de musée, sans doute ! soupira-t-il. Près du téléphone gisait un vieux bottin ; à côté, un barème et des bristols écornés. Au mur étaient accrochés divers objets : un saxophone (son violon d’Ingres !), un daguerréotype représentant une draisienne ainsi qu’un poulbot et une série de photographies sur les montgolfières, des dessins de zeppelin et de tilbury, une carte de l’Amérique et de l’Océanie. Sur le bureau, un maroquin supportait un massicot ancien et des marionnettes posées en rang d’oignons. S’éclairant à la bougie, l’homme passant devant la volière où voletaient un bengali et un canari, s’approcha du compteur électrique : aucune alarme, l’installation était de 20 ampères, consolidée au chatterton et fonctionnait sur 110 volts. Rassuré, il se dirigea vers la table, tout en manipulant sa lavallière et découvrit le repas sorti du frigidaire : viande à la sauce béchamel, hachis parmentier, sandwich au beurre pasteurisé, voisinaient avec des madeleines, un savarin, des pralines, des reine-claudes et une pêche melba. Une bouteille de bourbon côtoyait du kir et du moka. Des fleurs ornaient la table : bégonias, dahlias, pétunias, zinnias. Délaissant les alcools – il aurait préféré un grog – il se servit un verre de pinard manifestement chaptalisé. Dégoûté, l’homme alla vers le robinet, se lava les mains puis jeta son verre dans la poubelle. Il s’apprêtait à rafler une topaze, quand le bruit d’un moteur diesel se fit entendre dans la rue. L’homme (qui n’était pas sorti de la cuisse de Jupiter) s’enfuit, passa devant une colonne Morris et sa silhouette se fondit bientôt dans la nuit. G. H. Le Petit Dictionnaire des mots qui ont une histoire n’est ni un ouvrage d’étymologie ni un livre exhaustif. Il présente par thèmes : les caractères, les types physiques, le quotidien, le temps, les armes ou l’argent ; la pénétration de notre vocabulaire par des mots dont l’origine est soit un lieu : un pays, une ville, soit un nom de personnage : dieux de la mythologie, empereurs, rois, conquérants ou simples acteurs ou inventeurs. Le propos de notre dictionnaire est de divertir le lecteur, de le faire voyager dans l’espace et le temps par la magie des mots. CHAPITRE I CARACTÈRES, COMPORTEMENTS ET SITUATIONS La Bruyère, dans ses « Caractères », s’intéresse aux ouvrages de l’esprit, au mérite personnel, aux femmes, à la société ; il n’est jamais meilleur qu’en décrivant l’homme, le trouvant faible et inconstant ; l’homme voit le bien mais fait le mal… Il est inévitable que l’humeur, la beauté, la force, la drôlerie, le tempérament, le mode de vie, le caractère, le rôle social, façonnent notre vocabulaire constitué par les noms qu’ont portés des hommes et des femmes, des villes ou des pays, des héros de la mythologie ou de la création littéraire et artistique. Cela est vrai autant pour les caractères et les types physiques que pour les comportements individuels et collectifs. Ainsi l’acariâtre doit son nom à un évêque ou un abbé Acaire du IXe siècle ; le cabotin est à l’origine un bonimenteur et marchand ambulant du temps de Louis XIII, habile à vanter ses flacons ; le chauvin vient soit de la réalité (il serait né à Saint-Jean-de-Luz), soit de la fiction théâtrale : dans Le Soldat Laboureur de Scribe, on trouve un Nicolas Chauvin, blessé dix-sept fois sur le champ de bataille et ne laissant jamais passer une occasion d’encenser l’Empereur. Ainsi l’esclave est un lointain descendant des peuples slaves (Hongrois battus par Otton Ier le Grand) battus et vendus après la défaite de l’an mille ; le gogo était un personnage d’une pièce popularisée par Frédérick Lemaître, intitulée La Famille Gogo, dans laquelle se trouve le type du bourgeois peu éclairé, crédule et niais que l’on berne facilement. Une lorette est une femme de petite vertu parce qu’au cours du XIXe siècle, un certain nombre de femmes galantes habitaient dans le quartier de Notre-Dame-de-Lorette, et un olibrius – un original, un excentrique, un importun – doit son nom à un préfet d’Orient qui voulut forcer sainte Marguerite à abjurer sa religion nouvelle. Que l’on dise de quelqu’un : « c’est un casanova », on le doit à l’aventurier italien qui parcourut l’Europe en jouant. Que l’on parle d’un bougre ou d’un bobèche, on se référera à un ancêtre bulgare et à un modeste fils de tapissier devenu « titi » parisien. De l’épicurien au machiavélique, on passe d’un prolixe philosophe de l’an 341 av. J.-C, au Florentin Machiavel ; quant aux femmes traitées de messalines ou de vestales, l’appellation est d’origine romaine ; Messaline était la femme de l’empereur Claude et Vesta la déesse du foyer domestique chez les Anciens. Certains ont parfois des rôles ingrats, on les voit mentor, mouchard ou pipelet : Mentor était l’ami fidèle d’Ulysse, chargé de l’éducation de son fils Télémaque ; Antoine de Mouchy traquait les calvinistes avec des espions à sa solde ; « monsieur Pipelet » était concierge dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue. Si vous êtes pris de panique, vous en appellerez au dieu Pan qui poursuivait les nymphes avec une excitation non dissimulée alors que si vous commettez un lynchage, vous évoquerez un planteur virginien du nom de John Lynch qui, en 1780, devant les troubles de la guerre d’Indépendance, institua un tribunal fort répressif. Un regard chiffré sur l’origine des mots de ce chapitre montre l’importance de la mythologie et également de la France (une trentaine), l’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Angleterre, l’Autriche, la Hongrie, Israël et le Moyen-Orient figurent parmi les pays d’origine. En tout une quarantaine d’hommes, une dizaine de femmes, dieux, rois, animaux, villages, sans oublier les noms sortis de la création littéraire, théâtrale ou artistique. _____ ACARIÂTRE. Il existait, au VIIe siècle, un évêque à Noyon du nom d’Acaire (ou Achaire), également installé à Tournai ; il mourut en 639 et ses reliques passèrent pour guérir la mauvaise humeur. À la vérité, il est peut-être confondu avec Acaire, deuxième abbé de Jumièges, dont le corps fut transporté à Haspres au IXe siècle. Quoi qu’il en soit, saint Acaire était réputé pour guérir les dérangements d’esprit et le premier sens d’acariâtre fut « privé de raison » ou qui « s’entête dans une idée déraisonnable ». La prononciation du mot le rapprocha de celle d’un autre mot, aigre, et petit à petit l’alchimie du vocabulaire finit par transformer acariâtre et par lui donner le sens d’hargneux, déplaisant et tyrannique. Si le « mal aquariastre » est signalé en 1493, celui d’humeur aigre est relevé en 1524, dans Le Pionnier de Seudre, et le Dictionnaire de l’Académie a accueilli acariâtre en 1798. ALIBORON. L’ellébore était dans l’Antiquité une plante employée pour traiter les maladies nerveuses et guérir la folie ; en ancien français, aliboron. Au IXe siècle, l’Irlandais Jean Scot travaillait à un commentaire sur Martianus Capella, en latin bien entendu, et commit un contresens, prenant le nom de la plante ellébore pour le nom d’un philosophe de la même secte que Carnéade, et qualifié de Maître Aliboron. Il est certes difficile d’expliquer le passage du sens de philosophe à celui uploads/Litterature/ petit-dictionnaire-des-mots-qui-ont-une-histoire.pdf
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- Publié le Apv 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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