Éditions de Boccard 2009 persika 13 Les Histoires perses de Dinon et d’Héraclid

Éditions de Boccard 2009 persika 13 Les Histoires perses de Dinon et d’Héraclide Fragments édités, traduits et commentés par Dominique Lenfant De Boccard 11 rue de Médicis 75006 Paris téléphone : (33) 01 43 26 00 37 télécopie : (33) 01 43 54 85 83 deboccard@deboccard.com www.deboccard.com Conception graphique : Thierry Sarfis Réalisation : Salima Larabi, Collège de France isbn 978-2-7018-0255-8 © De Boccard 2009 5 1 Introduction C’est une originalité des Grecs que d’avoir si volontiers traité des peuples étrangers, que ce fût pour conter leur histoire ou pour décrire leurs mœurs. Parmi les sociétés qu’ils évoquèrent, les Perses occupent assurément une place de choix : les histoires qu’ils inspirèrent furent parmi les premières et ce furent aussi les plus détaillées. Pour le lecteur d’aujourd’hui, l’historien de la Perse par excellence est à première vue Hérodote, dont l’objectif affiché était certes d’exposer les causes de l’affrontement entre Grecs et Perses, mais qui remontait pour ce faire aux origines de l’empire, parcourant ainsi l’histoire de cette puissance depuis sa fondation par Cyrus jusqu’à la seconde guerre médique, non sans décrire au fil de son récit les populations tour à tour menacées ou soumises. Mais son Enquête ne fut ni la seule ni la première histoire perse qu’aient composée les Grecs : elle est simplement la seule qui soit directement conservée. Elle fut précédée et suivie de récits spécia- lement consacrés à la Perse, que les Grecs appelaient des Persica. Ce genre se développa du temps même de l’empire achéménide. Les trois premiers auteurs en furent, au ve siècle av. J.-C., Denys de Milet, Charon de Lampsaque et Hellanicos de Lesbos. Puis il y eut au ive siècle av. J.-C., après la publication de l’œuvre d’Hérodote, Ctésias de Cnide, Dinon de Colophon et Héraclide de Kymè . À l’époque moderne, l’interprétation des Persica s’est trouvée liée de près à trois problématiques. Tout d’abord, ces écrits ne  Une version préliminaire de cet ouvrage a été déposée à l’automne 2005 à l’université de Paris I - Panthéon Sorbonne dans un dossier d’habilitation à diriger des recherches. Elle a été soumise à l’appréciation d’un jury composé de Pierre Briant (Collège de France), Jean-Marie Bertrand (Paris I), Raymond Descat (Bordeaux III), Christian Jacob (CNRS), Amélie Kuhrt (University College London) et Guido Schepens (Katholieke Universiteit Leuven), dont les suggestions m’ont permis d’améliorer certains points. 6 Les Histoires perses de Dinon et d’Héraclide sont connus qu’à travers des « fragments », dont la nature exacte n’a pas toujours été prise en compte. Il ne s’agit jamais d’extraits, qui, issus du travail de simples copistes, seraient des morceaux de manuscrits mutilés, à l’image de ce que sont les fragments de papyrus (tradition directe). Sauf exception , les fragments litté- raires sont en fait des citations, allusions et paraphrases dues à des auteurs postérieurs, antiques ou byzantins, qui se sont référés à une œuvre aujourd’hui perdue en vue de réaliser leurs propres objec- tifs littéraires (tradition indirecte). Que ce type de témoignage ne puisse donner qu’une connaissance partielle, parfois inexacte et jamais représentative de l’œuvre d’origine, c’est une évidence que l’on a trop souvent négligée 2. Il convient désormais d’en tirer toutes les conséquences et de prendre en compte la nature d’une telle médiation, tant dans l’étude de chaque « fragment » que dans l’appréciation globale de chacun des ouvrages. L’étude des Persica s’est mêlée à une deuxième question, celle de l’histoire du genre historique et de son évolution générale. Comme Hérodote est volontiers considéré comme « le père de l’histoire » et que son œuvre est en outre intégralement conservée, l’analyse des Persica s’est souvent réduite à définir la relation de leurs auteurs avec son chef-d’œuvre, d’autant que ce dernier faisait une large place à la matière perse. Sur ces questions plane depuis longtemps l’ombre du plus grand savant du xxe siècle en matière J’ai eu l’occasion de présenter récemment ces six auteurs de Persica en des termes proches, mais beaucoup plus succincts (Lenfant 2007a). Sur les autres ouvrages désignés comme Persica dans la tradition littéraire, cf. Lenfant (à paraître – b). Denys : FGrHist 687 ; Charon : 687b ; Hellanicos : 687a ; Ctésias : 688 ; Dinon : 690 ; Héraclide : 689.  Dans le cas des Persica, la seule exception possible serait un fragment de papyrus, le F 8b de Ctésias (Lenfant 2004, p. 91), sur lequel on verra cependant ibid. p. clxxiv n. 707. 2 Schepens 1997, Lenfant 1999, avec bibliographie, Lenfant 2007b, p. 13-14. Il n’est cepen- dant pas rare qu’un tel oubli sous-tende encore des interprétations actuelles. 