ENVIRONNEMENT FISCAL DE L’ENTREPRISE EN TUNISIE Etude préparée par : Néji BACCO

ENVIRONNEMENT FISCAL DE L’ENTREPRISE EN TUNISIE Etude préparée par : Néji BACCOUCHE Professeur de droit public et directeur du Centre d’Etudes Fiscales de la Faculté de droit de Sfax Ce travail s’est largement inspiré d’une précédente étude préparée avec mes collègues Sami KRAEIM et Mohamed KOSSENTINI 2009 2 INTRODUCTION 1- La gravité de la récente crise financière et économique revitalise les débats sur les rapports entre l’entreprise et l’Etat. Dans ce cadre, la fiscalité est plus que jamais impliquée dans la stratégie fixée par les pouvoirs publics de tous les Etats pour sortir de la crise puisqu’elle est sollicitée pour soutenir les différents secteurs qui se trouvent confrontés à des difficultés dont l’ampleur est probablement sans précédent. Pourtant, les tenants du libéralisme ainsi que les entrepreneurs sont souvent hostiles à la fiscalisation et ne cessent de prôner la réduction des impôts. La réalité de la crise qui s’est aggravée en 2008 a toutefois conduit les opérateurs économiques à solliciter l’interventionnisme de la puissance publique. Dans tous les pays, le trésor public est sollicité et son intervention se traduit par l’explosion de l’endettement public faute de pouvoir augmenter les impôts dans le contexte de crise. Mais, un jour, l’impôt doit assurer le remboursement de cette dette. C’est dire que l’impôt est au cœur de la problématique des politiques publiques de développement aujourd’hui et demain. 2- L’Etat tunisien est un Etat de services publics par excellence. En l’absence de ressources semblables à celles dont disposent ses voisins, la Tunisie a impérativement besoin de ressources fiscales durables pour faire fonctionner ses innombrables services publics et accomplir sa politique de développement social équilibré et qui, quoique l’on dise, reste réellement exemplaire, du moins pour les pays en développement. De notre point de vue, c’est cette politique de redistribution et de transferts sociaux qui procure à la fois la stabilité et la légitimité aux institutions qui nous gouvernent. C’est pourquoi la législation fiscale doit être maniée avec beaucoup de prudence. Elle doit éviter un double écueil. D’un côté, elle doit éviter la lourdeur dont Ibn KHALDOUN avait décrit, depuis plus de six siècles, l’effet néfaste sur l’appareil de production et sur l’Etat lui-même1. De l’autre côté, elle doit éviter le nivellement fiscal par le bas que semble imposer une concurrence fiscale rude entre les divers pays et qui prive l’Etat de ses ressources nécessaires pour mener le développement global et assurer la cohésion sociale. 3- En 1382, IBN KHALDOUN disait que « Parfois le fisc prétend se tirer d’affaire en augmentant le taux des impôts, jusqu’au moment où la limite du possible est atteinte : le coût de la production est trop élevé, les impôts sont très lourds et tout espoir de gain demeure théorique. En conséquence, le revenu national continu à décroître, les impôts à augmenter dans l’espoir que ceci compensera cela. Finalement, la 1 IBN KHALDOUN, La Moukaddima, Chapitre 36. 3 chute de la civilisation suit la disparition de toute possibilité de production et c’est l’Etat qui en pâtit ». L’actualité de ses propos est telle qu’elle a inspiré le célèbre économiste LAFFER, conseiller du Président REGAN, pour établir la courbe, dite courbe de LAFFER qui met en exergue le caractère antiéconomique d’une fiscalité lourde. 4- Il est vrai que trop d’impôt tue l’impôt, mais il n’en reste pas moins vrai que peu d’impôt menace l’Etat et peut le tuer. Or, l’Etat est notre bien commun, il est devenu irremplaçable et son affaiblissement menace, en premier lieu, l’entreprise et ne sert aucune catégorie sociale ou autres entités. Le payement de l’impôt est un devoir « sacré » et son évitement frauduleux constitue, certes, un acte détestable, mais qui doit interpeller les gouvernants sur les raisons de sa non culpabilisation par la société. La fraude fiscale n’est malheureusement pas un acte socialement condamnable. Des personnes, parfois socialement considérées, se vantent de frauder le fisc mais ne se vantent jamais de voler un bien d’autrui autre que celui de l’Etat et ses démembrements. 5- Pour la Tunisie indépendante, l’amélioration du cadre juridique de l’entreprise a toujours constitué une préoccupation majeure des pouvoirs publics depuis l’option pour la libéralisation de l’économie entamée en 1970 sous la conduite du premier ministre, Monsieur Hédi NOUIRA. Plus tard, l’évolution de l’environnement juridique et fiscal de l’entreprise en Tunisie a été poussée grâce à deux accélérateurs : 6- Le premier consiste dans le plan d’ajustement structurel, ayant favorisé l’évolution de l’économie nationale, d’une économie administrée vers une économie de l’entreprise qui opère dans un milieu concurrentiel. Depuis le début des années 1970, la Tunisie s’est engagée dans une politique caractérisée par la réorientation de l'économie vers l'encouragement de l'entreprise privée, la libéralisation économique et l'ouverture sur