LES ENFANTS DU CHAOS 1 - HÉRITIERS LK SISSOKO PARTIE I « Tous ceux qui avaient

LES ENFANTS DU CHAOS 1 - HÉRITIERS LK SISSOKO PARTIE I « Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient le contraire – même ceux qui ne croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans l'histoire sans y rien comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont commencer tout doucement à les oublier et à confondre leurs noms. C'est fini. » — Antigone, Jean Anouilh CRIEUR Il faut bien Que la destinée fasse son bout de chemin : Les Crimes du futur successeur du Chancelier ont été dévoilés. Vous avez entendu, l'hérésie et la magie interdite. Vous avez contemplé de vos propres yeux, Et maintenant il s'agit de punir de vos propres mains. Dure est l'épée qui doit trancher, Il bon est de l'admettre, mais juste est l'épée qui choisit l’équité Et pense aux lendemains. Johannes Whistler, vous êtes accusé de désobéissance. De trahison. [ Cris de protestation. ] Comme nous avons pour coutume de le dire, A chao venimus, chao nos redire. Du chaos vous venez, Et au chaos vous retournerez. — Le fils des ténèbres, Anonyme Prologue 1 Où que se pose son regard, l’obscurité régnait. Elle était partout et tout à la fois ; ce goût de fumée sur le bout de sa langue, ce poids tragique et insidieux dans sa poitrine, ce chuchotis macabre contre son oreille… Les ténèbres s’infiltraient en elle, obstruant chacun de ses pores, l’étouffant lentement mais sûrement. Autour d’elle, l’espace semblait s’étirer indéfiniment, mais elle ne s’était jamais sentie aussi piégée. Aussi assiégée, jusque dans les confins de son esprit. Il fallait qu’elle quitte cet endroit. Des formes malveillantes commençaient à prendre vie dans les moindres recoins de sa vision. Le murmure du vent sur son visage lui évoquait des griffes acérées, venant lui arracher ce qu’il lui restait. Des étincelles jaillissaient de nulle part, emplissant son espace mental, creusant de minuscules trous dans son cerveau. Ça y est, se dit-elle, tâtant la surface ensanglantée. Après tout, il fallait s’y attendre. Tout commençait à se fissurer. Sa confiance. Ses convictions. Elle avait essayé, pourtant. Elle avait essayé d’être forte, de lutter, parce que si elle abdiquait, elle leur offrait leur objectif sur un plateau d’argent. Et elle ne pouvait se le permettre. Elle leur devait au moins ça. A son père. A sa génération. À tous ceux qu’elle aimait. Elle avait échoué. Lamentablement. Désolée. Je suis tellement désolée… Je n’ai pas été à la hauteur. Deux larmes traîtresses coulèrent le long de ses joues. En y repensant, elle avait été bien idiote. S’il y avait une chose que son père avait mis un point d’honneur à ce qu’elle comprenne, c’était le fait que les ténèbres gagnent toujours. Peu importe le temps. Elle avait cru pouvoir inverser la donne. Elle avait cru être de taille. Et pourtant sa défaite à elle avait été rapide – un mois cloîtrée dans cet abîme, à 2 tomber encore et encore avait eu raison de son esprit fêlé. La faim, la peur, l’isolement, les voix qui gémissaient des propos obscènes… Ces petits riens l’avaient affaibli. Et maintenant, elle s’apprêtait à rendre les armes. Pitoyable… Elle n’était même pas digne de porter le nom des Whistler : un Whistler se serait battu pour survivre. Son père, lui, se serait battu pour survivre. Il serait tellement déçu de la voir ainsi… Hélas, elle ne pouvait rien y faire. Elle avait beau lutter, elle avait perdu. Pour de bon. Et elle le savait : À la fin de la journée, elle ne serait rien d’autre qu’une enveloppe vide. Dénuée de volonté. De sentiments. De la moindre once de pitié. Rien de plus qu’un monstre. CHAPITRE 1 3 Selene Whistler s’éveillait toujours avec le même mot à la bouche : vengeance. Il était le premier à percer la barrière de son esprit encore endormi, le dernier qu’elle prononçait avant de sombrer dans le sommeil, comme une prière. Avec le temps, il s’était imprimé en elle, tel un tatouage indélébile. Elle avait appris à le garder proche, le laissant rythmer ses nuits et ses jours ; aucun instant ne passait sans qu’elle y pense, sans qu’elle ne ravive la détermination qui brûlait au fond d’elle. Ce matin-là ne faisait pas exception. Assise dans la pénombre, Selene fixait la fenêtre, attendant patiemment que le soleil se lève. Elle l’attendait toujours. Chaque matin, elle observait cette immense étoile émerger en essayant de se persuader que ce n’était pas un rêve. Qu’elle était bien là, dans le monde des humains, en sécurité auprès de la Guilde. Qu’elle n’était pas restée