141 Anne-Sophie Morel Professeur agrégé Université de Franche-Comté Résumé : Ce
141 Anne-Sophie Morel Professeur agrégé Université de Franche-Comté Résumé : Cet article se propose de faire le point sur les liens entre littérature et enseignement des langues à travers l’histoire des méthodologies et notamment en regard du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. Il évalue la place faite à la littérature par le Cadre et s’interroge sur ce que pourrait être une tâche littéraire en classe de Français Langue Étrangère. Mots-clés : Littérature – CECRL – Tâche – Méthodologie Penser le lien entre littérature et enseignement des langues « au cœur de la gouvernance des universités » et des nouveaux enjeux auxquels doivent répondre les centres de langue de l’enseignement supérieur, ne va, semble-t-il, pas de soi, si l’on considère l’histoire des méthodologies du FLE ou l’introduction récente d’outils comme le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. La littérature occupe en effet une place fluctuante et problématique dans le champ de l’enseignement des langues. Un bref historique des rapports entre littérature et FLE dans les différentes méthodologies nous rappelle que la littérature a connu de façon cyclique, des phases d’abondance et de disette, entre sacralisation et désacralisation.1 Considérée comme un corpus idéal réunissant les trois pôles de l’objectif formatif, l’esthétique, l’intellectuel et le moral, la littérature occupe une place privilégiée dans la méthodologie traditionnelle et ce jusqu’aux années 1950.2 Elle était le support d’une édification morale dans les années 1910-1920, puis a été lue avant tout comme le miroir de la société dans laquelle elle prenait source dans les années 1930-1940 avant de devenir support linguistique dans le cadre des méthodes audio-orales (années 1950). La littérature était l’objectif de tout apprentissage, elle le couronnait. Banni de l’enseignement des langues vivantes par la méthodologie structuro-globale audiovisuelle au début des années 1960, le texte littéraire refait son apparition dans les méthodes de langue dès le début des années 1980 et a été validé par l’approche communicative, bien que ce « retour » se réalise de manière confuse. Avec l’arasement de tous les types de textes au même statut de textes, la littérature est un document authentique comme les autres. Selon Amor Séoud, c’est Littérature et FLE : état des lieux, nouveaux enjeux et perspectives 142 paradoxalement le développement même d’une didactique de la langue qui a entraîné cette mise à l’écart de la littérature en FLE. En effet, l’importance croissante de l’oral dans l’apprentissage a évincé la littérature, domaine de l’écrit par excellence et dont la langue apparaissait comme trop éloignée de la langue usuelle des natifs.3 Ce poids de l’histoire est donc important et pèse encore sur les réflexions que l’on peut mener sur ce lien entre littérature et enseignement des langues, un lien redéfini par les évolutions récentes induites par la commercialisation toujours plus grande de ce secteur. Devenu produit qui se vend plus ou moins bien, l’enseignement des langues est entré dans la logique du marché où ce sont les produits qui sont adaptés aux besoins supposés des consommateurs et non pas ces derniers qui seraient initiés à l’usage, voire au sens du produit… et la littérature ne fait pas forcément partie de l’offre. Le CECRL, en définissant des objectifs et des standards de compétences, s’inscrit avant tout dans une optique professionnelle ou à tout le moins pratique, à savoir la capacité à réaliser des tâches. Dans ce contexte majoritairement utilitariste, le texte littéraire ne saurait avoir la cote, du moins celui qui ne ressemble pas lui-même à un « document authentique » ou qui n’est pas lui aussi objet et produit de commercialisation utilitariste. Des éléments nouveaux et puissants, à la fois théoriques, idéologiques et économiques, ont donc imposé la nécessité de redéfinir les liens entre littérature et enseignement des langues. Ce sera l’objet de cette communication que de tenter d’évaluer la place de la littérature dans ce nouvel environnement et face à ces nouveaux enjeux, en montrant la place faite à la littérature par le CECRL, en nous demandant ce que pourrait être une tâche littéraire et enfin, en proposant quelques perspectives pour une didactique du texte littéraire en classe de langue, des perspectives qui pourraient concilier nouveaux enjeux et littérature. Littérature et CECRL : Place et rôle Le CECR, même s’il l’évoque assez peu, ne néglige cependant pas la littérature. Il précise que « les littératures nationale et étrangère apportent une contribution majeure au patrimoine culturel européen que le Conseil de l’Europe voit comme « une ressource commune inappréciable qu’il fait protéger et développer » ».4 La