Le Code civil de Louisiane en français: traduction et retraduction Olivier Moré

Le Code civil de Louisiane en français: traduction et retraduction Olivier Moréteau Louisiana State University Law Center, Baton Rouge, États-Unis moreteau@lsu.edu À la mémoire de Ti-Jean Hernandez, Ami passionné de la francophonie À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 REVUE INTERNATIONALE DE SÉMIOTIQUE JURIDIQUE, 2014 The final publication is available at Springer via http://dx.doi.org/10.1007/s11196-014-9391-8 RÉSUMÉ Les premiers codes de Louisiane (1808 et 1825) furent rédigés en français et traduits en anglais. À l’occasion de la révision de 1870, le Code civil fut publié en anglais seulement. Les révisions récentes, bien sûr en anglais, veillent à promouvoir un vocabulaire civiliste qui se distingue de celui de la common law. Cet article discute le travail de traduction du Code civil de Louisiane de l’anglais vers le français dans le contexte du profond déclin et d’un réveil limité de la francophonie en Louisiane. Il explore l’intérêt du projet et sa mise en œuvre, détaillant chaque étape et identifiant les difficultés linguistiques et juridiques, ainsi que les ressources utilisées. L’objectif étant de produire une traduction authentiquement louisianaise, la traduction remonte aux sources françaises originelles chaque fois que le texte a peu évolué ou a été reproduit, afin de retrouver la lettre des origines, dans un processus de retraduction. Lorsque les textes ont été substantiellement réécrits mais restent dans la logique et la stylistique du système civiliste, la traduction se veut fidèle à l’esprit des origines. En revanche, lorsque le législateur emprunte la substance et le style de la common law, comme il le fait parfois, la lettre surabondante vient tuer l’esprit civiliste qui peine alors à vitaliser la traduction. ABSTRACT The first codes of Louisiana (1808 and 1825) were written in French and translated into English. The revised Civil Code of 1870 was written in English only. Recent revisions, all in English, aim at promoting a civilian vocabulary, markedly distinct from the common law vocabulary. This À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 2 article discusses the translation of the Louisiana Civil Code from English into French in the context of the steep decline and limited revival of French language usage in Louisiana. It features the purpose and the step-by-step implementation of the translation project, identifying linguistic and legal challenges and resources relied on. The aim is to produce a truly Louisianan translation. Translators therefore resort to original French sources whenever the text has not sligthly evolved or was simply reproduced. The process may then be described as retranslation, aiming at reviving the original language. Where texts have been substantially rewritten, yet still reflect civilian logic and style, the translation aims at echoing the spirit of the Code. However, in the several occasions where the drafters borrowed common law substance and style, the civilian spirit may no longer vivify the translation, as it is obscured by an overabundance of language. MOTS-CLÉS/KEY WORDS Code civil, Louisiane, Traduction, Anglais, Français Civil Code, Louisiana, Translation, English, French L’histoire jurilinguistique de la Louisiane est singulière. Le 18e état des États-Unis, admis dans l’Union il y a deux cents ans, en 1812, neuf ans après la cession de la Louisiane par la France, a connu un Code civil rédigé en français et traduit en anglais, pour être publié en la forme d’un Digeste bilingue des lois civiles (1808), avant d’être réécrit de la même façon pour devenir un Code civil bilingue en 1825. Entièrement révisé en 1870, le texte fut publié en anglais seulement. Révisé titre par titre au cours des récentes décennies, le Code civil n’a plus connu de version française jusqu’à une période toute récente. Le travail de traduction commenté dans cet article est un vrai travail de traduction, puisqu’il s’agit de traduire de l’anglais vers le français tous les nouveaux développements, qui n’existaient pas dans les versions françaises d’origine. Il est aussi un travail de retraduction, au moins pour les parties du texte remontant à 1825 ou 1808, l’anglais actuel n’étant autre chose que le produit dérivé d’une traduction du français vers l’anglais. La Louisiane fut la première région au monde à se doter d’un Code civil dans la foulée de la codification française, et ce fut le premier code civil de l’hémisphère occidental. Ce premier code bilingue fut adopté dans un territoire encore largement monolingue. Rédigé en français, le code fut traduit en anglais et promulgué dans les deux langues, de manière à être accessible aux Américains anglophones émigrants en nombre vers La Nouvelle-Orléans à la suite de la cession du territoire par la France aux États-Unis en 1803. À