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0 breve 0 site web 16 auteurs Statistiques visites : aujourdhui hier depuis debut 25 12 2008 | Etienne Balibar Crime privé, folie publique Contribution au volume collectif Le Citoyen fou, coordonné par N. Robatel, Nouvelle Encyclopédie Diderot, P.U.F. 1991 Eclairer les questions que posent aujourd’hui les rapports de la folie et de la justice, en les confrontant avec l’héritage de la Révolution française : un tel projet, s’il ne se limite pas aux exercices de style qu’induisent certaines commémorations, est paradoxal à plusieurs égards. En effet, ce qui suscite les discussions sur la fonction du psychiatre dans le déroulement du procès judiciaire ou sur l’incidence du jugement de capacité civile dans le "traitement" de la maladie mentale, c’est une fois de plus la perspective d’une refonte du Code Pénal (incluant celle du fameux article 64 qui assigne à la "démence" - ou, version mise à jour, au "trouble psychique ou neuro-psychique" - la fonction de principal opérateur d’annulation du crime et du délit, soit dans sa réalité juridique, soit dans ses conséquences), et c’est celle d’une modification de la loi de 1838 (à défaut de sa suppression pure et simple, en tant que loi exceptant les fous ou malades mentaux du droit commun des personnes). [1] Or, premièrement, le fait est que ce corps juridique n’est pas le "produit" de la période révolutionnaire, moins encore le prolongement direct de sa "pratique" politique et discursive. Il renvoie, d’une part, à l’édification par le régime impérial de l’armature des grands "codes" réorganisant l’administration et la société civile par delà la tourmente politique et l’effondrement momentané de l’ordre public ; et d’autre part à la mise en place, par la Monarchie de Juillet, des institutions du libéralisme à la française, dont la "culture de gouvernement" avait pour mot d’ordre : terminer la révolution. Naturellement, cette constatation du décalage entre les orientations du moment révolutionnaire et les origines réelles de l’appareil psychiatrique et judiciaire "moderne", ne saurait épuiser le débat. Car on peut et on doit se demander quelles contraintes irréversibles la Révolution a imposées à toute pratique ultérieure d’institution des rapports sociaux 페이지 4 / 25 Crime privé, folie publique - CIEPFC : Centre International d'Etude de la Philosophi... 2010-11-30 http://www.ciepfc.fr/spip.php?article22 (laquelle précisément est une pratique de réorganisation de la société, accomplie par des hommes qui se sont faits dans l’expérience révolutionnaire ou en sont issus, qu’il s’agisse de Pinel ou de Napoléon, de Guizot ou d’Esquirol). Et on doit aussi se demander quelle est la part de la continuité réelle, quelle est celle de l’efficacité symbolique dans la façon dont, depuis deux cents ans ou presque, tout mouvement de réforme invoque à l’encontre de l’institution les principes, l’esprit, la logique de la Révolution ou de tel de ses moments typiques (à commencer, référence fondatrice par excellence, par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) ... Mais précisément, c’est le deuxième paradoxe. Comme on se plait à le répéter depuis des décennies, le système de pratiques sociales et d’institutions qui "traitent" aujourd’hui ce qu’on en est venu à appeler globalement la déviance (terme sur lequel il nous faudra revenir), ne ressemble plus beaucoup à ce qu’il était au début du XIXème siècle, ni du point de vue de ses installations matérielles, ni du point de vue du comportement et de la formation de ses personnels, ni du point de vue réglementaire, ni même, à strictement parler, du point de vue de sa nature juridique, dès lors qu’on ne considère pas les énoncés névralgiques ("article 64" et "loi de 1838") dans un isolement abstrait, mais comme les pièces d’un ensemble. A quoi faut-il attribuer, dès lors, la véritable fixation des débats, à intervalles réguliers, sur la lettre, la signification et les origines de ces énoncés (fixation qui ne manque pas de produire des effets contradictoires, parfois chez les mêmes locuteurs, puisque tantôt l’abolition ou la modification de ces textes est réclamée pour mettre le droit en accord avec la pratique, tantôt elle est réclamée pour lever les obstacles à la transformation des pratiques) ? Peut- être faut-il y voir le symptôme d’une contradiction récurrente, constamment déplacée (au gré de transformations sociales, politiques, techniques, etc., de "progressions" et de "régressions") mais constamment reconduite (car au fond insoluble) : une contradiction qui ne serait pas tant entre les pratiques et le droit que dans la pratique, mais qui surgirait du fait de son rapport interne au droit ; autrement dit en raison du rôle constituant que joue le droit dans l’institution même de la psychiatrie. Ainsi, périodiquement, le "malaise" des parties prenantes du drame de la santé mentale (médecins, mais aussi malades et "proches") se fixerait dans la revendication d’une "réécriture" des textes qui lui confèrent son statut officiel. [2] Mais pourquoi, alors, ironiser ? Peut-être faut-il admettre que, si les textes incriminés n’ont pas suffi à créer l’institution de la maladie mentale, avec l’ensemble de ses fonctions sociales, ni à déterminer l’histoire de ses configurations successives, leur étonnante résistance au changement est bien l’indice d’une structure, qui demeure invariante sous l’évolution des moeurs, des pratiques et des connaissances, et qui, telle une force de rappel, réintègre toute transformation, en la 페이지 5 / 25 Crime privé, folie publique - CIEPFC : Centre International d'Etude de la Philosophi... 