coincée, brisée tel un vulgaire jouet, et que son esprit ne lui jouait pas de tours. Elle savourait la lumière telle une brise d’espoir, savourait le fait d’être libre, tout simplement. Seulement, ce sentiment ne venait jamais seul ; elle n’oubliait jamais que si elle avait à apprécier la liberté avec une acuité si profonde, c’était parce qu’on l’avait une fois enchaînée. Quelques minutes plus tôt, elle avait refait ce même cauchemar. Une prison sans murs. La folie qui la guettait en permanence. Et si certaines personnes auraient trouvé ce fait désolant, Selene, elle, l’accueillait avec liesse. Elle appréciait grandement le fait que son esprit n’ait rien occulté. Qu’il continue de la torturer ; ainsi, elle non plus n’oublierait jamais ce qu’elle avait à faire. Elle ne baisserait jamais les bras. Elle marquerait dans le sang les noms de ceux qui l’avaient détruite. Lisbeth lui avait pourtant dit qu’elle devait passer à autre chose. Selon elle, la vengeance était faite pour les faibles et n’apportait que la destruction – des inepties. Selene avait été taillée dans ce bois-là, élevée sous la dure contrainte de la loi du talion. Elle devait les voir brûler. Tous, sans exception. Bientôt, se dit-elle. Bientôt. 4 *** Selene avait beau savoir que la Gildehaus était trop vieille pour ne pas émettre de gémissements d’agonie à chaque fois qu’on posait le pied sur son plancher, elle avait toujours bon espoir. Ainsi montait-elle toujours les escaliers avec mesure. Apposant une jambe à la fois, retenant son poids pour éviter que les planches s’affaissent, elle grimaça lorsqu’un grincement venu tout droit des enfers résonna. Encore raté ; elle venait sûrement de réveiller Arlo, qui dormait toujours dans son atelier. Ce n’était pourtant pas sa faute de ne pas avoir essayé… Le bâtiment avait vraiment besoin de rénovations. Il fallait renforcer, voire changer en entièreté le plancher, réhabiliter la plupart des pièces et refaire la peinture, mais ces besoins-là remontaient à si longtemps que plus personne ne s’en souciait désormais. La Gildehaus était une maison grincheuse, mais attachante, presque vivante, avec tous ces bruits de portes et de marches. Une vieille bique que tout le monde adore, disait souvent Arlo. — Ce n’est rien, j’ai l’habitude, déclara ce dernier lorsqu’elle lui lança un regard désolé. Pourrais-tu m’aider à descendre, s’il te plaît ? De toute évidence, il n’était pas habitué – ses yeux rougeâtres, ses tremblements et son air hébété en témoignaient – mais Selene acquiesça et se contenta de lui tendre son bras. S’il y avait bien quelque chose qu’Arlo détestait – plus que les gens qui cornaient les pages des livres du Kaffee – c’était qu’on remette en cause ses paroles. Les années n’avaient pas été tendres avec lui, mais il semblait refuser de manière catégorique de l’admettre, et cela le poussait à faire des choses que Selene jugeait dangereuses. Affirmer avec une volonté de fer que tout allait bien quand il était clair qu’il n’était pas au meilleur de sa forme, par exemple. Selene jeta un regard à sa jambe droite, qui – tout le monde le savait – le faisait souffrir depuis une éternité. Chaque jour, elle se suppliait d’avoir le courage de le forcer à aller voir un médecin, mais elle n’en avait pas le cœur. Vraiment pas. Elle se 5 dégonflait à chaque fois lorsque cet homme, qui l’avait élevée à bien des égards, portait son regard rigoureux sur elle en lui promettant que tout allait bien. Alors elle détournait le sien, haïssant la honte cuisante au fond de sa poitrine. Là encore, elle revenait, encore plus forte. Selene se consola en inspirant à pleins poumons l’odeur caractéristique du vieil homme : bouquins, pluie, automne. L’odeur de la maison. Elle se concentra sur cela et cela seulement, ce qui impliquait fermer les yeux sur l’odeur de pipe qui persistait – une autre chose qu’Arlo avait vraiment besoin d’arrêter – sur les piles de documents qui jonchaient le parterre poussiéreux et sur les maquettes à peine entamées qui surchargeait la pièce. Autrefois, l’atelier d’Arlo avait été resplendissant ; sa bibliothèque était toujours rangée, le sol toujours propre… Mais ce n’était définitivement plus le cas. Avec l’âge, il s’était trouvé une certaine propension pour le désordre. . Ils descendirent les escaliers, dépassèrent le couloir de gauche – Selene aperçut Austen, le chat de la Gildehaus, se frotter contre la porte de sa chambre – puis prirent celui de uploads/Litterature/ les-enfants-du-chaos-tome-1.pdf

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