Odon Vallet Petit lexique des idées fausses sur les religions Albin Michel Albi

Odon Vallet Petit lexique des idées fausses sur les religions Albin Michel Albin Michel • Spiritualités • Ouvrage publié sous la direction de Jean Mouttapa © Éditions Albin Michel S.A., 2002 22, rue Huyghens, 75014 Paris ISBN 2-226-13093-4 Avant-propos Les idées fausses sont à la collectivité ce que sont les idées fixes à l’individu : un attachement de l’esprit dont on ne peut se priver sans danger, sans remettre en cause un équilibre mental ou une harmonie sociale. Parce que la religion relève à la fois de la pensée obsédante et du culte séculaire, de l’angoisse de la mort et des racines d’un peuple, elle défie la logique et engendre des erreurs. Prenons le thème, si tragiquement présent, de la violence religieuse. Le dictionnaire des lieux communs assimile l’islam à la guerre sainte et le bouddhisme à la non-violence. On aura beau lui opposer le pacifisme de nombreux mystiques musulmans et le passé belliqueux des moines-guerriers tibétains (les fameux bop-bop), il paraît évident que les disciples de Mahomet sont agressifs et ceux du Dalaï-lama pacifistes : le prix Nobel de la paix semble effacer toute trace des innombrables conflits entre monastères qui dégénéraient en batailles rangées ou assassinats. Mais le schématisme des lieux communs n’a d’égal que le simplisme des paradoxes. Il serait illusoire de présenter l’islam comme une religion de nature pacifique. On pourra gloser indéfiniment sur le double sens de djihad (guerre sainte ou effort intérieur), sans pouvoir effacer les conquêtes des cavaliers arabes dans tout le bassin méditerranéen ni les terribles persécutions des hindous par les régimes musulmans (elles firent beaucoup plus de morts que, à la même époque, les guerres de religion européennes). Même les doux soufis eurent leurs partisans des méthodes musclées : la confrérie soufie des Kizil Bash ou Bonnets rouges (rien à voir avec les bonnets rouges de certains moines tibétains) porta par la force sur le trône persan la dynastie des Séfévides (1501). Cette confrérie faisait pourtant partie du chiisme duodécimain (celui des actuels ayatollahs iraniens) qui enseigne l’impossibilité de la guerre sainte avant le retour de l’imam caché à la fin des temps. Quant au schisme septimain (pour lequel le septième imam et non le douzième déclara la fin des temps), il a engendré aussi bien la secte terroriste des Assassins que le richissime et généreux Aga Khan. Aucune religion ou confession n’est, par nature, violente ou non violente. Le zen, voué à la méditation immobile, a engendré des soldats de l’impérialisme nippon. Le bouddhisme sri-lankais a ses moines fanatiques et, en 1959, l’un d’entre eux assassina le Premier ministre, Solomon Bandaranaike jugé trop favorable aux Tamouls hindouistes. D’ailleurs, le concept de non-violence, cher aux spiritualités issues de l’Inde, connaît des interprétations très diverses. Le jaïnisme refuse, en principe, toute atteinte aux êtres vivants, mais si certains jaïns mettent un masque devant leur bouche pour ne pas avaler de moucherons, d’autres portent les armes dans les troupes indiennes. Les religions prêchent la perfection à des hommes imparfaits. Enseignant une vérité unique, elles dénoncent des idées fausses qui peuvent être à moitié vraies. Il faut donc garder le sens des nuances dans un monde complexe en reprenant l’interrogation de Pilate au procès de Jésus : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jean 18, 38). Ainsi, on oppose souvent un monothéisme fanatique à un polythéisme tolérant. Les juifs ont eu leurs zélotes, les chrétiens leurs croisés et les musulmans leurs combattants du djihad. Au contraire, le polythéisme antique assimilait dieux et déesses de l’adversaire au lieu de les diaboliser : Ishtar la Babylonienne devenait Astarté en Phénicie, Aphrodite en Grèce et Vénus à Rome. Les fils d’Abraham seraient donc plus violents parce qu’ils se querellent pour le même Dieu, comme des frères ennemis (on pense à Caïn et Abel) se disputent le même Père. Mais le polythéisme romain a martyrisé les chrétiens en dégénérant dans le culte d’Auguste. L’hindouisme aux trente-trois mille dieux a ses intégristes qui persécutent chrétiens et musulmans. Le shintoïsme aux huit cent millions de divinités (kami) a engendré les kamikazes (vent divin) qui se jetaient contre les porte-avions américains comme aujourd’hui les terroristes islamistes contre les tours de New York ou l’immeuble du Pentagone. Faut-il donc en conclure que toutes les religions se valent et qu’on n’a d’autre choix que de sacraliser la violence ou de laïciser l’univers ? Peut-être doit-on, plus modestement, constater les ressemblances et les différences entre diverses religions avant d’évaluer