Atelier de Restitution du Patrimoine & de l’ Ethnologie AR PE De la betterave a

Atelier de Restitution du Patrimoine & de l’ Ethnologie AR PE De la betterave au sucre Le Conseil départemental soutient la culture en Val d’Oise 2 3 L a betterave est une plante bisannuelle sarclée qui exige de bonnes terres plutôt argileuses, des labours profonds, un hersage méticuleux, des fumures riches et des apports d’engrais réguliers. Elle fait partie de l’assolement avec les céréales et les plantes fourragères. Les meilleures terres betteravières sont aussi les meilleures terres à blé, qui n’a nul besoin d’engrais s’il vient après la betterave. Pendant 150 ans, les cheminées de briques des sucreries et distilleries ont balisé les plateaux du Vexin et les plaines du Pays de France. Ce sont les derniers témoins de la révolution de la betterave à sucre qui a fait d’ouvriers agricoles des ouvriers d’industrie et attiré des saisonniers venus de toute l’Europe dans les campagnes du Val-d’Oise. En 1605, l’agronome Olivier de Serres a reconnu l’existence d’un principe doux et sucré dans la racine de la betterave. En 1747, Marggraf, chimiste berlinois, a établi l’identité de ce principe avec celui extrait de la canne à sucre et il a réussi à obtenir du sucre cristallisé. En 1799, son collègue Achard est arrivé à produire du sucre industriel en Prusse, en appliquant ses théories. En France, Henri de Vilmorin a expérimenté des sélections de graines et amélioré le procédé Achard. Du blocus continental au combat des deux sucres Le Blocus continental décidé en 1806 par Napoléon entraîne des problèmes d’approvisionnement et suscite des recherches opiniâtres pour fabriquer du sucre à partir de plantes européennes. L’empereur promet titres et récompenses à qui réussira. En 1812, l’industriel Benjamin Delessert ouvre à Passy une fabrique de sucre de betterave où il introduit des procédés nouveaux. Sur le rapport favorable de Jean- Antoine Chaptal, membre de l’Académie des Sciences, Napoléon crée cinq « écoles de fabrication du sucre de betterave » et ordonne l’ensemencement de 100 000 arpents, dont 2000 en Seine-et-Oise. L’administration impériale souligne l’intérêt de cette plante à la racine charnue, qui prépare la terre pour les céréales et peut servir de fourrage pour le bétail. En 1812, le maire de Roissy demande une licence pour établir une fabrique de sucre dans sa propriété. Il s’engage à produire au moins 10 000 kg de sucre brut en un an. En contrepartie, il est déchargé des droits d’octroi et exempté d’impôts sur sa production pendant quatre ans, au contraire des fabricants de sucre de canne. Toutefois, les huit exploitants installés en Seine- et-Oise peinent à imposer la betterave comme plante sucrière. En 1827, il n’existe plus que deux fabriques dans le département. À cette date, Roissy-en-France produit 80 000 kg de sucre brun. Des recherches sont menées pour améliorer les graines de betteraves importées jusque-là d’Allemagne, de Belgique, de Hollande, mais la fabrication du « sucre indigène » demeure une activité fragile, dépendante des cours du sucre de canne : c’est le « combat des deux sucres ». En 1837 et en 1840, suite aux protestations des producteurs de canne à sucre, le sucre indigène est taxé. Les petites sucreries ferment et un projet de loi défendu par Lamartine visant à interdire le commerce du sucre indigène échoue de peu ! 100 ans de production industrielle En 1850 en revanche, après l’abolition de l’esclavage dans les colonies, l’envolée des prix du sucre de canne provoque le développement de la production de sucre indigène. La hausse de la consommation, accompagnée de mesures fiscales protectionnistes, l’amélioration des rendements et de la richesse des racines en sucre, le développement du réseau de transport et le perfectionnement des procédés de fabrication garantissent désormais un profit certain aux pro- ducteurs. Entre 1860 et 1890, la betterave à sucre arrive au premier rang des cultures spécialisées. Elle est en effet particulièrement nutritive grâce aux sous-produits qui servent d’aliments pour le bétail (pulpes, mélasse et même collets). Collection particulière / DR. La cheminée et la bascule de l’ancienne distillerie de Gouzangrez en 1995. © Conseil départemental du Val-d’Oise, ARPE. Photo Pierre Gaudin. La sucrerie de Magny-en-Vexin vers 1910. © Conseil départemental du Val-d’Oise, ARPE. La culture de la betterave Si la betterave permet d’amender les sols, elle demande un façonnage poussé et une main d’œuvre importante. Le premier binage a lieu une fois les graines levées, fin avril-début mai. Puis c’est le démariage à la main, parfois confié à des enfants. En effet, la graine étant à l’époque polygerme, elle donne plusieurs plantules qu’il faut séparer et éliminer en partie pour ne laisser qu’une trentaine de plants au décamètre. Suit un deuxième binage à la houe, voire un troisième. 