l'extérieur. Cette même politique s’est consolidée, depuis 1986, par l’adoption d’un programme d'ajustement structurel, qui a constitué la base du VIIème Plan de développement économique et social (1987-1991). Le changement politique survenu en 1987 a relancé le programme d'ajustement structurel et a rendu possible la mise en oeuvre, entre autres, de profondes réformes fiscales qui ont accompagné la libéralisation et l’ouverture effective sur l’extérieur2. Grâce à ces réformes, la Tunisie a pu devenir, en 2 Révision des codes d'investissement en direction d'une libéralisation de l'investissement et des procédures, libéralisation progressive des prix à la production et à la distribution, libéralisation progressive des importations, révision de la fiscalité par l'institution de la taxe sur la valeur ajoutée et l'impôt unique sur les revenus, réforme du système monétaire et financier et révision du rôle de l'Etat et de ses moyens d'intervention dans la vie publique, par le biais d'un désengagement progressif de son rôle d'opérateur en faveur du secteur privé 4 1990, membre du GATT. Elle a signé, en tant que membre fondateur, les accords GATT / OMC en 1994. 7- Le second accélérateur consiste dans les exigences imposées par la conclusion d’un accord d’association avec l’Union Européenne consécutive à la signature des accords du GATT/OMC3. Le rapprochement et l’harmonisation de la législation tunisienne avec les législations des pays de la communauté européenne sont devenus une exigence explicitement posée par l’article 52 de l’Accord d’association. La Tunisie avait intérêt à harmoniser sa législation avec celle des pays partenaires et l’Union Européenne s’est engagée à soutenir ses efforts à cet effet. 8- Dans ce nouveau contexte, la prise en considération des règles de bonne gouvernance de l’entreprise dans les pays partenaires de la Tunisie, est devenue une nécessité absolue pour permettre à l’entreprise tunisienne d’être compétitive et d’agir, ainsi, dans un monde devenu aujourd’hui presque sans frontières économiques4. La fiscalité est alors devenue l’un des facteurs déterminants de l’activité de l’entreprise et de sa compétitivité compte tenu du coût fiscal de plus en plus élevé dans le coût global des biens et services. La compétitivité de ces derniers dépend, entre autres, de la compétitivité du système fiscal. L’ouverture sur l’extérieur impose alors la comparaison entre les systèmes fiscaux qui conditionnent l’activité économique. Dès lors, il devient incontournable de rapprocher les coûts fiscaux supportés par les produits et services, en Tunisie, de ceux en vigueur dans les pays partenaires et concurrents. Le poids de la fiscalité est devenu un déterminant que l’investisseur ne peut ignorer. C’est pourquoi l’on parle de l’ingénierie fiscale qui est l’une des composantes de l’ingénierie financière. 9- Outre son impact sur les choix et décisions faits par l’entreprise, le système d’imposition est l’un des facteurs que l’entreprise doit pouvoir maîtriser afin de fixer sa stratégie économique et d’assurer sa bonne gouvernance. Le régime fiscal auquel est soumise l’entreprise, la nature de la relation entre l’entreprise et l’administration fiscale, l’assiette, le taux, le recouvrement et l’effectivité des règles fiscales et leur justesse, 3 La Tunisie a été le premier pays tiers-méditerranéen à conclure un accord d’association avec l’Union européenne en 1995. Néji BACCOUCHE, Les implications de l’accord d’association sur le droit fiscal et douanier, in Mélanges Habib AYADI, op. cit. p. 5. 4 Les pouvoirs publics ont entrepris depuis quelques années des mesures pour améliorer le cadre juridique régissant l’entreprise dans toutes les phases de sa vie juridique : création, fonctionnement, disparition… Les réformes jusque là apportées ont été principalement influencées par les mesures convergentes récemment prises, partout dans le monde, pour consolider l’entreprise et lui permettre, le cas échéant, de faire face à la crise économique et/ou financière. Cette crise déclenchée depuis 2007, est due, entre autres, à une mauvaise gouvernance de l’entreprise et à l’absence d’éthique et de régulation suffisantes pour pallier les dérapages au rythme desquels nous vivons depuis quelques années. 5 influencent dans une large mesure, non seulement le fonctionnement interne de l’entreprise, mais aussi l’accomplissement par cette dernière de ses obligations fiscales vis- à-vis de l’Etat. La perception de la fiscalité par les opérateurs économiques est importante et elle impose à l’Etat de soigner l’image du fisc et d’avoir une politique de marketing à cet effet. 10- L’obligation de transparence pèse non seulement sur l’entreprise, mais aussi sur l’administration fiscale. Or, il semble que la transparence fiscale (que nous utilisons non pas au sens technique qui signifie l’imposition des membres uploads/Finance/environnement-fiscal-de-l-x27-entreprise-en-tunisie-neji-baccouche.pdf

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  • Publié le Oct 08, 2021
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