Gradhiva Revue d'anthropologie et d'histoire des arts 16 | 2012 Chines, l’État

Gradhiva Revue d'anthropologie et d'histoire des arts 16 | 2012 Chines, l’État au musée Gilbert Rouget et la mission Ogooué-Congo (1946). Institution et épistémologie dans l’histoire de l’ethnomusicologie en France Gilbert Rouget and the Ogooué-Congo Expedition (1946). Institution and Epistemology in the History of French Ethnomusicology Brice Gérard Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/gradhiva/2538 DOI : 10.4000/gradhiva.2538 ISSN : 1760-849X Éditeur Musée du quai Branly Jacques Chirac Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2012 Pagination : 192-215 ISBN : ‎ 978-2-35744-048-7‎ ISSN : 0764-8928 Référence électronique Brice Gérard, « Gilbert Rouget et la mission Ogooué-Congo (1946). Institution et épistémologie dans l’histoire de l’ethnomusicologie en France », Gradhiva [En ligne], 16 | 2012, mis en ligne le 01 décembre 2015, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/gradhiva/2538 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gradhiva.2538 © musée du quai Branly 192 études et essais 16 2012 études et essais 193 Gilbert Rouget et la mission Ogooué-Congo (1946). Par Brice Gérard Gilbert Rouget et la mission Ogooué-Congo (1946) Institution et épistémologie dans l’histoire de l’ethnomusicologie en France par Brice Gérard Gilbert Rouget, ethnomusicologue né en 1916 et assistant d’André Schaeffner au musée de l’Homme depuis 1942, a participé à la mission Ogooué-Congo en 1946. L ’analyse de plusieurs documents inédits, en particulier ses notes de terrain, et le contenu de différents entretiens permettent de décrire les contours épistémologiques d’une articulation spécii que entre ethnographie et utilisation des techniques d’enregistrement sonore, de manière à situer plus globalement la mission Ogooué-Congo dans l’histoire de l’ethnomusicologie, domaine de savoir alors en cours d’institutionnalisation en France. mots clés Gilbert Rouget, mission Ogooué-Congo, histoire de l’ethnomusicologie, institutionnalisation, épistémologie 194 études et essais Gilbert Rouget, ethnomusicologue né en 1916 et assistant d’André Schaeffner au musée de l’Homme depuis 1942, a participé de juillet à décembre 1946 à la mission Ogooué-Congo, qui a parcouru depuis Brazza- ville diverses régions des colonies françaises du Moyen-Congo (aujourd’hui république du Congo) et du Gabon. Ses membres ont notamment séjourné à proximité des pygmées babinga pendant six semaines, avant de gagner le Gabon et de descendre le l euve Ogooué de Franceville à Lambaréné 1. Quelques témoignages écrits, principalement ceux de Noël Ballif, l’organisateur de la mission, permettent de découvrir différents épisodes de cette expédition pluridisciplinaire, au sein de laquelle Rouget était le seul spécialiste de la musique (Ballif 1954, 1992 ; Hartweg 1961). Je souhaite évaluer, en me concentrant sur son activité, l’importance de la mission Ogooué-Congo dans l’histoire de l’ethnomusicologie en France et contribuer ainsi à l’histoire de cette discipline 2. Dans l’ouvrage collectif intitulé Qu’est-ce qu’une discipline ? (Boutier, Passeron et Revel 2006), différentes contributions permettent de retenir, comme point de départ d’une rél exion sur la notion de discipline, trois dimensions qui lui sont attachées : les dimensions institutionnelle, pédagogique et, de façon plus problématique, la dimension partagée du collectif. Sur ce point, Jean-Louis Fabiani propose en particulier une relecture de l’œuvre de Thomas Kuhn en s’arrêtant sur les notions de paradigme et de matrice disciplinaire, puis rend compte de certains travaux de Jean- Claude Passeron pour qui le régime des sciences sociales relève davantage de la pluralité théorique, c’est-à-dire de la « coexistence plus ou moins pacii que de plusieurs formes d’articulation entre des collectifs et des objets » (Fabiani 2006 : 22). La mission Ogooué-Congo s’inscrit clairement dans un processus d’institutionnalisation inauguré en 1929, quand Schaeffner entre au musée d’Ethnographie du Trocadéro (qui deviendra le musée de l’Homme en 1937) pour s’occuper des instruments de musique présents dans les collections et créer à cette occasion un service d’organologie, appelé par la suite département d’Ethnologie musicale (1933), puis département d’Ethno- musicologie (1954). Schaeffner fonde en particulier en 1932, au sein du même département, une phonothèque dont les collections se sont progres- sivement enrichies. Mes recherches m’incitent par ailleurs à considérer qu’une première période dans ce processus d’institutionnalisation s’achève en 1961, quand la VIe section (sciences sociales) de l’École pratique des hautes études, sur une proposition de Claude Lévi-Strauss, organise le premier enseignement spécialisé en ethnomusicologie. Celle-ci semble alors pleinement constituée en discipline sur les plans institutionnel et péda- gogique ; mais une discipline ne se réduit pas à ces deux dimensions. Les rél exions sur la dimension partagée du collectif sont indissociables d’une interrogation plus globale sur l’articulation entre les identités épis- témologiques et les frontières institutionnelles, dans le sillage du livre de Passeron Le Raisonnement sociologique. Un espace non poppérien de l’argumentation (2006 [1991]), qui démontre l’indiscernabilité épistémo- logique de l’anthropologie, de la sociologie et de l’histoire. 