LA PANDÉMIE DE COVID-19 OU LE DIALOGUE ENTRE HISTOIRE ET PHILOSOPHIE Anne-Marie
LA PANDÉMIE DE COVID-19 OU LE DIALOGUE ENTRE HISTOIRE ET PHILOSOPHIE Anne-Marie Moulin ESKA | « Droit, Santé et Société » 2020/1 N° 1 | pages 19 à 24 ISSN 0999-9809 ISBN 9782747231190 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-droit-sante-et-societe-2020-1-page-19.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ESKA. © ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © ESKA | Téléchargé le 11/04/2021 sur www.cairn.info par Jodel Pierre via Université d'Artois (IP: 194.254.23.50) © ESKA | Téléchargé le 11/04/2021 sur www.cairn.info par Jodel Pierre via Université d'Artois (IP: 194.254.23.50) SÉRIE E : DROIT, SANTÉ ET SOCIÉTÉ / SERIES E: LAW, HEALTH AND SOCIETY • N° 1, VOL. 7 19 Histoire de virus, histoire de peurs LA PANDÉMIE DE COVID-19 OU LE DIALOGUE ENTRE HISTOIRE ET PHILOSOPHIE THE COVID-19 PANDEMIC OR THE DIALOGUE BETWEEN HISTORY AND PHILOSOPHY Anne Marie MOULIN* RÉSUMÉ La pandémie de Covid-19 aura-t-elle opéré un choc salutaire en révélant des capacités de solidarité et de rénovation morale et ouvert des possibles qui parais saient inimaginables ? L’Histoire des épidémies fournit quelques points de comparaison mais s’avère insuffisante devant la singularité du confinement planétaire qui a suivi la pandémie. C’est la philosophie qui rend le mieux compte de la sidération et du repli sur soi qui devraient, comme le veut sa démarche, éclairer l’avenir. MOTS-CLÉS Covid-19, Pandémie, choc, Histoire, Philosophie, Valeur de la vie, Mort. ABSTRACT Is it possible to expect a “beneficial shock” from the experience of planetary confinement, which has followed the Covid-19 pandemic? Can this new experience pave the way to unprecedented changes in our way of life and to an improvement of the human condition? The chapter reviews the lessons of past pandemics to conclude to the uniqueness of the Covid event and suggests that the confinement of mankind has created a situation analogous to the philosophical experience of radical doubt before reconstruction, without a guarantee that this shock will operate for the best. KEYWORDS Covid-19, Pandemic, Shock, History, Philosophy, Value of Life, Death. * * * Christian Byk a titré le numéro du Journal de Médecine Légale sur la pandémie de Covid-19, qu’il coordonne : « Un choc salutaire ». Ce choc serait celui d’une crise marquée par un tiraillement entre mesures autoritaires et libertés, entre le déploiement des énergies et des initiatives et une dictature de salut public, le terme de salut convenant à une situation d’urgence autant politique que sanitaire. La pandémie de Covid-19, qui a débuté en Chine en 2019, n’a pas été en fait une totale surprise. Depuis les années 1990, en totale contradiction avec le rêve d’éra dication des maladies infectieuses, voire des microbes tout court, le thème des maladies émergentes ou réé mergentes avait amené à refourbir des concepts et des instruments qui avaient été jusque-là plus ou moins remisés, comme la quarantaine. Le rêve avait fait place à une préoccupation réaliste des échanges ordinaires entre les bactéries, les virus, les parasites et les hommes. Mais entrer en pandémie, c’est une autre affaire. Le mot vient du sénateur Claude Huriet dans ce numéro. Entrer en…, l’expression est solennelle. Est-ce qu’on entrerait en pandémie comme on entre en religion, par une porte qui se referme comme dans la clôture d’un monastère, avec un bruit sépulcral ? Assurément, il y a eu choc, et le discours présidentiel d’Emmanuel Macron a tout fait pour choquer ceux qui n’étaient pas choqués, et assurer une mise au pas de la nation. L’idée même de « choc salutaire », un oxymore, laisse à vrai dire perplexe. Les bénéfices d’un choc sont loin de tomber sous le sens. La réanimation chirurgicale vise à * Directrice de recherche émérite au CNRS Professeure associée à l’Université Senghor d’Alexandrie Unité SPHERE, CNRS/Université de Paris anne.saintromain@gmail.com © ESKA | Téléchargé le 11/04/2021 sur www.cairn.info par Jodel Pierre via Université d'Artois (IP: 194.254.23.50) © ESKA | Téléchargé le 11/04/2021 sur www.cairn.info par Jodel Pierre via Université d'Artois (IP: 194.254.23.50) 20 UNE SÉRIE DU JOURNAL DE MÉDECINE LÉGALE / A SERIES OF THE JOURNAL OF FORENSIC MEDICINE • N° 3, VOL. 63 Histoire de virus, histoire de peurs « déchoquer » les blessés et rattraper une tension artérielle effondrée par les hémorragies. La médecine s’efforce de remédier aux dégâts du « stress », un concept dû à Hans Selye, stress aigu ou chronique, état d’épuisement consécutif aux traumatismes définis