1ère de couv. en haut à gauche : Ouvrières agricoles dans un champ de betteraves à Puiseux-Pontoise, 1913. Collection particulière. D. R. 1ère de couv. en bas à gauche : Gouzangrez, 1992. © Conseil départemental du Val-d’Oise, ARPE. Photo G. Roche-Bernard. 1ère de couv. en haut à droite : La sucrerie d’Us. © Conseil départemental du Val-d’Oise, ARPE. 1ère de couv. en bas à droite : La distillerie de Montsoult. Collection particulière. D. R. La campagne sucrière débute en général à la Saint-Michel, le 29 septembre et dure trois mois. Des saisonniers non qualifiés et mal payés viennent renforcer les équipes permanentes : ils sont Picards, Camberlots de Cambrai, Belges, Bretons, Italiens, Polonais, Tchèques, Espagnols ou Portuguais. La sucrerie les loge et elle met une cantine à leur disposition. Chaque ouvrier agricole est chargé d’entretenir la portion de terrain qui lui a été attribuée. À l’automne, il effectue l’arrachage à la bêche à deux dents, parfois aidé d’une souleveuse à traction animale. Puis il assure le décolletage en coupant à la serpe la partie supérieure de la plante pour n’en garder que la racine. Les racines sont emmenées pour être pesées à la bascule, petite baraque située en plein champ le long des voies principales de chemin de fer. Après en avoir gratté un échantillon, le tareur mesure la teneur en sucre ou densité. C’est l’ouvrier le mieux payé de l’usine qui sait calculer la tare de manière avantageuse pour le sucrier, au dépend du cultivateur. Par la suite, pour éviter la pesée des véhicules et la tare, on adopte la pesée géométrique en évaluant les rendements sur pied. Les betteraves sont ensuite acheminées vers la râperie ou la sucrerie. Stockées dans des caniveaux, les betteraves sont acheminées jusqu’aux lavoirs. Un coupe- racines les réduit en tranches ou « cossettes » de 5-6 cm de long. Les déchargeurs ou bourreurs introduisent à la fourche ces fines lanières dans des vases clos, les « diffuseurs », où l’eau circule à contre-courant. Le « jus de diffusion », c’est- à-dire l’eau enrichie en sucre, sort à la tête du diffuseur et les cossettes épuisées de leur sucre sont récupérées en queue de diffuseur sous forme de pulpes pour l’alimentation du bétail. Épuré, le jus est filtré puis concentré en sirop par évaporation. La concentration se poursuit sous vide jusqu’à ce que le sirop soit sursaturé. Les pe- tits cristaux introduits sous forme de sucre-glace ne fondent pas mais grossissent : c’est la « cuite ». Cette cristallisation se prolonge à froid dans des malaxeurs avant que le conglomérat de cristaux et de sirop, « la masse cuite », soit envoyé dans des turbines où le sucre blanc est séparé des mélasses par centrifugation. La fabrication du sucre Collection particulière. D. R. La distillerie Alcool-Levure à Saint-Ouen-l’Aumône, devenue la distillerie Hauguel, 1993. © Conseil départemental du Val-d’Oise, ARPE. Photo Pierre Gaudin. Ouvrières agricoles dans un champ de betteraves à Puiseux-Pontoise, 1913. Collection particulière. D. R. 4 5 Longtemps, des chevaux ou des bœufs ont traîné dans les champs des tombereaux ou des citernes sur roues appelées calebasses, des conduits souterrains munis de pompes acheminant les jus de la râperie à la distillerie. En 1875, alors que la pluie ne cesse de tomber et que les chariots s’embourbent dans les champs, l’ingénieur Paul Decauville met au point un système portatif qui sauve la récolte. Il installe de petits segments de voies le long d’un rang de culture, sur lesquels circulent des wagons chargés de paniers. Une fois qu’ils sont pleins, il suffit de quelques hommes pour déplacer les traverses en bois de la voie (40 puis 60 cm d’écartement). Dès lors, tout le monde s’équipe, chaque sucrerie possédant son propre circuit. Celui de Goussainville, long de 15 km, dessert les exploitations agricoles de Bouqueval, Le Plessis- Gassot, Le Mesnil-Aubry et Fontenay-en-Parisis. Dans la plaine de France, le réseau betteravier atteint 120 km de long. À côté des ouvriers agricoles qui travaillent aux champs, dans la pluie, la boue et le gel, ceux qui travaillent à l’intérieur sont de véritables spécialistes. Ils sont chauleurs, broyeurs ou turbineurs, évaporeurs, cuiseurs ou « pharmaciens ». 7 La sucrerie de Goussainville vers 1910. Collection particulière. La sucrerie agricole de Goussainville « Il y avait aussi l’énorme quantité de boue qu’il y a dans cette période-là, où on charriait les betteraves, surtout aux abords de l’usine où il y avait carrément uploads/Industriel/ de-la-betterave-au-sucre.pdf

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