LA DOUBLE INCONSTANCE de MARIVAUX Conférence donnée par Nadine SORET à l’IUTL d

LA DOUBLE INCONSTANCE de MARIVAUX Conférence donnée par Nadine SORET à l’IUTL de Reims le jeudi 9 février 2007 INTRODUCTION : La célébrité de Marivaux est aujourd’hui liée à ce terme qui rassemble en un seul mot l’art de la conversation française badine et précieuse : le marivaudage. La préciosité du langage chez Marivaux et en particulier dans La Double Inconstance a été analysée de façon extrêmement attentive à maintes reprises et nous connaissons tous désormais la caractéristiques de cet art élaboré du langage : finesse, vivacité et enchaînement des répliques procédant par rebondissements successifs de mots, de phrases ou d’idées. Je ne m’étendrai donc pas sur ce point. Ma conférence de ce jour visera seulement à observer de quelle manière la pièce - dans la vie et l’œuvre de Marivaux - dans le contexte politique de son époque - dans les rapports qu’elle entretient avec les pièces qui l’ont précédée - dans l’histoire des comédiens italiens en France - dans le mouvement roccoco Devant l’insuffisance des témoignages et la pauvreté des documents biographiques, note Françoise Aubellin1, « on a souvent cherché à glaner dans ses Journaux et Œuvres diverses tout ce qui pouvait passer pour des réflexions autobiographiques, au prix d’extrapolations parfois périlleuses. » La démarche entreprise par Christian Colin (metteur en scène du spectacle qui est proposé à la Comédie jusqu’à demain), qui consiste à éclairer La Double Inconstance au moyen d’extraits tirés des Journaux de Marivaux, pour intéressante qu’elle soit, n’en est pas moins à prendre avec un certain nombre de précautions. La première est sans doute de ne pas confondre Marivaux (c’est-à-dire l’homme, l’écrivain, le dramaturge…) avec les différents narrateurs à l’œuvre dans ce que l’on appelle communément les Journaux et œuvres diverses, qui regroupent des textes de genres très différents. En effet les différents narrateurs du Spectateur français ou de L’Indigent Philosophe ont été clairement identifiés comme tels : ils sont bien différents de l’auteur Marivaux. QUE SAVONS-NOUS DE MARIVAUX ? 1 Marivaux dramaturge, Françoise Aubellin, Ed. Champion, 1996 Marivaux peint par J.B. Van Loo, Paris, Comédie Française A vrai dire, peu de choses… Né en 1688, Pierre Carlet, de son vrai nom, est le fils d’un fonctionnaire royal qui fut nommé directeur de la Monnaie à Riom (dans l’actuel Puy de Dôme) à partir de 1701 après avoir occupé un emploi dans la Marine, puis celui de trésorier des vivres et contrôleur- contregarde. La mère du futur dramaturge avait pu obtenir par l’intermédiaire de son frère le célèbre architecte Bullet de Chamblain plusieurs recommandations pour son mari auprès des ministres Pontchartrain et Chamillart. Bien que né à Paris, le jeune Pierre Carlet passa vraisemblablement un certain nombre d’années dans cette petite ville du Massif Central, où il fit peut-être une partie (ou même la totalité ?) de ses études au Collège de l’Oratoire. De récentes recherches prouvent que la bibliothèque des oratoriens était fort bien pourvue en ouvrages de toute sorte2. Ces derniers moments du règne de Louis XIV furent par ailleurs assombries par les guerres, la révocation de l’Edit de Nantes, la persécution des protestants, des difficultés de tous ordres, notamment financières, et une cour déboussolée par un nouveau climat de dévotion. En 1710, nous retrouvons Pierre Carlet, âgé de 22 ans, s’inscrivant sur les registres de la Faculté de Droit de Paris et anoblissant son nom qu’il transforme alors en Decarlet. Deux ans plus tard, l’auteur rédige ses premiers romans, dans la veine satirique, parodique ou picaresque de Scarron (le roman intitulé La Voiture embourbée date de 1712 ou 1713). En 1716, il signera du nom de Carlet de Marivaux son épître dédicatoire de L’Homère travesti. Fontenelle au travail 2 Voir article dans Marivaux d’hier, Marivaux d’aujourd’hui, éditions du CNRS, 1991 Dès ses débuts en littérature, Marivaux est entré en relation avec Fontenelle, qui a eu connaissance de ses écrits par la Censure. Par son intermédiaire peut-être – à moins que ce ne soit par celui de son oncle Bullet ? - Marivaux fait très tôt la connaissance de Mme du Tencin (que l’on dit avoir été la maîtresse du Régent et de son premier ministre) Mme du Tencin Marivaux est ainsi amené à rencontrer le futur Régent Philippe, duc d’Orléans, et rejoint un groupe amical dont fait partie son ami Houdart de la Motte. Ce groupe très actif à partir de 1715, donc dès la mort de Louis XIV, semble avoir été avant tout un groupe politique, c’est-à- dire, au sens où on l’entendait à l’époque, un groupe d’amitiés