2010-11-30 http://www.ciepfc.fr/spip.php?article22 rabotant de ses "excès", à une certaine norme sociale. En bref, si les tentatives pour "dépasser" l’article 64 et la loi de 1838 échouent toujours, ou se révèlent incapables de produire quelque chose de vraiment autre, n’est-ce pas que dans la lettre même de ces textes, et dans le couplage qui s’est institué entre eux, affleurent quelques-unes des conditions réelles grâce auxquelles une "société", une "formation sociale" d’un type donné peut assurer sa continuité (ou, comme on disait naguère, sa "reproduction") ? En parcourant une partie même réduite des réflexions qui tentent de préciser les objectifs et les mobiles d’une réforme de l’appareil psychiatrique et de l’appareil judiciaire et pénal, on ne peut qu’être frappé par une curieuse circularité qui se manifeste d’abord dans les positions symétriques défendues par les juristes (notamment des avocats), et par les psychiatres. A la limite on aura le sentiment que chacun, sensible aux aspects inhumains et inefficaces du champ dans lequel il exerce, attend en quelque sorte son salut de l’autre. Ainsi des avocats tels que Me Badinter tendront, sinon à réclamer une conservation de l’art. 64 du Code pénal dans sa forme originelle, du moins à demander sa transformation de façon à accroître les possibilités de "transférer" les auteurs de crimes et délits d’une filière pénitentiaire dans une filière médicale, de remplacer la punition par le traitement. [3] Sans doute pensent-ils que le traitement est moins destructeur de l’individu, qu’il représente une ouverture vers des évolutions possibles, alors qu’en pratique la sanction pénale débouche sur un destin de récidive et d’asocialité. Mais de leur côté les psychiatres qui réclament l’abolition ou la mise à jour des institutions hospitalières ou para-hospitalières de traitement de la "maladie mentale", se réfèrent de plus en plus à l’instance du droit : soit pour dénoncer les différentes formes d’exclusion du droit commun (à l’extrême, l’incapacité majeure) qui font du malade "mental" (à la différence de tout autre) un sujet minoré, à la fois protégé et séquestré, et réclamer sa réintégration dans la société comme "sujet de droit" ; [4] soit pour demander qu’un contrôle juridique plus effectif et plus démocratique soit institué envers les pratiques de la psychiatrie, dès lors qu’une tutelle, une assistance ou une restriction de liberté est rendue inévitable par la situation critique dans laquelle le groupe et l’individu se trouvent placés par la folie. [5] On a alors le sentiment étrange de voir rejouer, mais à l’envers, le "conflit des facultés" qui a marqué les origines des institutions de la santé mentale et de la justice moderne : au lieu que le psychiatre et le juge se disputent le contrôle des individus déviants ou "dangereux" et la maîtrise du procès, c’est quasiment l’inverse qui a lieu : le juge demande plus de psychiatrie et le psychiatre plus de jugement, ou plus de justice. A vrai dire la situation réelle est un peu plus compliquée parce que, dans chaque "camp", il y a tendanciellement une division qui recoupe le débat précédent, et qui traduit des évaluations tout à fait différentes de ce que sont 페이지 6 / 25 Crime privé, folie publique - CIEPFC : Centre International d'Etude de la Philosophi... 2010-11-30 http://www.ciepfc.fr/spip.php?article22 et produisent la loi et l’institution. Ce n’est pas pour les mêmes raisons, ni au même moment, que tous les réformateurs du système pénal voient la nécessité d’un traitement psychiatrique : généralement partisans de l’obligation de soins, ils la considèrent tantôt comme substitut d’une impossible pénalité, dans la perspective d’une normalisation, voire d’une récupération de l’individu déviant, tantôt comme une mesure préventive, prophylactique pour ne pas dire hygiéniste, destinée à faire baisser le risque du "passage à l’acte" criminel, tantôt enfin comme l’indispensable mesure d’accompagnement et de compensation de la plupart des peines carcérales, sans uploads/S4/ balibar-crime-prive-folie-publique-1991.pdf
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- Publié le Jui 29, 2021
- Catégorie Law / Droit
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