place en classe du texte littéraire est ainsi réaffirmée par l’utilisation d’une expression plurielle qui peut désigner l’acception la plus large de la production littéraire, sans la hiérarchie commune en France entre les différents espaces institutionnels de la littérature. Relevant de « l’utilisation esthétique ou poétique » de la langue, le texte littéraire est cité plusieurs fois dans la « grille pour l’autoévaluation » qui a pour objectif de constituer un référentiel de compétences.5 Associée à la lecture, à l’expression orale et à l’écriture, la littérature est mentionnée aux niveaux B2, C1 et C2. Il s’agit en B2 de « comprendre un texte littéraire contemporain en prose », puis en C1, de « comprendre des textes factuels ou littéraires longs et complexes et en apprécier les différences de Actes du IIème Forum Mondial HERACLES - 2012 pp. 141-148 143 style » et enfin en C2, de « lire sans effort tout type de texte, même abstrait ou complexe quant au fond ou à la forme, par exemple un manuel, un article spécialisé ou bien une œuvre littéraire »6. Dans le Portfolio européen des langues, outil d’autoévaluation, cette compétence est également présente puisqu’il est demandé aux apprenants de mentionner les œuvres complètes qu’ils ont pu lire dans la langue cible. La compétence d’expression écrite est également évoquée : en C1, « je peux résumer et critiquer par écrit un ouvrage professionnel ou une œuvre littéraire ». Au niveau B1, le texte littéraire est convoqué de façon indirecte. L’apprenant doit être capable de « raconter une histoire ou l’intrigue d’un livre ou d’un film et exprimer [ses] réactions »7. Il s’agit bien de transmettre des informations portant sur une activité de lecture, dans le cadre d’une activité de production orale en continu s’appuyant sur le vécu personnel et le ressenti de l’apprenant. Le texte littéraire n’est ici qu’un prétexte, dans la mesure où parler de ses lectures est un moyen efficace de parler de soi, de ses goûts, de s’impliquer dans la conversation et d’engager une discussion réellement authentique. En conclusion, la littérature n’est pas laissée de côté, mais sa place reste cependant relativement réduite et elle n’est pas abordée de manière frontale. Elle se trouve associée à l’acquisition des autres compétences langagières et est convoquée dans une perspective interculturelle. Le CECRL propose en outre de nouvelles approches des documents sous forme de tâches, elles-mêmes inscrites dans des projets. Dans cette pédagogie, l’apprenant doit être pleinement acteur de son apprentissage et doit s’appuyer sur ses compétences pour atteindre différents objectifs propres à la tâche à réaliser. « Est définie comme tâche toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé »8 pour citer la définition du Cadre. La tâche se définit par son but, par le résultat tangible auquel elle doit aboutir et s’inscrit plus globalement dans un projet. Elle a une relation avec des activités réelles et nécessite donc l’implication de l’apprenant, usager de la langue, acteur social. Le caractère personnel, individuel de la lecture littéraire ne semble pas, de prime abord, facilement conciliable avec cette pédagogie de projet, mettant en valeur l’action commune. Que pourrait être dès lors une « tâche » en littérature ? Et comment la mettre en œuvre en classe ? Il s’agit ici de tenter de concilier exigences du Cadre – travail des compétences langagières, dimension interculturelle, pédagogie de projet – sans pour autant instrumentaliser le texte littéraire, ni renoncer à l’analyse ou plus encore au plaisir de la lecture. Pour cela, on s’emploiera à faire adopter des postures lectorales qui ne soient pas seulement la posture laborieuse d’un élève : le sujet lisant doit aller au texte comme on va à un jeu. Le risque existe en effet que les médiations et étayages que constitue la parole professorale – pour élucider références culturelles ou problèmes linguistiques notamment – aient tendance à didactiser la situation de lecture et à la rendre avant tout scolaire et non littéraire.9 Littérature et FLE : état des lieux, nouveaux enjeux et perspectives 144 Un premier type de tâche pourra consister à mener une lecture collaborative, où les apprenants choisiraient un/des textes qu’ils aiment et partageraient leurs impressions de lecture entre eux ou, mieux, avec l’écrivain. On privilégie ici une posture empathique où le lecteur est encouragé à exprimer l’effet affectif du texte sur lui, ou une posture d’engagement par l’identification ou la contre-identification à des personnages, et la prise de position devant des modèles d’action uploads/Litterature/ litterature-et-fle-etat-morel.pdf
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- Publié le Apv 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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