Conclusions du commissaire du gouvernement David sur T.C., 8 février 1873, Blan
Conclusions du commissaire du gouvernement David sur T.C., 8 février 1873, Blanco Le fait qui a donné lieu à ce conflit est aussi simple qu’il est triste ; une enfant de cinq ans, Agnès Blanco, a été renversée et grièvement blessée par un wagonnet chargé de tabacs que conduisaient quatre ouvriers de la manufacture des tabacs de Bacalan, à Bordeaux, à travers la rue qui sépare le magasin du hangar de cet établissement. Le père de l’enfant a intenté, devant le tribunal civil de Bordeaux, en vertu des articles 1382 et suivants, une action qui était dirigée tout à la fois contre les quatre ouvriers comme coauteurs de la blessure causée à sa fille, et contre l’Etat comme civilement responsable de l’imprudence de ses préposés. Cette action tendait à faire condamner les ouvriers et l’Etat solidairement à lui payer une indemnité de 40 000 francs. Le mémoire en déclinatoire du préfet de la Gironde déniait toute compétence au tribunal pour connaître de l’instance, tant à l’égard des ouvriers qu’à l’égard de l’Etat. Le jugement du tribunal civil, en date du 17 juillet 1872, ayant repoussé sur ces deux points le déclinatoire, l’arrêté de conflit qui vous est soumis n’a revendiqué la connaissance de l’action, pour l’autorité administrative qu’en tant qu’elle était dirigée contre l’Etat, laissant sans conteste à l’autorité judiciaire le droit de connaître du débat entre le sieur Blanco et les ouvriers. Le conflit étant réduit à ces termes, la question qu’il soulève est celle de savoir quelle est des deux autorités administrative et judiciaire, celle qui a compétence générale pour connaître des actions en dommages-intérêts formées par les particuliers contre l’Etat, comme civilement responsable des fautes personnelles de ses agents dans les divers services publics, alors que les lois spéciales à ces services n’ont pas pris soin de régler cette responsabilité et de désigner celle des deux autorités qui serait chargée de l’apprécier. Cette question a été l’objet d’une dissidence constante entre la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, qui, dans les deux sens opposés, ont montré une égale fermeté à maintenir leur doctrine respective. Avant d’aborder la discussion, il importe de préciser le point auquel paraît se réduire désormais la controverse. La Cour de cassation reconnaît, avec le Conseil d’Etat, que nos lois constitutives de la séparation des pouvoirs administratif et judiciaire, (Lois des 22 décembre 1789-8 janvier 1790 (sect. 3, article 7), des 16-24 août 1790 (titre 2, article 13), du 16 fructidor an III), interdisent à l’autorité judiciaire tout examen, toute critique, soit des règlements administratifs, des ordres et instructions compétemment donnés par l’administration à ses agents, soit de l’omission de ces diverses mesures. Elle admet donc que les tribunaux civils sont incompétents pour connaître des demandes formées contre l’Etat par les particuliers, à l’effet d’obtenir la réparation de dommages qui seraient résultés pour eux, soit de l’exécution des règlements et autres actes de l’autorité administrative, soit de l’omission des mesures que la prudence aurait pu commander à cette autorité, et qu’ils lui reprocheraient, de n’avoir pas prises (arrêt du 3 juin 1840, de Rotrou). Sur ce premier point, il ne saurait donc y avoir de difficulté. Mais il n’en est pas de même des actions en dommages-intérêts formées contre l’Etat par les particuliers, lorsqu’elles sont fondées, non plus sur l’exécution ou sur l’omission de certaines mesures administratives, mais bien sur des fautes ou négligences personnelles aux agents de l’Etat dans l’emploi auquel ils sont préposés. Dans ce cas, quelle est l’autorité compétente pour statuer sur le fond du débat ? C’est sur ce point qu’un désaccord radical, absolu, a constamment existé entre la Cour de cassation et le Conseil d’Etat. En 1850 et 1851, la question a été portée devant le Tribunal des conflits. Dans les différentes espèces dont le Tribunal a été saisi, il s’agissait d’instances engagées contre l’administration des postes, à raison de fautes ou même de crimes reprochés à ses agents ; le Tribunal a considéré que, pour décider si ces faits avaient été accomplis par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions et dans quelle mesure ils pouvaient être susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat, il était nécessaire d’examiner et d’apprécier les règlements relatifs au service de la poste aux lettres ; qu’en se livrant à un semblable examen, l’autorité judiciaire s’immiscerait dans l’appréciation d’actes administratifs dont les lois sur la séparation des pouvoirs lui défendaient de connaître. Aussi, dans ces différentes affaires, c’est en se fondant sur la circonstance particulière d’actes administratifs à examiner et à apprécier, que le Tribunal s’est prononcé en faveur de la compétence administrative (voir, notamment, 20 mai 1850, Manoury ; 17 juillet 1850, Letellier ; 7 avril 1851, Cailliau). Le Tribunal des conflits actuel a rendu récemment deux décisions analogues par leurs motifs et leur dispositif, au sujet de conflits élevés par le préfet du Rhône dans les instances engagées contre l’Etat par la compagnie du chemin de fer de Paris-Lyon- Méditerranée, à raison d’accidents causés par l’exposition de barils de poudre et que la compagnie imputait à l’imprudence des agents de l’Etat dans l’emballage et l’arrimage de ces poudres. Si ces différentes décisions n’ont pas tranché en principe la question qui nous occupe, il n’en faut pas moins reconnaître qu’elles en ont singulièrement réduit la portée car désormais le doute n’existe plus que dans le cas où, pour apprécier le principe et la mesure de la responsabilité de l’Etat à raison d’une faute reprochée à son agent, il ne serait nullement nécessaire d’apprécier un règlement administratif. Tel paraît être précisément le cas de l’espèce actuelle. D’une part, en effet, le fait d’imprudence reproché aux ouvriers de la manufacture des tabacs de Bordeaux, dans la manoeuvre du wagonnet qui a renversé et blessé la jeune Blanco, se rapporte bien directement à leur emploi. D’autre part, il n’apparaît pas, et il serait bien difficile de concevoir, qu’il puisse y avoir dans l’administration des tabacs, un règlement administratif quelconque qui aurait eu pour but et pour effet de régler les conséquences d’un pareil fait au point de vue de la responsabilité qui en résulterait pour l’Etat vis-à-vis des tiers. Nous sommes donc en présence d’une action en dommages-intérêts formée par un particulier contre l’Etat à raison d’un quasi-délit, que des gens à son service auraient commis dans l’accomplissement de l’emploi auquel ils sont préposés, et en dehors de tout règlement administratif qui ait pu préciser et limiter la responsabilité de l’Etat vis-à- vis des tiers. Quelle est l’autorité compétente pour statuer sur cette action ? En l’absence d’un texte spécial qui ait déterminé la compétence, la question ne peut être tranchée que par l’application des principes généraux. C’est ici que nous nous trouvons en face des deux doctrines contraires de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat. La première repose tout entière sur cette idée que l’article 1384 du code civil qui déclare les maîtres et les commettants responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés, est applicable à l’Etat comme aux particuliers ; d’où la conséquence que l’autorité judiciaire serait seule compétente pour tirer les conséquences légales de cette responsabilité, aussi bien à l’égard de l’Etat qu’à l’égard des simples particuliers (Civ., req. 1er avril 1845, D.P.45.1.261 ; 19 décembre, D.P.55.1.37). La doctrine du Conseil d’Etat contient, tout à la fois, une contradiction directe à la thèse de l’autorité judiciaire, et les motifs qui servent de fondements à la compétence administrative. D’une part, en effet, elle conteste que l’article 1384 soit applicable à l’Etat et que la responsabilité de l’Etat, en cas de faute, de négligences ou d’erreurs commises par ses agents, doive être appréciée selon les principes et les dispositions du droit civil. D’autre part, elle établit la compétence administrative pour l’appréciation de cette responsabilité sur deux motifs : le premier, tiré du principe de la séparation des pouvoirs, duquel dériverait l’incompétence de l’autorité judiciaire pour statuer sur les réclamations formées contre l’Etat à l’occasion des services publics ; le deuxième, tiré de la législation de 1790 sur la liquidation de la dette publique, d’après laquelle il n’appartiendrait qu’à l’autorité administrative de déclarer l’Etat débiteur, c’est-à-dire de statuer sur les actions qui tendent à faire reconnaître une dette à la charge de l’Etat (voir notamment Conseil d’Etat, 6 décembre 1855, Rotschild ; 20 février 1858, Carcassonne ; 1er juin 1861, Bandry ; 7 mai 1862, Vincent ; 29 mai 1867, Bourdet). Nous ne nous attacherons pas à ce deuxième motif. Les textes législatifs dont il est tiré, en attribuant à l’Assemblée nationale, d’abord, à l’autorité administrative, ensuite, plénitude de juridiction pour connaître de toutes les difficultés qui pourraient s’élever au sujet des droits de créance réclamés contre l’Etat, paraissent n’avoir eu en vue que la liquidation des créances arriérées. D’un autre côté, ils confondent, dans la généralité de leurs termes, toutes les créances quelle que soit leur cause, sans distinguer entre elles suivant qu’elles concernent l’Etat puissance publique ou l’Etat personne civile. Or, c’est là une distinction que la raison commande, que la loi du 5 novembre 1790 sur le domaine uploads/s1/ conclusions-blanco.pdf
Documents similaires










-
40
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 25, 2022
- Catégorie Administration
- Langue French
- Taille du fichier 0.2527MB