Tous droits réservés © Association québécoise d'histoire politique; VLB Éditeur

Tous droits réservés © Association québécoise d'histoire politique; VLB Éditeur, 1999 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 01/29/2022 4:25 a.m. Bulletin d'histoire politique Histoire et idéologie Autour de la Révolution française, le débat entre Albert Soboul et François Furet Marc Bordeleau Instantanés de la vie politique aux États-Unis Volume 8, Number 1, Fall 1999 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1060401ar DOI: https://doi.org/10.7202/1060401ar See table of contents Publisher(s) Bulletin d'histoire politique Comeau & Nadeau Éditeurs ISSN 1201-0421 (print) 1929-7653 (digital) Explore this journal Cite this document Bordeleau, M. (1999). Histoire et idéologie : autour de la Révolution française, le débat entre Albert Soboul et François Furet. Bulletin d'histoire politique, 8(1), 210–222. https://doi.org/10.7202/1060401ar Histoire et Idéologie Autour de la Révolution française, le débat entre Albert Soboul et François Furet ••• Marc Bordeleau historien Au début des années 1970, éclatait en France une polémique autour de la Révolution française. Cette controverse prit la tournure d'une lutte per, sonnalisée entre deux historiens de la Révolution française, Albert Soboul et François Furet. Soboul ( 1914-1982) était membre du Parti communiste français (P.C.F.) et titulaire de la Chaire d'histoire de la Révolution française à la Sorbonne (Paris I). Il incarnait une certaine vision de la Révolution, dite sociale classique à tendance marxiste, que l'on peut résumer ainsi: la Révolution française était par essence une lutte des classes entre la noblesse et la bourgeoisie et par conséquent elle peut être définie comme une révo, lution bourgeoise et antiféodale en un bloc, à noyau paysan et à soutien populaire. Soboul et son interprétation, dite historiographie sociale clas, sique, furent la cible visée par les attaques «révisionnistes» de François Furet. Ce dernier était un ex-membre du P.C.F. et directeur, à l'époque de cette querelle, de la section d'histoire de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), rivale de la Sorbonne. Leur participation commune à l'idéologie communiste, pour Soboul toujours actuelle au moment de la polémique et pour Furet, chose du passé, n'est pas innocente. Ce fut un élé, ment important de cette controverse. Il y avait bien un enjeu intellectuel - il s'agissait de «comprendre» ou «penser» la Révolution - mais sur le fond ce débat était fortement idéologique et tournait autour du communisme et de l'idée de la révolution comme moyen de changement de la société. Idée qui obsède Furet, le conduisant à exorciser son passé communiste, comme nous le constatons par la publication en 1995 du Passé d'une illusion. Nous verrons dans ce texte comment Furet s'y est pris pour défaire l'in, terprétation soboulienne. Il y est parvenu, car aujourd'hui un certain tabou environne la production historique de Soboul et même de ses disciples alors que Furet sera «couronné» roi du Bicentenaire de 1989. Mais depuis un cer, tain temps le travail de Furet est sérieusement remis en question, son décès, survenu à l'été de 1997, ne faisant qu'accélérer les choses. Avec le recul, nous constatons que les attaques de Furet à l'égard de Soboul étaient davantage 210 Bulletin d'histoire politique, vol. 8, n° 1 d'ordre idéologique que scientifique, ce qui devrait nous faire réfléchir sur la valeur réelle de son travail d'historien et sur l'ostracisme qu'il fit subir à Soboul. D'abord les anglo-saxons L'interprétation sociale classique de la Révolution défendue par Soboul et avant lui par Albert Mathiez (1874-1932) et Georges Lefebvre (1874,1959) fut vivement attaquée à partir de 1954. Les historiens anglo-saxons, généralement anti,marxistes, anti,théoricistes et empiristes, amorcèrent l'at, taque. Ils remirent en cause l'utilité du marxisme dans les études révolution, naires ainsi que la définition de la bourgeoisie et de son rôle dans la Révolution. Ils se demandaient aussi, si la Révolution avait bien hâté l'avènement du capitalisme en France comme l'affirmaient les marxistes. À l'époque, ces attaques étaient destinées à Lefebvre; par la suite, quand des historiens français prendront la relève des anglo-saxons, elles se tourneront contre Soboul. À Londres en 1954, l'historien Alfred Cobban, choisissait comme thème de sa leçon inaugurale ce qu'il qualifiait de «mythe de la Révolution française» qu'il développa davantage dans son livre The social interpretation of the French Revolution. Pour lui, Lefebvre errait quand il affirmait le caractère social de la Révolution, car elle était selon lui, essentiellement politique avec des conséquences sociales et non l'inverse. Il trouve injustifiable la clas, sification de l'aristocratie, de la bourgeoisie et des sans-culottes en termes de classes sociales, voyant plutôt ces dernières comme des catégories politiques. Il déniait à la Révolution son caractère