CRDF, n o 4, 2005, p. 179-182 Le Code civil et le juge administratif Xavier MON
CRDF, n o 4, 2005, p. 179-182 Le Code civil et le juge administratif Xavier MONDÉSERT I. Le Code civil inspire le juge administratif II. Le juge administratif applique le Code civil Au premier abord, il peut paraître surprenant qu’un publiciste prenne la parole à l’occasion du bicentenaire du Code civil. Mais, à la réflexion, si l’on veut apprécier l’importance et la portée réelle de ce code dans la vie juri- dique, son rayonnement, il faut nécessairement déborder la jurisprudence de la Cour de cassation ; car il n’y a rien d’étonnant à ce que celle-ci en fasse application. En revan- che, il n’est pas inutile de se demander comment le juge administratif prend en compte le Code civil. D’ailleurs, il eût été également intéressant de s’interroger sur la place du code dans la jurisprudence constitutionnelle. Mon propos sera limité par ma compétence et con- sacré aux différentes démarches qui sont empruntées par le Conseil d’État lorsqu’il rencontre le Code civil au con- tentieux. Mais n’oublions pas le rôle qu’a également joué le Conseil dans ses formations consultatives, lors de l’éla- boration du Code civil et de ses révisions postérieures. Le premier des grands arrêts de la jurisprudence ad- ministrative, la fameuse décision Blanco rendue par le Tri- bunal des conflits le 8 février 1873 (Lebon 1 er supplément p. 61 ), écarte l’application du Code civil par une rédaction de principe particulièrement claire : « Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l’État pour les dom- mages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rap- ports de particuliers à particuliers… ». Il ne faudrait pas extrapoler cette solution limitée à la responsabilité de la puissance publique ; il ne faudrait pas en déduire que le Conseil d’État croit pouvoir ignorer de manière générale et absolue le Code civil. En réalité, le juge administratif cherche simplement à vérifier l’adéquation des règles du droit privé aux situations de droit public pour pouvoir déterminer s’il convient de les appliquer ou de les écarter; cette démarche n’implique ou n’entraîne aucune méfiance de sa part envers le Code civil. D’ailleurs, bien souvent, les jurisprudences judiciaire et administrative se rejoignent, on l’oublie à trop vouloir souligner les divergences ; par exemple, l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 1956 , D r Giry (Grands arrêts de la jurisprudence admi- nistrative, n o 77 ), reprend la solution de l’arrêt Blanco : « Attendu que la Cour d’appel s’est appuyée, à tort, sur les dispositions de droit privé relatives aux délits et quasi- délits, qui ne peuvent être invoqués pour fonder la respon- sabilité de l’État ; qu’elle avait, en revanche, le pouvoir et le devoir de se référer, en l’espèce, aux règles du droit pu- blic ». Le Conseil d’État, pour utiliser le Code civil, met en œuvre six méthodes différentes qui lui laissent une plus ou moins grande marge de manœuvre. Nous allons cons- tater que, grâce à ces méthodes, le Code civil est souvent une source d’inspiration pour le juge administratif, d’une part, et que celui-ci peut parfois être amené à faire appli- cation des règles du droit civil, d’autre part. I. Le Code civil inspire le juge administratif Cette influence est double ; elle est d’ordre général et presque philosophique en premier lieu, d’ordre plus juri- dique et technique en second lieu. Une inspiration d’ordre plutôt philosophique d’abord, en ce que le Conseil d’État va rechercher dans le Code civil Variétés 180 un point de vue général, non purement abstrait, mais en référence à des règles juridiques. Le Code, dans cette pre- mière perspective, présente pour le Conseil d’État le carac- tère d’un texte révélateur de valeurs tellement essentielles qu’elles se trouvent enracinées dans le droit, surtout en des domaines qui relèvent de l’état des personnes. C’est ainsi qu’à l’occasion d’une affaire relative à la sanction disciplinaire prononcée à l’égard d’un médecin qui avait pratiqué une expérimentation sur un patient en état de mort cérébrale, alors que l’arrêt lui-même n’est fondé sur aucune disposition du Code civil qui était à l’époque juri- diquement inapplicable, le commissaire du gouvernement a proposé au Conseil d’État de se tourner vers ce code pour tenter de cerner la notion de cadavre : « l’approche civi- liste permet en effet de mieux mesurer ce qu’est au regard de notre droit le corps humain avant et après la mort» (CE Ass. 2 juillet 1993 , Milhaud , Lebon p. 194 , concl. Kessler