7 Introduction d’historiens grecs, Felix Jacoby, dont les idées ont eu une influence d’autant plus grande et durable qu’il avait une connaissance précise de centaines d’historiens perdus et que l’édition de leurs fragments s’accompagna pendant des décennies d’un effort d’interprétation sans précédent, qui allait de l’analyse du détail textuel à des vues synthétiques audacieuses . Le savant élabora dès le début du xxe siècle une construction schématique à la fois destinée à rendre compte de l’évolution du genre historique et à organiser le corpus de ses Fragmente der griechischen Historiker 2. Cette théorie, qui conduisait à distinguer cinq genres historiques présentant entre eux des liens chronologiques et organiques, aboutit à subordonner l’appréciation des Persica à un certain nombre de postulats contes- tables. Le savant considérait, par exemple, que les premiers de ces Persica, ceux de Denys de Milet, étaient principalement ethnogra- phiques et descriptifs. Ainsi pouvaient-ils faire le lien, en tant que description d’un peuple, entre la Périégèse d’Hécatée, description d’endroits divers, et l’ouvrage majeur d’Hérodote, qui passait lui- même de la description de peuples à la narration, suivant une évo- lution supposée nécessaire à la naissance d’une histoire digne de ce nom. Qui plus est, en classant Denys comme « ethnographe », on permettait à Hérodote de rester le premier « historien » .  Sur l’œuvre de Felix Jacoby, cf. Ampolo 2006. Sur l’étendue de son impact, cf. Schepens 1997, p. 164, et Marincola 1999, p. 283-284, qui souligne qu’on ne saurait guère surévaluer cette influence, déterminante dans la conception de presque tous les manuels d’historiographie grecque. 2 Jacoby 1909.  « By defining any work that treated a foreign land as ‘ethnography’, Jacoby effectively avoided any challenge to his notion that Herodotus was the first historian » (Marincola 1999, p. 297). Sur cette vision de Denys de Milet, cf. Jacoby 1909, p. 27-28, Marincola 1999, p. 285-6, 297. Ce dernier article analyse plus générale- ment, et de manière critique et lumineuse, la manière dont Jacoby a divisé le genre historique en sous-genres, les Persica relevant du sous-genre Ethnographie. 8 Les Histoires perses de Dinon et d’Héraclide Cette éminente position du « père de l’histoire » n’était pas moins marquée dans l’appréciation d’un auteur qui, comme Ctésias, lui était, au contraire, postérieur : Felix Jacoby n’interpréta guère ses Persica que par comparaison avec Hérodote, comme une tentative médiocre et ridicule de rivaliser avec lui et comme l’illus- tration de la dégradation du genre historique au ive siècle . Enfin, pour des auteurs de Persica comme Hellanicos et Charon, dont il était moins clair qu’ils fussent antérieurs ou pos- térieurs à Hérodote, leur position chronologique fut tout bon- nement déduite par le savant de sa théorie des genres : ces deux auteurs n’avaient-ils pas également écrit des chroniques de cités, que Jacoby classait dans le genre de l’histoire locale (Horographie), genre qu’il tenait pour nécessairement postérieur à Hérodote 2 ? Ainsi, les considérations de Felix Jacoby sur la chronologie des auteurs de Persica, sur les caractéristiques de leurs œuvres, voire sur leurs fondements, lui ont été largement inspirées par une construction théorique à caractère téléologique et par la place de choix qu’y occupait Hérodote. Elles ont été d’autant plus influen- tes qu’en dehors de Ctésias, les Persica n’ont été que rarement étudiés par la suite. Mais les recherches des dernières décennies ont largement remis en cause un certain nombre des postulats qui orientaient ainsi l’interprétation de manière arbitraire et condui- saient à des vues douteuses, réductrices, voire erronées. Troisième problématique, enfin, la possible contribution des Persica à l’histoire de l’empire perse : au cours des dernières décen- nies, les études achéménides se sont considérablement renouvelées, notamment sous l’impulsion des Achaemenid Workshops organi- sés par Heleen Sancisi-Weerdenburg et Amélie Kuhrt entre 1980 et 1990 et avec l’œuvre de Pierre Briant, dont la monumentale Histoire de l’empire perse parue en 1996 est l’aboutissement de plus  Jacoby 1922. Sur ce point de vue et ses avatars récents, voir infra p. 27-31. 2 Jacoby 1909, p. 49-59. 9 Introduction de vingt ans de recherches , qui n’ont pas cessé, du reste, avec la parution de cette synthèse. Ce renouvellement s’est traduit, entre autres choses, par la prise en compte la plus large possible des documentations non grecques et par une approche plus critique des discours grecs sur les Perses. De fait, pour être porteurs d’in- formations précieuses, car sans équivalent dans un domaine où la documentation est souvent indigente, les écrits grecs n’en sont uploads/Histoire/ les-histoires-perses-de-dinon-et-d-x27-heraclide.pdf

  • 33
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Fev 06, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
  • Taille du fichier 1.7951MB