* Maître de conférences à la Faculté de droit et d’économie de Chambéry, Univer

* Maître de conférences à la Faculté de droit et d’économie de Chambéry, Université de Savoie. Critique des théories de la formation du contrat. Étude de droit civil français Sébastien Pimont* Résumé Ce bref article présente une critique des théories de la formation du contrat, comme celle de l’offre ou de la promesse unilatérale de contrat. Tout d’abord, il relève que ces théories sont insuffi santes et contradictoires. En dépit de leur raffi - nement et de leur rationalité, elles ne convainquent pas la Cour de cassation qui refuse de leur faire produire leur plein effet ; quant à la doctrine, au lieu d’aligner ses constructions sur l’évolu- tion de la jurisprudence, elle critique ou ignore les arrêts incompatibles avec son discours. Et cela, alors qu’il lui serait pos- sible, à partir des arrêts de la Cour de cassation, de formuler une sorte de contre-théorie de la formation du contrat. Une telle attitude appelle une autre ana- lyse. Une analyse qui porte sur la structure du discours doctrinal : sur ses principes et, corrélativement, sur ses limites. Abstract This brief article offers a critical analysis of the contract formation theo- ries. First, it shows that the theories are both inadequate and contradictory. Despite their sophistication and rational- ity, they fail to convince the Cour de cas- sation which refuses to draw all their inferences; as to the doctrine, instead of modeling their work on the evolution of precedents, it criticises or ignores the cases which are not compatible with its discourse. A possible alternative would be to build a sort of counter-theory of contract formation on the decisions of the Cour de cassation. This attitude sug- gests a new analysis. An analysis which focuses on the structure of the doctrine’s discourse: its principles and, in correla- tion, its limits. 121 Plan de l’article Introduction ............................................................................................. 125 I. Les insuffi sances des théories relatives à la formation du contrat ........................................................................................ 128 A. Réception des théories par la jurisprudence ............................ 128 B. Réception de la jurisprudence par la doctrine ......................... 132 C. Relecture de la jurisprudence relative à la formation du contrat .................................................................................. 134 II. Les limites des théories relatives à la formation du contrat ....... 137 A. Besoin de sécurité juridique ..................................................... 138 B. Respect de la règle morale ........................................................ 140 C. Croyance en la vérité du droit .................................................. 142 Conclusion ............................................................................................... 143 Critique des théories de la formation du contrat 125 Le désordre du droit civil de la formation du contrat. Le Code civil fran- çais, qui organise son plan autour des sources des obligations civiles1, ignore la période précontractuelle. Comme le faisait Pothier2, et avant lui Grotius3, les rédacteurs du Code ont abandonné la formation du contrat à l’empire du seul droit naturel4. Et pourtant, d’un point de vue écono- mique, ce moment est crucial ; alors s’exerce l’alchimie du marché : la ren- contre de l’offre et de la demande. Parce que le silence du Code était intenable, la jurisprudence, à coup d’arrêts, et la doctrine du xixe siècle, traités de Pothier en main, puis celle du xxe siècle, inspirée par le pandec- tisme, ont organisé le processus de formation du contrat. Deux cents ans après, l’œuvre des interprètes de la loi civile mérite d’être revisitée. Au premier regard, le désordre du droit civil actuel frappe l’esprit. On trouve ainsi dans la jurisprudence de la Cour de cassation des matériaux permettant de construire non pas une, mais plusieurs théories de la for- mation du contrat. La promesse unilatérale de contrat, l’offre et l’accepta- tion nourrissent différentes constructions doctrinales dont l’objet est de faciliter la rencontre des volontés en interdisant à celui qui promet (ou qui offre) de se rétracter. Or, l’addition de ces théories ne fait pas système5. Ainsi, le rapprochement du régime de l’offre et de celui de la promesse de contrat contredit la théorie des sources des obligations : alors que, selon le Code civil, l’offre n’oblige pas, elle semble, selon l’interprétation majori- taire de quelques arrêts de la Cour de cassation, produire autant (et même parfois plus) d’effets que la promesse de contrat qui est pourtant déjà un contrat6. Plus gravement, en dépit d’une telle profusion conceptuelle, ni la théorie de l’offre, ni celle de la promesse de contrat ne semblent totalement 1 Voir : Philippe Rémy, « Réviser le Titre III du Livre troisième du Code civil ? », R.D.C. 2004.4.1169, 1176. 