Martin Jugie La doctrine des fins dernières dans l'Église gréco-russe In: Échos

Martin Jugie La doctrine des fins dernières dans l'Église gréco-russe In: Échos d'Orient, tome 17, N°104, 1914. pp. 5-22. Citer ce document / Cite this document : Jugie Martin. La doctrine des fins dernières dans l'Église gréco-russe. In: Échos d'Orient, tome 17, N°104, 1914. pp. 5-22. doi : 10.3406/rebyz.1914.4107 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_1146-9447_1914_num_17_104_4107 LA DOCTRINE DES FINS DERNIÈRES DANS L'ÉGLISE GRÉCO-RUSSE Depuis l'origine de la controverse entre Grecs et Latins sur le Pur gatoire, c'est-à-dire depuis le xme siècle, les théologiens occidentaux ont fait, à maintes reprises, des efforts louables pour connaître la doc trine de l'Église gréco-russe sur les fins dernières. Mais, chose curieuse, les résultats de leurs recherches ont été le plus souvent contradictoires. Les uns, comme Allatius et Arcudius, préoccupés de montrer qu'il y avait accord parfait entre l'enseignement de l'Église catholique et celui • de l'Église orientale, ont ignoré, atténué ou passé sous silence les textes qui n'allaient pas à leur but apologétique. D'autres, comme Richard Simon et Renaudot, ont prêté aux Grecs modernes des croyances eschatologiques fort éloignées des nôtres sur certains points (i). Ces divergences ont leur source dans une information insuffisante et aussi dans la fausse idée qu'on se fait généralement de l'Église gréco-russe. On la conçoit plus ou moins sur le modèle de l'Église catholique. On veut à tout prix lui trouver une doctrine officielle sur des questions où elle ne peut en avoir, et on se laisse tromper par ses théologiens, qui omettent rarement de présenter leurs opinions particulières comme l'expression de la plus pure « orthodoxie ». Or, il ne faut pas oublier que l'Église orientale, depuis sa séparation d'avec Rome, loin d'avoir enrichi l'acquis dogmatique des huit premiers siècles, n'a pas même réussi à le garder intact partout et toujours. Et cela se comprend, vu qu'elle est dépourvue en fait de tout magistère infaillible, de toute autor ité centrale capable de dirimer les controverses. Sur les fins dernières comme sur tout le reste, cette Église ne peut faire valoir comme enseignement officiel que les définitions des sept premiers conciles œcuméniques. On peut y joindre les vérités évidem ment contenues dans l'Écriture Sainte et dont personne ne peut douter sous peine de rejeter la révélation. Nos recherches sur l'enseignement eschatologique des théologiens orientaux depuis le ixe siècle jusqu'à nos jours nous ont convaincu que les seuls points admis par tous comme indiscutables étaient les suivants : (i) De nos jours encore, les affirmations les plus discordantes et les moins fondées circulent ici et la sur la doctrine des Grecs touchant le Purgatoire, la béatitude des saints, etc. Echos d'Orient. — 17' année. — N* 104. Janvier 1 g 14. ECHOS D ORIENT i° L'impossibilité de mériter et de satisfaire après la mort; 2° La résurrection générale; 3° Le jugement dernier et la séparation éternelle des bons et des méchants qui le suivra; 4° L'inégalité de la rétribution, suivant les mérites et les démérites; 5° La rénovation du monde à la fin des temps, selon l'enseignement de l'Écriture ; 6° La légitimité de la prière pour les défunts telle que la pratique l'Eglise gréco-russe dans sa liturgie. Sur tout le reste, et notamment sur l'existence, la nature et le mode du jugement particulier, sur le moment où commencent les rétribu tions d'outre-tombe, sur l'existence et la nature d'un état et d'un lieu intermédiaire entre le ciel et l'enfer, sur l'objet de la prière pour les morts, sur la nature de la béatitude, l'Église gréco-russe ne possède aucune doctrine fixe, comme on le constate par le désaccord qui a tou jours régné et règne encore entre ses théologiens sur chacune de ces questions. Celles-ci, sauf la dernière, se réfèrent toutes à l'état des âmes avant le jugement dernier. Relativement à cet état, ni l'Écriture Sainte ni l'ancienne tradition ne fournissaient à l'Église gréco-russe des solutions claires et définitivement arrêtées; ce qui ne veut pas dire qu'il n'y eût dans l'Église des huit premiers siècles des courants doc trinaux très nettement dessinés dans le sens des définitions catholiques postérieures. Comme l'Église gréco-russe est par elle-même incapable de définir quoi que ce soit, les divergences d'opinions de ses théolo giens sur les points indiqués ne doivent pas nous étonner. L'examen détaillé de ces divergences réclamerait un long volume. Nous nous contenterons de donner ici quelques indications sommaires mais suffisantes pour se faire une idée de l'état vrai des doctrines escha- tologiques dans l'Église gréco-russe. Notre aperçu portera sur toute la période