Session 10 - 2 La photographie comme matériel de recherche Delphine Dion Conser
Session 10 - 2 La photographie comme matériel de recherche Delphine Dion Conservatoire National des Arts et Métiers delphine.dion@cnam.fr Richard Ladwein IAE de Lille, EREM – CLAREE richard.ladwein@univ-lille1.fr Résumé La photographie est peu utilisée comme matériau de recherche en sciences humaines et particulièrement en marketing. Rares sont les travaux qui donnent à l'image un rôle argumentatif aussi important que celui conféré, par exemple, à une analyse statistique ou à une analyse lexicale. La photographie est souvent cantonnée dans le rôle de simple illustration d'un propos construit hors d'elle et sans elle. Pourtant, l'image photographique recèle des possibilités argumentatives très importantes. Dans cet article, nous montrerons les différentes façons d’utiliser la photographie en sciences sociales. A partir des approches méthodologiques identifiées en sociologie et en anthropologie, nous proposerons plusieurs modes d’utilisation de la photographie en recherche marketing. L’objectif est de proposer une démarche qui permette de mettre la photographie au centre de la recherche, tant en ce qui concerne le recueil des informations qu’en ce qui concerne son analyse et son exploitation. Ce faisant, nous chercherons avant tout à sortir de l’impasse qui consiste à considérer la photographie exclusivement comme un moyen d’illustrer une recherche qualitative mobilisant divers types de matériaux. Abstract Phtotographs are not wildely used in social sciences and marketing. In most papers, they are not valued as much as interviews or quantitative datas. They are mainly used as mere illustrations of behaviors and not as a first hand research material. This article presents a sociological and anthroplogical litterature review that explains the values and the methodologies of visual research. Session 10 - 3 La photographie comme matériel de recherche La photographie est de plus en plus utilisée en sciences humaines et notamment dans l’étude du comportement du consommateur. Certes, il est devenu très facile de prendre des photographies sur un terrain de recherche. Mais, rares sont encore les travaux qui donnent à l'image un rôle aussi important que celui conféré par exemple à une analyse statistique ou à une analyse lexicale. La photographie est souvent cantonnée dans le rôle de simple illustration d'un propos construit hors d'elle et sans elle. Par exemple, Schouten et Mc Alexander (1995), dans une ethnographie des amateurs de Harley-Davidson, précisent : « nous avons utilisé des photographies… pour nous aider à revivre des expériences vécues et aussi pour réaliser un enregistrement visuel du symbolisme des vêtements, de la personnalisation des motos et autres comportements de la culture Harley Davidson ». Les photographies sont utilisées de façon similaire par Goulding et al (2004) dans une recherche sur la culture gothique. Pourtant, l'image photographique recèle des possibilités argumentatives et analytiques très importantes mais aussi spécifiques. En marketing, et plus particulièrement dans l’étude du comportement du consommateur, force est de reconnaître que s’il est fait mention de l’usage de la photographie, les travaux qui en font état ne précisent en rien sa spécificité et sa contribution. L’ethnologie photographique, à laquelle s’apparentent les travaux en comportement du consommateur ayant fait usage de la photographie, est susceptible d’être autre chose qu’un simple compte rendu factuel. Initialement, la photographie a été considérée comme un moyen d’enregistrement des éléments visuels du terrain. Elle a été utilisée par les naturalistes et les archéologues pour attester de l’existence des faits observés mais aussi faciliter la prise de notes sur le terrain. Plus rapide et plus précise qu’un croquis, les photographies permettent d’enregistrer les multiples détails relatifs aux faits observés et de prolonger l’étude terrain en laboratoire. C’est dans cet esprit, que Mauss a introduit, en 1925, la photographie dans ses leçons d’ethnologie (Mauss, 1969). La plupart des ethnologues ou des anthropologues ont utilisé, et cela depuis bien longtemps la photographie comme un moyen d’investigation ou plus exactement comme un moyen de recueil des informations. Il en est ainsi de Malinowski (1922) qui, entre 1915 et 1918, fut l’un des premiers à utiliser la photographie dans son étude sur les Trobriandais. Dans la description qu’il donne de ses options méthodologiques, il n’évoque pas l’usage de la photographie comme moyen d’investigation. Il se contente de souligner la nécessité de procéder à une description systématique et, au cours de son analyse, il étaye son discours en renvoyant le lecteur aux diverses photographies utilisées dans l’étude. L’utilisation de la photographie a connu un tournant majeur sous l’impulsion des travaux de Bateson et Mead, en 1942, à l’issu d’un travail de terrain de deux années dans un village de Bali. Mead interrogeait, bavardait, prenait des notes pendant que Bateson photographiait et filmait. Il a ainsi pris 25000 photos et 7000 mètres de pellicules à la caméra 16 millimètres. La date et l’heure