l’extrême diversité de leurs multiples interprétations. On peut certes établir quelques constats historiques. La genèse du judaïsme et de l’islam est inséparable d’un contexte militaire parce que la première religion s’est constituée au cours de guerres contre l’Égypte, les Philistins, les Babyloniens, les Grecs et les Romains, tandis que la seconde s’est structurée en livrant bataille contre les bourgeois de La Mecque, les juifs et des « mécréants » d’Arabie. Mais que l’islam naissant ait transformé la razzia en djihad n’en fait pas une religion par nature belliqueuse. Quant au christianisme, il a mené de nombreuses guerres de religion alors que Jésus avait demandé de tendre l’autre joue si on était giflé sur la joue droite (Matthieu 5, 38). Et n’oublions jamais que les uns appellent terroristes ceux que d’autres nomment résistants. Pour ces héros des causes perdues, naquit la foi en la résurrection, en 164 avant Jésus-Christ, lors de la seconde guerre des Maccabées ; torturés par leur bourreau, les martyrs juifs lui dirent : « Scélérat, tu nous exclus de la vie présente mais Dieu, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour la vie éternelle » (2 Maccabées 7, 9). Enfin, on gardera en mémoire que l’histoire fut écrite par des hommes et que, dans une certaine mesure, elle n’est qu’à moitié vraie puisque la moitié de l’humanité en fut exclue. Le jour où les femmes auront leur mot à dire sur le destin de l’islam, celui-ci deviendra plus pacifique et pluraliste. Ce dialogue des vérités plurielles est-il un défi au Dieu unique ? Faut-il croire pour comprendre ou douter pour exister ? Entre saint Augustin et Descartes, le lecteur fera son choix. L’auteur n’a pas voulu opposer ces deux démarches et a souhaité écrire, comme Alain Bosquet, un livre du doute et de la grâce. C’est un lexique où les entrées sont au nombre de soixante-dix, ou de septante comme diraient nos amis belges ou suisses. Septante est aussi le nom de la version grecque de la Bible aux soixante-dix ou soixante- douze traducteurs. Akhénaton « Le dieu de Moïse était celui d’Akhénaton » Cette affirmation a une variante : « Akhénaton a inventé le monothéisme. » Comme les Indiens ont créé les chiffres appelés « arabes », les Égyptiens auraient forgé une croyance attribuée aux Hébreux. Cette double assertion n’est ni vraie ni fausse : elle est invérifiable et, de surcroît, mal formulée. Le mot « monothéisme » date du début du XIXe siècle et s’oppose à « polythéisme ». Il est douteux qu’Akhénaton (« cela est agréable à Aton »), pharaon du XIVe siècle avant J.-C., ait eu conscience d’opérer une telle révolution conceptuelle. Il est plus probable qu’en changeant son nom et sa capitale, Aménophis (« Amon est satisfait ») IV ait voulu prendre ses distances avec le clergé de Thèbes voué au dieu Amon, pour fonder la ville d’El-Amarna dédiée au dieu solaire Aton. Pour fuir le pouvoir tentaculaire des soixante-douze mille prêtres et acolytes de Karnak, le pharaon aurait changé de ville et de dieu. Puisqu’il était seul maître sur terre, il aurait créé un seul dieu dans le ciel afin qu’un culte unique soit rendu au souverain et à sa divinité : il s’agissait, dans cette hypothèse, de monolâtrie autant que de monothéisme. Akhénaton supprimait le pluriel du mot dieu parce qu’à la différence de ses prédécesseurs et de leurs sujets, il ne pouvait plus harmoniser l’Un et le Multiple, l’unité du principe divin et la pluralité des personnes divines. Mais plutôt qu’un monothéisme pur et dur, il aurait créé une sorte de Trinité composée de lui-même, du dieu Aton et de la reine Néfertiti. Plusieurs égyptologues dont le Britannique J.H. Breasted, auteur d’une Histoire de l’Égypte (1906), avaient depuis longtemps reconnu, d’une part, que le nom de Moïse était égyptien et, d’autre part, qu’Akhénaton était le fondateur de la religion d’un « Dieu unique à côté de qui il n’en est point d’autre » (Hymne à Aton). Freud opéra le lien entre ces deux constats et, dans L’Homme Moïse et le monothéisme (1935), il affirma que Moïse était un Égyptien, adepte de « la religion d’Aton avec laquelle la religion juive concorde sur bien des points importants ». Pour mieux faire accepter son hypothèse, Freud situa l’Exode des juifs entre 1358 et 1350 avant J.-C., juste avant ou après le décès (vers 1354 avant J.-C.) du pharaon monothéiste. Moïse aurait remplacé le nom d’Aton par celui de Yahvé (un « dieu des volcans ») et aurait imposé au peuple juif certaines coutumes égyptiennes comme la circoncision (pratiquée surtout sur les uploads/Religion/ odon-vallet-petit-lexique-des-id-233-es-fausses-sur-les-religions.pdf

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  • Publié le Fev 26, 2021
  • Catégorie Religion
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