195 Gilbert Rouget et la mission Ogooué-Congo (1946). Par Brice Gérard Différentes sources inédites permettent précisément d’étudier et de comprendre l’épistémologie engagée dans les travaux de Rouget en mission en 1946, au premier rang desquelles ses notes de terrain. Il faut souligner dans cette perspective l’apport décisif de recherches qui, dans le cadre de l’histoire de l’anthropologie, ont accordé toute leur importance aux notes de terrain des ethnologues, d’abord en contexte anglo-saxon (Sanjek [éd.] 1990), puis en France depuis une journée d’étude organisée par Marion Abélès et Marie-Dominique Mouton en 1999 et prolongée par un dossier de Gradhiva intitulé « Archives et anthropologie » (Jamin et Zonabend [dir.] 2001-2002). Dans quelle mesure l’évocation précise de la mission Ogooué-Congo, replacée dans son contexte mais analysée en détail à partir de son propre protocole méthodologique, permet-elle de situer et de caractériser ce moment dans l’histoire d’un domaine de savoir en cours d’institutionnalisation ? Institution et objectifs Les activités de Rouget au musée de l’Homme, dans les quelques années qui précèdent son départ pour la mission Ogooué-Congo, sont direc- tement liées au développement de la phonothèque. Dans une lettre de juillet 1942, Henri Victor Vallois, qui dirige alors l’institution à la place de Paul Rivet, exilé en Colombie, précise par exemple que « M. Rouget a poursuivi l’établissement des i ches descriptives et l’analyse des fonds de disques d’Afrique (Soudan, Mauritanie, Somalies, Mozambique), et a commencé les i ches descriptives des collections d’instruments de musique : série de hautbois 3 ». À l’automne 1945, deux courriers de Thérèse Rivière, dont l’un est adressé à Germaine Tillion, montrent qu’il a été chargé d’effectuer, en vue d’une exposition temporaire sur l’Aurès, la gravure sur disque des cylindres enregistrés dix ans plus tôt par les deux jeunes femmes en mission dans cette région 4. Rouget a lui-même évoqué le caractère formateur de cet en- semble d’activités. Il a précisé dans un témoignage audiovisuel récent que Rivet, revenu d’Amérique latine à la Libération et devenu président de la Radiodiffusion française, avait consulté Schaeffner au sujet d’une grande expédition de prise de son à Madagascar en 1939, dont toute la musique gravée se trouvait stockée à la Radiodiffusion. Schaeffner avait suggéré à Rivet une édition sur disque, puis était lui-même parti en mission en Afrique après avoir chargé Rouget de « faire le job ». Ce dernier, en utilisant les notes « très intéressantes » prises par Schaeffner, réalisa ainsi sa première édition (30 disques, 60 faces). Il ajoute dans le même témoignage : « Sur quoi je suis parti à Ogooué-Congo et bien entendu je me suis dit : je vais faire la même chose. » (Jourdain 2008) Deux documents d’archive permettent de comprendre plus préci- sément ses objectifs à la veille de son départ en Afrique. Il s’agit d’abord de la demande par Rivet d’un ordre de mission pour Rouget et Raoul Hartweg 5 (fi g. 1). Le passage consacré au premier insiste sur l’importance de la collecte d’enregistrements sonores (500 faces de disque). 1. Je remercie vivement Gilbert Rouget d’avoir accepté de s’entretenir, parfois longuement, sur différents sujets et de m’avoir prêté plusieurs documents précieux, en particulier ses notes de terrain. Je remercie par ailleurs Esteban Buch et Bernard Lortat-Jacob pour leur lecture et leurs commentaires attentifs de ce texte. 2. Les travaux dans ce domaine sont rares et anciens. Un dossier constitué par Charles Boilès et Jean-Jacques Nattiez (1977) est souvent cité dans des synthèses plus récentes, par exemple dans la partie historique du Précis d’ethnomusicologie de Simha Arom et Frank Alvarez-Péreyre (2007). Une bibliographie plus abondante permet d’inscrire la musique dans une réfl exion élargie sur l’histoire des sciences humaines, comme l’illustre un numéro de la Revue d’histoire des sciences humaines (Campos, Donin et Keck [éd.] 2006), dont une partie est consacrée à Schaeffner. Pour une mise en perspective récente de l’épistémologie de Schaeffner dans l’histoire de l’ethnomusicologie, voir Gérard 2009. 3. Archives du musée de l’Homme (désormais AMH), bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle, Paris, 2 AM 1 A13b. 4. AMH, 2 AM 1 A14c. 5. AMH, 2 AM 1 1 D4c. 196 études et essais 197 Gilbert Rouget et la mission Ogooué-Congo (1946). Par Brice Gérard L’autre document est plus précis. Il s’agit d’un feuillet dont le texte n’est ni daté, ni signé, et qui se trouve aujourd’hui parmi les archives du musée de l’Homme, à l’intérieur d’une chemise blanche intitulée Département d’ethnologie musicale 6 (fi g. 2). Deux éléments autorisent l’utilisation de ce dernier document. D’une part, le contenu fait directement référence uploads/Litterature/ gerard-rouget-mission-ogooue-congo.pdf

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