Les constantes religieuses du scepticisme L'opinion commune sur le scepticisme,
Les constantes religieuses du scepticisme L'opinion commune sur le scepticisme, au sens large, se résume dans cette définition du Larousse : « État d'esprit de toute personne qui refuse son adhésion à des croyances généralement admises » ; autrement dit, une attitude générale de doute et d'incrédulité. Aux yeux de la plupart, cette incrédulité englobe les choses de la religion ; le sceptique passe pour un incroyant, un agnostique qui, s'il n'est pas agressif comme l'athée, se situe en dehors de toute religion et dissimule mal un sourire quelque peu ironique et railleur à l'égard des croyants. La réalité est assez différente et il ne nous paraît pas inu- tile de dégager clairement les données constantes de l'attitude, en apparence paradoxale, des Sceptiques à l'égard de la religion, d'en préciser les nuances et les variantes. Qu'ils se réclament de Pyrrhon d'Elis (360-275environavant J.-C.), fondateur de la secte « pyrrhonienne », ou de la Nouvelle Académie, comme Arcésilas (quatrième successeur de Platon ; 315-241 avant J.-C.), Camèade (huitième successeur de Platon; 213-129 avant J.-C.) et leurs disciples, les Sceptiques ont en commun plusieurs traits fondamentaux : la critique acérée de toutes les philosophies qui prétendent affirmer des vérités et qu'ils appellent « dogmatiques », la négation de toute aptitude des sens aussi bien que de la raison à atteindre la vérité, la conviction que la seule attitude rigoureusement philosophique est le doute méthodique, consistant à « suspendre son jugement». On ne peut mieux résumer trois siècles de scepticisme pyrrhonien que ne l'a fait Victor Brochard : « En résumé, le scepti- cisme a parcouru trois étapes. Avec Pyrrhon, il conteste la légitimité de la connaissance sensible et de l'opinion commune ; avec Aenésidè- me, il récuse la science. Avec Agrippa, s'élevant à un plus haut de- gré d'abstraction, il déclare impossible la vérité quelle qu'elle soit» (x). Entre Agrippa (milieu du I e r siècle avant J.-C. ?) et Sextus Empiricus (aux environs de 200 après J.-C.), auteur de la grande somme du (1) V. BROCHARD, Les Sceptiques grecs, Par-s, 1887, p. 307. Sui I'.iKiludc des Néo-académiciens à l'égard de la religion païen m·, nous possédons un texte d'une certaine étendue :1e discours pn te Colla p.irCieéron dans le De natura deorum ; Caius Aurelius Cott.i, né en 124 avant J.-C., conservateur modéré, pontife, consul en 7.r), est, dans ce dialogue, le porte-parole de la Nouvelle Académie ; Cicéion se réclame de cette école, non seulement clans ses Academua, niais aussi au début du De natura deorum (I, 5, 11 et suiv.), bien que, il la lin du dialogue, il déclare trouver plus de vraisemblance d a n s l'exposé du stoïcien Baibus (III 40, 95). Suivant la tradition et l.i méthode de la secte, Cotta s'emploie surtout à réfuter tour à tour le dogmatisme épicurien et le dogmatisme stoïcien ; mais on peul dégager de ses propos les éléments d'une doctrine. Tout d'abord, comme on peut s'y attendre de la part d'un scepti- que, il se livre à une critique incisive des fondements, des modes de démonstration et du contenu des affirmations des théologies épicu- ( 1 ) C f . A U L U - G E I X Ï . Ν.Λ., X I , 5 . ( 2 ) P L A T O N . ^ 4 / W / . , 2 3 , A - B : « ... par cet oracle, (le dieu) a voulu déclarer que la science humaine est peu de chose ou même qu'elle n'est rien. Et, manifestement, s'il a nomme Socrate, c'est qu'il se servait de mon nom pour me prendre comme exemple. Cela revenait à dire : « Ο Humains, celui-là, parmi vous, est le plus savant qui sait, commi Sociate, qu'en fin de compte son savoir est nul.» Cette enquête, je la continue, aujour- d'hui encore, à travers la ville, j'interroge, selon la pensée du dieu, quiconque, citoyen ou étranger, me paraît savant. Et quand il me semble qu'il ne l'est pas, c'est pour donner raison au dieu que je mets en lumière son ignorance. » (que (1rs peuples athées peuvent exister dans les terres inconnues. La fallititi ion de la thèse épicuiiennc se ramène à ceci : les dieux ne peu- VWit Otre à la fois composés d'atomes et éternels, puisque tout com- pilé <i une naissance et une fin ; l'anthropomorphisme des dieux à'Êpicure n'est que la projection de l'imagination des hommes, fur il est faux que toutes les images que nous concevons proviennent d'un modèle réel ; les dieux ne peuvent éprouver de plaisir, ni par