2 Traité des obligations, Œuvres de Pothier, annotées par Jean-Joseph Bugnet, t. 2, Paris, Henri Plon, 1861, no 4. 3 Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. P. Pradier-Fodéré, éd. par D. Alland et S. Goyard-Favre, coll. « Léviathan », Paris, PUF, 1999, p. 318 et suiv. 4 Voir : Charles Bonaventure Marie Toullier, Le droit civil français suivant l’ordre du Code, t. 6, Paris, Warée, 1824, no 9. 5 Voir : Sébastien Pimont, « Entre promesses et actes unilatéraux, les théories de la for- mation du contrat », dans Michel Boudot, Paolo Vecci et Didier Veillon (dir.), Pro- messes et actes unilatéraux, 7èmes journées d’études Poitiers – Roma, Paris, L.G.D.J., coll. « Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers », 2010 (à paraître). 6 Jacques Flour, Jean-Luc Aubert et Éric Savaux, Droit civil. Les obligations. 1. L’acte juridique, 10e éd., Paris, Armand Collin, 2002, no 140, note no 3. 126 (2010) 44-3 R.J.T. 121 convaincre le juge. Pour le dire autrement, quelle que soit la qualifi cation choisie (offre ou promesse), la rencontre des volontés est souvent empê- chée par la jurisprudence de la Cour de cassation elle-même. Aux visas de l’article 1142, de l’article 1382, voire de l’article 1147 du Code civil, de nombreux arrêts interdisent la formation d’un contrat ou reviennent sur les effets d’un contrat pourtant légalement formé ; ils privilégient la liberté de ne pas contracter. Témoignant de l’existence de tendances contradic- toires en droit positif7, de telles décisions obligent à s’interroger sur la cohérence du droit français de la formation du contrat – sur sa systémati- cité. À ce propos, ce bref article présentera deux hypothèses liées. Première hypothèse. La première est que le droit positif de la formation du contrat est irréductible aux théories doctrinales qui, pourtant, le syn- thétisent. À partir de la jurisprudence française relative à la période pré- contractuelle, il est non seulement possible de construire plusieurs théories de la formation du contrat (théorie de l’offre, théorie de la promesse de contrat), mais il est aussi imaginable d’induire une sorte de contre-théorie de la formation du contrat. De quoi s’agit-il ? Nous appelons ainsi la construction juridique articulée autour du principe selon lequel, pour le juge du contrat, la protection de la liberté (précontractuelle) prime la for- mation du contrat et l’emporte même parfois sur le respect de la norme contractuelle. Précisons. Nous n’entendons pas, dans cet article, critiquer la (ou les) théorie(s) de la formation du contrat à un niveau méthodolo- gique en l’ (les) opposant à une approche plus pragmatique : un droit exclusivement pensé en terme de « jurisprudence des intérêts », de « balance des intérêts » ou de « politique juridictionnelle ». Nous voulons simple- ment montrer qu’il existe dans les arrêts de la Cour de cassation française les matériaux permettant d’induire des principes et, plus largement une construction juridique qui, au lieu d’organiser l’aliénation de la liberté (au nom de Dieu, de la raison ou de la loi) d’une partie au profi t d’une autre (cause de l’obligation civile) protège cette liberté en empêchant ou en revenant sur les effets de son aliénation. Seconde hypothèse. La seconde hypothèse que nous voulons présenter, tout en traitant du même phénomène, se situe à un autre niveau – celui d’un discours sur le discours doctrinal, « doctrine de la doctrine » si l’on 7 Rapprocher : Denis Mazeaud, « Mystères et paradoxes de la période précontractuelle », dans Le contrat à la fi n du xxe siècle. Études offertes à Jacques Ghestin, Paris, L.G.D.J., 2001, p. 637 et suiv. Critique des théories de la formation du contrat 127 veut8. Son point de départ est une question : pourquoi la doctrine critique- t-elle ou minore-t-elle presque systématiquement la portée des arrêts qui pourraient alimenter une critique des théories de la formation du contrat ? Plusieurs raisons l’expliquent. Ces arrêts heurtent au moins trois idées structurant implicitement le travail doctrinal civiliste. D’une part, ils portent atteinte à la sécurité des transactions. Or, c’est au nom de cette exigence que la doctrine formalise le droit en confectionnant des théories générales9. D’autre part, les solutions de ces arrêts heurtent la règle morale selon laquelle chacun doit tenir sa parole ; ce qui incite sans doute à la méfi ance dans leur interprétation. Enfi n, la mise en exergue de ces arrêts irréductibles aux théories dominantes, conduirait à douter de la vérité du droit. Cela voudrait dire que la ou les théorie(s) de la formation du contrat ne sont pas « vraies » ou « positives » en ce sens qu’elle ne refl ètent pas tous les uploads/S4/ critique-des-theories-de-la-formation-du-contrat-etude-de-droit-civil-francais.pdf

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  • Publié le Dec 09, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.2026MB