du schisme, depuis Photius jusqu'à nos jours. C'est dire la nécessité où nous serons de ne parler que des théologiens les plus marquants et de nous borner à quelques citations choisies. ]. — Existence et nature du jugement particulier. Y a-t-il un jugement particulier pour chaque âme aussitôt après la mort? Les théologiens gréco-russes ne se posent guère la question avant le xvie siècle. S'ils en parlent, c'est occasionnellement, et alors ils se prononcent dans le sens de l'affirmative. Ils enseignent d'ailleurs l'existence de ce jugement d'une manière implicite en déclarant qu'après LA DOCTRINE DES FINS DERNIERES DANS L EGLISE GRECO-RUSSE 7 la mort les âmes des justes sont séparées des âmes des pécheurs et que les unes et les autres reçoivent au moins un commencement de rétribution. Mais il faut remarquer que, d'après certains théologiens de cette période, si le sort des justes est fixé irrévocablement par la sen*- tence du jugement, il n'en va pas de même du sort des pécheurs, qui peut être amélioré et même changer radicalement. Les portes de la géhenne ne sont pas fermées avant le jugement dernier, et Dieu, dans sa miséricorde sollicitée par les prières de l'Église, peut gracier et gracie en fait quelques damnés. Tel paraît être le sentiment de Théophylacte de Bulgarie (xie siècle), qui écrit dans son commentaire de l'Évangile de saint Luc : « Remarquez que jésus-Christ n'a pas dit : « Craignez celui qui, » après avoir mis à mort, précipite dans la géhenne », mais bien « a le » pouvoir de jeter dans la géhenne ». Car les pécheurs, après la mort, ne sont pas nécessairement jetés dans la géhenne, mais cela dépend de Dieu, qui peut tout aussi bien leur faire grâce. Je dis ceci à cause des oblations et des aumônes qui sont faites pour les défunts, et qui sont grandement profitables même à ceux qui meurent avec des péchés graves. Ainsi donc, Dieu, après avoir mis à mort, ne jette pas nécessairement dans la géhenne, mais il a le pouvoir d'y jeter. Ne cessons donc d'apaiser par l'aumône et la prière celui qui a le pouvoir de jeter dans la géhenne, mais qui n'use pas toujours de ce pouvoir, et qui peut pardonner. » (1) Trois ou quatre légendes circulaient dans le monde byzantin, qui entretenaient l'idée que les damnés pouvaient être délivrés par les prières des vivants, au moins à titre exceptionnel. Il y avait celle de sainte Thècle la protomartyre, obtenant le salut de la païenne Falco- nilla; celle de saint Grégoire le Grand, que les Grecs appellent Grégoire le Dialogue, demandant à Dieu la rémission des péchés de l'empereur Trajan, persécuteur des chrétiens, et recevant du ciel cette réponse : « J'ai exaucé ta prière, et je pardonne à Trajan, mais tâche à l'avenir de ne plus me prier pour les impies »; celle de l'impératrice Theodora» faisant intervenir les supplications des clercs, des moines et du peuple fidèle en faveur de son époux l'empereur Théophile, adversaire du culte des images, et apprenant par une révélation que Dieu avait pardonné au coupable. Une païenne, des empereurs persécuteurs ne pouvaient (1) Théophylacte, Enarratio in Evangelium Lucœ, c. xn, 5. P. G., t. CXXIII, col. 880^ On remarquera que Théophylacte attribue le pardon divin à l'intervention des prières de l'Eglise, non au repentir des pécheurs. Il enseigne, en effet, explicitement que les morts ne peuvent plus rien pour eux-mêmes, et que toutes les puissances actives de l'âme séparée sont liées et incapables de faire le moindre bien. Enarratio in Evang. Matthœi, c. xxn, i3. P. G., ibid., col. 388. ECHOS D ORIENT qu'être des damnés aux yeux de tous les Byzantins. Les théologiens recouraient volontiers à ces légendes pour établir par un argument a fortiori l'efficacité de la prière en faveur des morts. C'est ce que fait l'auteur du traité sur les fidèles défunts. Ayant à réfuter ceux qui déclarent inutiles les prières, les bonnes œuvres et les messes offertes pour les morts, il invoque le cas de sainte Thècle et celui de saint Grégoire le Grand, bien qu'il enseigne par ailleurs très clairement qu'habituell ement les pécheurs impénitents ne sont pas délivrés par les suffrages des vivants (i). Sa dissertation fut de bonne heure introduite dans l'of fice de la première commémoraison générale des défunts, que les Grecs célèbrent le samedi avant le dimanche de YApocreo (2). Aussi exerça- t-elle une influence considérable sur l'eschatologie byzantine, d'autant plus qu'elle fut toujours regardée comme l'œuvre de saint Jean Damas- cène (3). Cette pièce favorise aussi la doctrine de la mitigation des peines de l'enfer en rapportant un uploads/Religion/ la-doctrine-des-fins-dernieres-1.pdf

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  • Publié le Aoû 03, 2021
  • Catégorie Religion
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