p. 201 ). Et, au requérant qui soutenait que l’inviolabilité du corps humain ne serait que l’expression d’un préjugé, le commissaire du gouvernement a pu ainsi répondre qu’au contraire cette indisponibilité découle aussi bien de valeurs culturelles que des principes de notre droit positif qui n’as- similent pas le corps à un objet ( ibid. , p. 203 ). Dans cette mesure, la décision du Conseil d’État, motivée par les prin- cipes déontologiques fondamentaux qui s’imposent au médecin, pour prétorienne qu’elle soit, n’est pas arbitraire. La jurisprudence administrative est pour l’essentiel con- forme à l’esprit de la loi civile puisque cet arrêt est anté- rieur à la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, qui a introduit dans le Code civil un article 16 interdisant toute atteinte à la dignité de la personne ; de- puis, cet article 16 du Code civil est directement appliqué par le Conseil d’État (par exemple, dans son récent arrêt du 29 septembre 2004 , Union française pour la cohésion nationale ). Cette première démarche du Conseil d’État n’est pas récente : dès 1909 , à une époque où la Doctrine redécou- vrait l’arrêt Blanco trente ans après pour fonder le modèle classique du service public alors triomphant, un com- missaire de gouvernement concluant sur l’arrêt Winkell portant en matière de grève des fonctionnaires, matière pourtant administrative par nature, n’hésitait pas à sou- tenir qu’« il importe au Conseil d’État de connaître et d’étudier de près la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les effets juridiques de la grève sur le contrat de travail» (CE 7 août 1909 , Winkell , Lebon p. 1293 , concl. Tardieu p. 1300 ). Une inspiration d’ordre plus juridique ensuite, en ce que le Conseil d’État, d’une part, peut étendre à des situa- tions de droit public, de manière mesurée, certains prin- cipes formulés dans le Code civil ; mais ces principes ne sont pas appliqués en tant que tels car les dispositions du code, selon cette deuxième démarche du Conseil, ne fe- raient que s’inspirer de principes de portée plus générale relevant également du droit public. C’est ainsi que, dans la jurisprudence administrative, le régime de la garantie décennale des architectes et des entrepreneurs découle des « principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du Code civil » (CE Ass. 2 février 1973 , Trannoy , Lebon p. 95 ). C’est encore ainsi que, dans un arrêt de section du 28 juin 1996 , M. Krief , le Conseil d’État énonce « qu’il résulte du principe dont s’inspire l’article 1326 du Code civil que toute convention comportant un engagement unilatéral de payer une somme d’argent doit, dans l’intérêt de la per- sonne qui le souscrit, exprimer de façon non équivoque la connaissance que celle-ci a de la nature et de l’étendue de son obligation» ( JCP , 1996 -II- 22704, p. 385 ). Cette techni- que particulière permet au juge administratif de transpo- ser un régime des principes propres au Code civil, sans se lier par la lettre de ce code ni par les interprétations qu’en donne le juge judiciaire. D’autre part, le Conseil d’État par sa troisième mé- thode va parfois faire application de techniques et de no- tions qui dépassent la division droit privé / droit public, même si elles se trouvent formulées dans le Code civil. C’est pourquoi, selon le commissaire du gouvernement Combrexelle dans ses remarquables conclusions sur la décision précitée de 1996 , M. Krief , les arrêts généralement ne font pas expressément référence au code, signifiant par là que ces techniques et notions trouvent leur origine dans un fonds commun le plus souvent inspiré du droit romain, qui est indistinctement utilisé par le juge judiciaire, par le juge administratif mais aussi par les conventions inter- nationales. Si l’on s’en tient (comme M. Combrexelle) au seul droit des obligations, force est de constater que la ju- risprudence est à la fois ancienne et abondante: on peut citer, à titre d’exemple de ces techniques et notions com- munes au droit privé et au droit public [en se référant seu- lement à la date de l’arrêt inaugural, pour bien marquer l’évolution chronologique], l’erreur sur la substance ou l’objet du contrat (CE 24 juillet 1885 , Ville de Vichy , Lebon p. 723 ), la force obligatoire du contrat (CE 17 mars 1893 , C ie du Nord , S , 1894 , 3, p. 119 ), la nullité uploads/S4/ application-du-droit-civil-en-administratif 1 .pdf
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- Publié le Oct 05, 2022
- Catégorie Law / Droit
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