Conséquent, selon la théorie épicurienne, connaître la félicité ; des dieux inertes et inactifs sont en contradiction avec la notion même de dieu et les prétendre tels revient à nier leur existence. La critique dei thèses stoïciennes n'est pas moins intransigeante : les « appari- tions » de personnages divins ne sont que des sornettes ; le monde n'est ni Dieu, ni l'œuvre de Dieu, mais celle de la Nature ; il en est de même pour l'âme, le langage, le chant ; il n'existe pas de Vivant Itcrnel ; les mythes et les dieux, tels que les interprètent les Stoïciens, lOnt des fables à rejeter en totalité ; il est faux qu'une Providence gouverne le monde, que la raison soit un bienfait des dieux, que les dieux s'occupent des hommes ; il est non moins faux que les bons loient récompensés et les méchants punis. Cette entreprise de démolition méthodique laisse-t-elle subsister quelque chose ? Le point essentiel est de savoir si les dieux existent OU non ; voici en quels termes Cotta s'exprime à ce sujet : « Moi qui luis pontife, ...je voudrais m'en persuader (qu'ils existent), non seule- ment par une opinion, mais encore selon la vérité. En effet, il se présente bien des éléments des plus troublants, en sorte qu'il m'arrive de penser que les dieux n'existent pas. Mais vois comme j'en use géné- reusement avec toi : ce que vous (les Épicuriens) partagez avec les autres philosophes, je n'y toucherai pas ; tel est le cas pour ce point précis ; presque tous veulent [placet), et moi-même au premier rang, qu'il y ait des dieux ; aussi je ne livrerai pas combat (sur ce point) » (N.D., I, 22, 61). Comme on le voit, un doute demeure ; cependant Cotta « admet que les dieux existent » ; c'est ce qu'il confirme un peu plus loin (I, 23, 65) : concedo esse deos ; il le fait par un acte de générosité {liberalitas), dans la discussion ; il s'agit d'une opinio, non d'une ueritas. Dans un autre passage, Cotta s'explique encore plus clairement : il croit que les dieux existent, il ne peut arracher cette croyance de son âme ; mais il ajoute : mihi persuasum est auctoritate niiiiouiin (III, 1 1 , 7) cl, nu peu plus loin, m Un ... iiiiiiw uili.\ nul, ι/,ι nobis mu'mes noxlros tnididisst (III, 4, !)) ; mais le stoïcien Bulbus »'• -h montré plus ambitieux: III auchmlate.s eoiilemiiis, m/ioue fintini,s (III. 1, !)) ; il csl perdu ! car, du coup, Colta plaec son tour le débat .m plan purement rationnel : patere igilur rationem meam cum Ina r/ilmm ronlnidere (ibid.) ; tous les arguments de Bulbus sont détruits l'un api ι ι l'autre. D'ailleurs, Cotta ne prétend pas que l'existence des dims, ni même leur providence ne soit pas démontrable; à la lin (III 40, !)!>), il souhaite que Bulbus le réfute : ce qu'il u voulu luire <·Υ.·,ι dissnnr, bien plus que iudicare. ( lolla s'exprime aussi sur les croyances et les cultes : à Balbus, ψη l'avait exhorté à ne pas oublier qu'il était pontife, il répond (III. '.!, .')) : « cela signifiait., je pense, que je devais défendre les opinion:. {ii/iiiiionr\) (pie nous ont léguées nos uncêtres à propos des dieux immortels, les sacrifices, les cérémonies et les prescriptions irli gicuscN. l'our ma part, je les ai toujours défendus et je les défendrai tou jours ; et cette opinion que j'ai héritée de nos uncêtres sur le culte des dieux immortels,jamais discours d'aucun savunt ni d'aucun igno rant ne m'en fera démordre ... » ; mais il s'en tient aux enseignements des grands pontifes, en particulier Publius Scaevola, et de Laelius, augure et sage, et récuse les constructions des Stoïciens : « la religion du peuple romain a consisté tout entière dans les sacrifices et les aus- pices ; il s'y est ajouté, en troisième lieu, concernant la prédiction de l'avenir, les avertissements tirés des prodiges et des anomulies par les interprètes de la Sybille et les haruspices. De toutes ces prescriptions religieuses, aucune ne m'a jamais paru méprisable et je suis persuadé que Romulus, en instituant les auspices, N u m a les sacrifices, ont jeté les fondements de notre Cité qui, à coup sûr, n'aurait jumuis pu at- teindre sa grandeur sans parfuit apaisement des dieux immortels. Tu mimais maintenant, Balbus, le sentiment de Cotta, le pontife. A uploads/Religion/beaulieu-constantes-religieuses-du-sceptisicme.pdf
Documents similaires










-
79
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 20, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
- Taille du fichier 0.1745MB