l’issue de la Guerre de Sécession, alors que la Louisiane était devenue bilingue, le monolinguisme fut imposé, le Code civil étant réécrit en anglais seulement lors de la grande révision de 1870. La Louisiane a largement perdu la langue française, tout en conservant le droit civil qu’elle pratique en anglais. La première partie de cet article explique le passage d’un code bilingue pour une Louisiane largement monolingue à un code monolingue pour une Louisiane devenue bilingue, ce À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 3 qui est une évolution pour le moins paradoxale. La deuxième partie cherche à vérifier si le projet de (re)traduire le Code civil louisianais de l’anglais vers le français marque ou non un retour vers le bilinguisme. Le projet de traduction et de retraduction du Code civil de Louisiane en français, entrepris par le Centre de droit civil de la Louisiana State University (LSU), rendra le Code davantage accessible à une minorité francophone devenue bilingue, car il n’est plus possible aujourd’hui de participer à la vie économique et sociale louisianaise sans la pratique de l’anglais. Parler d’un retour au bilinguisme afin de promouvoir les droits d’une minorité linguistique serait excessif, le discours institutionnel sur la francophonie en Louisiane mettant plutôt l’accent sur les finalités culturelles, économiques et touristiques1. Même si elle est saluée par les francophones de Louisiane, et notamment par les membres de la section francophone du Barreau de l’état, la traduction du Code en français aura un impact local limité, du fait de la pratique aujourd’hui universelle de l’anglais en Louisiane. Sans prétendre à l’ampleur de l’expérience canadienne, la Louisiane contribue de manière significative à la traduction de textes juridiques. Les efforts de traduction consentis par l’état allaient jusqu’ici dans le sens de la traduction de textes français vers l’anglais, au XIXe siècle par la traduction des codes rédigés en français, puis au XXe siècle par celle de monuments de la littérature juridique française contemporaine, afin de nourrir la pensée des civilistes louisianais. Le présent projet conduit au XXIe siècle va à rebours des travaux de traduction jusqu’ici entrepris en Louisiane : la traduction va cette fois de l’anglais vers le français. C’est ce travail en cours qui vient alimenter la réflexion conduite dans cet article, dont la troisième partie offre un pré inventaire de qui traduit quoi en Louisiane. Contrairement à l’usage, il est demandé au maître d’œuvre de commenter son travail. N’est-ce pas prendre le risque de le voir soumettre un manifeste, un ouvrage de propagande ? Si l’auteur s’attache à défendre son projet, il tient avant tout à livrer une série de réflexions qui faciliteront le travail des critiques et des commentateurs. À cette fin, il retrace l’odyssée de la langue française et de la tradition civiliste en Louisiane, et replace le projet dans le contexte des traductions louisianaises. 1 Le site du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL, <www.codofil.org>, consulté le 22 octobre 2012) affiche le texte suivant: « D’après le recensement de 1990, à peu près 250,000 louisianais ont répondu que le français était la langue principale parlée chez eux. Le recensement de 2000 montre 198,784 francophones louisianais qui ont plus de 5 ans, incluant 4,470 personnes qui parlent le français Créole. Le Conseil pour le développement du français en Louisiane a été créé en 1968 par un acte de la législature. L’objectif de cet acte était de préserver ce noyau de francophones qui existait déjà en Louisiane. D'après l'Acte 409, le Gouverneur de Louisiane a «…le pouvoir d'établir le Conseil pour le Développement du Français Louisianais, telle agence de consister en 50 membres maximum, y compris le Chef...». Le CODOFIL a le pouvoir de « faire tout ce qui est nécessaire pour encourager le développement, l'utilisation et la préservation du français tel qu'il existe en Louisiane pour le plus grand bien culturel, économique et touristique pour l'état ». Par la suite, le nom de l'agence est devenu le Conseil pour le Développement du Français en Louisiane. » À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 4 Le Code civil louisianais tel qu’il se présente en 2014 a été modifié à plus de 75%. Trois types de dispositions peuvent être identifiés, et c’est autour de cette trilogie que s’organisent les premières réflexions d’un (re)traducteur, dans la quatrième partie de l’article. Il y a tout d’abord des dispositions qui n’ont pas été retouchées ou l’ont été de manière minime. Les traducteurs se doivent alors d’être fidèles à la uploads/S4/ le-code-civil-de-louisiane-en-francais-academia-pdf.pdf

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  • Publié le Fev 17, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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