mondaines et de relations influentes, qui soutenait activement l’action du Régent, tout en défendant bien sûr ses propres intérêts…. L’abbé du Tencin travaillait à sa bonne fortune tout en servant celle des autres, tandis que Mme du Tencin, favorisant de toute son influence le système de Law, créa, dans le cadre de ce système, une société d’agio. Marivaux appartenait solidairement à ce groupe. Duc de Noailles Sa dédicace de L’Homère travesti au duc de Noailles en 1716 peut surprendre en revanche puisque le duc de Noailles, neveu de Mme de Maintenon, n’appartient pas au groupe de Mme du Tencin, mais fait partie de l’entourage du Régent Philippe d’Orléans. Sans doute peut-on voir là, propose Henri Coulet3, une déclaration d’alliance du groupe Tencin à l’un des piliers du nouveau pouvoir ? L’hypothèse est fort intéressante. Toujours est-il qu’en 1717 ou 1718, Marivaux investit une part importante de sa fortune (et plus vraisemblablement celle de celle 3 Article Hypothèses sur l’apparentement politique et religieux de Marivaux, Henri Coulet, in Marivaux d’hier, Marivaux d’aujourd’hui, Ed. du CNRS, 1991. de sa femme, qu’il épouse précisément en 1717) dans l’action de propagande menée en faveur de Law en achetant des actions. Le rappel de sa conduite à l’époque de Law figure assez curieusement dans une lettre sur la paresse4 datant de 1740, ce qui laisserait à penser qu’il aurait gardé quelques remords de son attitude. On connaît la banqueroute qui s’ensuivit en mai 1720 et qui obligea – selon certains – Marivaux à écrire pour gagner sa vie. C’est peut- être oublier le fait qu’en 1720, l’écrivain est déjà l’auteur d’une œuvre importante : deux comédies, une tragédie, quatre romans, une épopée burlesque, un récit satirique et différentes feuilles de journaux5. Contrat de mariage entre Marivaux et Collombe Bologne Nous savons de la femme de Marivaux qu’elle était plus riche et plus âgée que lui de cinq ans (d’Alembert disait d’elle qu’elle était « aimable et vertueuse ». Or nous connaissons trop la perfidie des lettrés du XVIIIème siècle pour ne pas entendre bien des choses derrière ces deux épithètes, « aimable et vertueuse ». Des découvertes relativement récentes (1988) ont appris que la femme de Marivaux était enceinte de trois mois au moment du mariage, circonstance qui explique sans doute en partie les raisons du mariage. L’épouse de Marivaux mourut en 1723, qui est aussi l’année où se joua pour la première fois La Double Inconstance. Il semble néanmoins impossible d’établir a-priori quelque parallèle que ce soit entre le décès de son épouse et le texte de la pièce. En revanche, une lecture plus ouverte de l’œuvre dans le contexte historique et politique qui l’entoure est beaucoup plus riche d’enseignements. L’INSCRIPTION DE LA DOUBLE INCONSTANCE DANS L’HISTOIRE 4 « Marivaux prétend n’avoir fait que suivre, en petit enfant, les conseils de la « société » et particulièrement de l’abbé Mainguy ; mais il le prétend en 1740 (Lettre sur la paresse publiée par Lesbros de la Versane, in Journaux et Œuvres diverses, p. 443-444), Henri Coulet, article cité. 5 Le volume de la Bibliothèque de la Pléiade ne suffit pas à contenir l’ensemble des œuvres de jeunesse, note Françoise Aubelin, in Marivaux dramaturge, Ed. Champion, 1996. Première édition du théâtre de Marivaux La première représentation de La double Inconstance entraîna une certaine réserve de la part des critiques, malgré le succès public. Le compte-rendu paru dans Le Mercure d’avril 1723 indique que « ce qu’on appelle métaphysique du cœur y règne un peu trop, et peut-être n’est-il pas à la portée de tout le monde » Théâtre jugé donc comme élitiste, galant et superficiel. D’autres raisons moins avouables présidèrent sans doute à ces jugements (notamment le fait que Marivaux ait confié sa pièce aux comédiens italiens et non aux français). Par la suite, Marivaux eut soin de rétablir peu ou prou cet équilibre puisque toute une série de comédies furent ensuite représentées à la cour en 1724 et 1725. Néanmoins, il est indéniable que le dramaturge accordait une nette préférence au jeu des Italiens (deux tiers environ des comédies furent jouées à l’Hôtel de Bourgogne). Duc de Bourbon A peine le Régent Philippe d’Orléans était-il mort et le duc de Bourbon en possession du pouvoir, que Marivaux dédia à la marquise de Prie son édition de La Double Inconstance, durant l’été 1724. Il se trouve que Mme de Prie était précisément la maîtresse du duc de Bourbon… La dédicace de La Double Inconstance marque une nouvelle fois le désir de bénéficier des bonnes grâces du nouveau uploads/Litterature/ la-double-in-constance-de-marivaux.pdf

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