de chaque prise de vue ont été soigneusement notés afin de correspondre aux notes de Mead. A leur retour à NewYork, ils ont sélectionné et commenté 759 photographies qui représentent le corps de « Balinese Character : a photographic analysis ». Ce livre offre non seulement une vision originale de la culture et des processus de socialisation mais il constitue aussi un renouvellement des méthodes de terrain (Winkin, 1981). La méthodologie développée par Mead et Bateson n’utilise plus la photographie Session 10 - 4 comme une simple preuve mais comme un véritable matériau de recherche à part entière. Mead précise que les comportements identifiés dans Balinese Character ont été mis en évidence à partir de l’analyse des photographies et que les photos ne représentent aucunement un miroir de ces patterns (Worth, 1980). En ce sens leur approche diffère par exemple de celle de Malinowski (1920) qui considère la photographie exclusivement comme une matière à témoignage. La démarche de « l'ethnographie photographique » consiste à se situer au point de jonction des sciences humaines et de la documentation photographique. Il ne s’agit pas de faire dire aux photographies ce qu’elles signifient mais de laisser les photographies parler (Hall, 1986). Il s'agit de proposer des usages sociologiques de l'image photographique, c'est-à-dire de développer un mode d'argumentation fondé sur l'image. Le travail de l’ethnologue consiste à décoder des clichés, les sélectionner, les organiser et les assembler pour reconstruire et comprendre une réalité sociale qui n’est pas visible instamment. L’ethnologie visuelle se distingue donc nettement du photo-journalisme ou du documentaire (Becker, 1995). Ce qui est important, ce n’est pas la photo mais son analyse. Si la photo est souvent utilisée comme une illustration, c’est que, le plus souvent, elle a été prise de telle sorte à permettre au chercheur d’illustrer un comportement qu’il cherchait à démontrer en prenant cette photo (Worth, 1980). Dans cet article, nous montrerons les différentes façons d’utiliser la photographie en sciences sociales. A partir des approches méthodologiques identifiées en sociologie et en anthropologie, nous proposerons plusieurs modes d’utilisation de la photographie en recherche marketing. Les approches méthodologiques analysées sont basées sur une investigation croisée d’une littérature générale sur les méthodes qualitatives, quelques travaux empiriques issus de la littérature marketing mobilisant la photographie et des travaux issus de l’anthropologie visuelle. L’objectif est de proposer une démarche qui permette de mettre la photographie au centre de la recherche, tant en ce qui concerne le recueil des informations qu’en ce qui concerne son analyse et son exploitation. Ce faisant, nous chercherons avant tout à sortir de l’impasse qui consiste à considérer la photographie exclusivement comme un moyen d’illustrer une recherche qualitative mobilisant divers types de matériaux. Il ne s’agit cependant pas ici de développer l’idée selon laquelle l’investigation photographique est susceptible de se suffire à elle-même pour traiter une problématique, mais de souligner qu’au même titre que d’autres techniques comme l’entretien individuel ou l’observation par exemple, le recours à la photographie nécessite une démarche spécifique que nous nous proposons d’esquisser. Pour cela, nous commencerons par nous interroger sur le statut de l’image photographique. Puis, nous présenterons les modes de production des photographies. Enfin, nous nous arrêterons sur les façons de générer du sens à partir de photographies. 1. Le statut de l’image photographique Si dans le domaine des sciences humaines, la photographie n’a tenu qu’une place limitée, on peut cependant souligner qu’elle occupe une place importante dans le domaine des sciences dures. La problématique de l’imagerie scientifique dans le domaine de la biologie, de la physique ou de la médecine souligne bien le rôle spécifique que l’image est susceptible de jouer dans la recherche. Ces disciplines scientifiques se sont appropriées l’image pour appréhender l’insaisissable dans ses différentes formes et par différents procédés (Moles, 1987 ; Harper, 2003). Ceux-ci ne se limitent pas à considérer l’infiniment petit, comme on Session 10 - 5 pourrait le penser, par le biais de microscopes ou l’infiniment loin comme par exemple les lunettes astronomiques. D’autres procédés visent par exemple à percer l’opacité de la peau et de la chaire, de localiser des flux ou des mouvements. Quel que soit le procédé ou le moyen technique, le visuel est un outil d’investigation dont les sciences dures ne pourraient plus aujourd’hui se dispenser. Peu ou mal utilisée en marketing et en comportement du consommateur, davantage en anthropologie, l’image est omniprésente dans d’autres disciplines scientifiques. S’il ne nous importe pas d’identifier les raisons de cette situation, uploads/Science et Technologie/ la-photographie-comme-materiel-de-recherche-pdf.pdf
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- Publié le Fev 01, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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