de manière de plus en plus large par les sociétés contemporaines(1). Mais la médecine a aussi inventé les chocs thérapeu tiques. Pendant la Grande Guerre, les neuropsychiatres (les deux disciplines n’avaient pas encore accompli leur séparation), confrontés à des désordres graves du com portement et de l’humeur chez les rescapés du conflit, les ont soumis à des chocs électriques pour les ramener de force à la vie « normale »(2). Ce n’est que récemment que les historiens ont inventorié toute une littérature médicale sur cette expérimentation enfouie dans les archives et qui avait suscité peu de contestations, malgré les séquelles des électrochocs généreusement administrés qui dépassaient souvent les limites admises de sécurité pour le calibrage du courant. En psychiatrie civile, on a connu aussi plus tard la mode des électrochocs, des tinés à soigner les états confusionnels, les dépressions, les aboulies, et même les schizophrénies… A côté des électrochocs, il y a eu aussi les « cures de Sakel », des injections d’insuline plongeant le patient dans un pré- coma hypoglycémique : le réveil avec administration d’un bol de soupe hypersucré mimait une nouvelle naissance. Ces types de cure ont été progressivement abandonnés dans les années 1970. La pandémie peut-elle figurer dans l’Histoire l’exemple d’un « choc salutaire » ? I. UNE REVUE HISTORIQUE L’histoire a été la première discipline mise à contribution pour étaler le choc de la survenue de la pandémie. La régression à des mesures oubliées d’isolement et l’appel à la « distanciation sociale » ont été l’occasion de balayer les antécédents historiques, à la recherche de repères et d’enseignements, afin d’atténuer le dépaysement tout en suggérant que malgré tout il y avait quelque chose de changé : on n’avait pas pour rien inlassablement célébré l’ère des révolutions médicales, enchainant l’avènement de la théorie bactérienne des maladies, de l’antibiothérapie, de la biologie moléculaire, de l’analyse des génomes, des protéomes etc. Les historiens ont inventorié les conséquences des épidémies, revivant leurs drames chacun à leur façon. C’est ainsi que le récit de la « peste d’Athènes » par (1) Hans Selye, The Stress of Life, McGraw-Hill, 1956. (2) Marie Derrien, « La tête en capilotade ». Les soldats de la Grande Guerre internés dans les hôpitaux psychiatriques français, thèse sous la direction d’Isabelle von Bueltzingsloewen, université de Lyon 2, 2015. Thucydide au 5ème siècle avant J-C a inspiré au cours des siècles d’innombrables relectures(3) dépendant du cadre mental et des préoccupations des générations successives. On peut retenir l’importance du rôle des médecins pendant l’épidémie. Tout d’abord ils étaient là, ils n’avaient pas tous déserté, comme cela arrivera parfois par la suite. Au témoignage de Thucydide, ils se démenaient pour trouver des remèdes au terrible mal et répondre à l’attente des malades et aux supplications des mourants. Lucrèce, le philosophe épicurien à Rome, quand il narre l’épisode athénien dans son poème De la Nature, rappelle leur présence impuissante : « La médecine en deuil suivait leur agonie(4). » Et, autre analogie, comment un contemporain pour rait-il être insensible à l’observation de Thucydide que les rescapés de l’épidémie, au nombre desquels l’his torien athénien se comptait, peuvent, au moment de la « seconde vague », soigner sans danger les nouvelles victimes, ce que je traduis machinalement, en praticien du 21e siècle, comme la reconnaissance d’une « immu nité » protectrice, précisément celle que nous nous efforçons d’évaluer aujourd’hui chez les personnes avec un antécédent d’infection par le Covid-19 ? Au cours d’une fresque haute en couleurs, chaque grande pandémie suggère de multiples facettes et malgré les lacunes de la documentation, tant pour le continent africain que pour l’Orient Extrême, on peut tenter une liste des figures récurrentes au cours de l’épidémie. Le spectre du désordre y tient la première place : « l’anomie » décrite par Thucydide, ou la cessation du règne de la loi et la menace du retour à la sauvagerie. Et surtout la terreur populaire, responsable de comportements aberrants jusque-là inimaginables. C’est à cette panique qu’ont voulu remédier les gouver nements en 2020, tant par leurs frénétiques commu niqués sur les bilans sanitaires que par les assurances ressassées que la situation était bien en mains. Ce uploads/Litterature/ dsso-071-0019.pdf
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- Publié le Jul 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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