bourgeois et antiféodal et ne croyait pas qu'elle avait ouvert la voie au capitalisme. Il affirmait que la Révolution n'avait pas détruit le féodalisme, ce dernier étant déjà vétuste dans les années 1780. De plus, pour Cobban, la bourgeoisie ne formait pas cette classe d'entrepreneurs capitalistes, tel que définie par Lefebvre, mais plutôt une classe de propriétaires terriens, de rentiers et de fonctionnaires. Ainsi, c'est une classe déclinante qui allait conduire la Révolution et causer le retard de l'instauration du capitalisme en France. D'autres historiens tels que, George V. Taylor et Elisabeth Eisenstein, prirent la voie ouverte par Cobban tout en approfondissant les conclusions de leurs prédécesseurs 1• Les anglo-saxons en appelaient donc à une redéfini, tion de la terminologie utilisée en histoire de la Révolution et à un rejet de la théorie marxiste. Cet appel fut entendu outre-Atlantique. Les historiens français allaient reprendre cette terminologie. Dans ce courant «révision, niste», il ne faudrait pas oublier l'effort conjugué des historiens Robert Palmer (américain) et Jacques Godechot (France) afin d'intégrer la Révolution dans un ensemble «occidental ou atlantique», dont elle ne serait Association québécoise d'histoire politique 211 qu'une variante. Ensemble dans lequel circulaient les idées révolutionnaires à partir des Treize Colonies dès 1763, à Malte en 1798. Mais Palmer et Godechot étaient plutôt en accord, à quelques nuances près, avec l'interpré, tation sociale classique de la Révolution. Pour Soboul, Palmer et Godechot remettent en question le caractère spécifique et national de la Révolution et cherchent, en pleine Guerre Froide, une justification historique à l'Alliance Atlantique. Mais ces attaques anglo,saxonnes contre l'historiographie sociale classique de la Révolution et celles de Palmer et Godechot troublent peu Soboul. Les premiers sont des étrangers et la théorie «occidentaliste» des seconds ne l'a pas emporté en France, selon lui. Il en sera autrement quand des historiens français prendront le relais du révisionnisme anglo,saxon, Soboul devenant plus acariâtre. La lutte s'engageait 2• François Furet et le «révisionnisme» français. De ces historiens français, les plus connus à l'époque (1965,1970) étaient François Furet et Denis Richet. Ces derniers utilisèrent en grande partie l'arsenal théorique et argumentatif ébauché par les historiens anglo,saxons. Cette lutte entre historiens «classiques» et «révisionnistes» prit en France la tournure d'une lutte personnalisée entre François Furet et Albert Soboul. Le premier, ex,membre du P.C.F., disions,nous, où son dogmatisme stalinien fut remarqué par Emmanuel Le Roy Ladurie, par exemple, et le second, toujours membre, mais plutôt inactif et moins dogmatique qu'on l'eût cru ou qu'on voulait le croire. Cette participation au P.C.F. est une dimension importante de ce débat. Derrière les enjeux strictement intellectuels et scientifiques de ce débat se cachait une lutte franchement idéologique et politique, lui don, nant parfois une teinte dénuée d'élégance. Le tout débute avec la publication en 1965, 1966, d'un livre co,écrit par François Furet et Denis Richet intitulé La Révolution française. Dans ce livre, les deux auteurs revenaient à l'idée que la Révolution fut une révolution des Lumières, que 1 789 consistait en un télescopage de trois révolutions (la juridique, la citadine et la paysanne) et enfin, ils avancèrent la théorie d'un dérapage de la Révolution entre 1792, 1794, avec l'entrée des masses dans le jeu politique et le processus révolutionnaire. On serait alors passé d'une révolution des Lumières aristocratique et bourgeoise à une révolution popu, laire, violente et rétrograde, sans liens avec la précédente. Mais la controverse autour de ce livre ne viendra que plus tard, soit en 1970. Sauf pour le dérapage, ce livre était somme toute assez près de l'histo, riographie classique, Mathiez et Lefebvre n'ont,ils pas aussi proposé pour définir 1789 la rencontre de trois révolutions? De plus, les deux auteurs reconnaissaient le caractère bourgeois de celle,ci. Ce qui importe le plus est de savoir pourquoi Soboul et son disciple, l'historien communiste Claude 212 Bulletin d'histoire politique, vol. 8, n° 1 Mazauric, ont attendu si longtemps pour s'en prendre durement à ce livre et pourquoi ils l'ont fait ? C'est que l'esprit de Furet et de Richet avait évolué depuis la parution de ce livre. Dans leur évolution, ils rejetteront l'idée de la nécessité de la Révolution et son caractère bourgeois. Ce faisant, ils s'en pre, naient alors, selon Soboul, à «un demi,siècle d'historiographie» sinon à l'ensemble de celle,ci, de Barnave (révolutionnaire et historien de la uploads/Histoire/ autour-de-la-revolution-francaise-le-debat-entre-albert-soboul-et-francois-furet.pdf

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  • Publié le Sep 19, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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