André Vauchez La commune de Sienne, les Ordres Mendiants et le culte des saints
André Vauchez La commune de Sienne, les Ordres Mendiants et le culte des saints. Histoire et enseignements d'une crise (novembre 1328, avril 1329) In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 89, N°2. 1977. pp. 757-767. Résumé André Vauchez, La commune de Sienne, les Ordres Mendiants et le culte des saints. Histoire et enseignements d'une crise {novembre 1328 - avril 1329), p. 757-767. A l'occasion de difficultés financières, la Commune de Sienne chercha à réduire, en novembre 1328, les frais occasionnés par la participation des pouvoirs publics aux fêtes organisées par les Ordres Mendiants en l'honneur de saints locaux issus de leurs rangs. Mais les religieux réagirent vivement et, quelques mois plus tard, firent voter par le Conseil des « riformanze » faisant obligation à la Commune de prendre à sa charge ces manifestations et de s'y faire officiellement représenter. A l'occasion de cet incident apparaissent les liens étroits existant entre les « Frères » et la classe politique dirigeante ainsi que l'importance de la religion civique dans le monde communal des XIIIe et XIVe siècles. Citer ce document / Cite this document : Vauchez André. La commune de Sienne, les Ordres Mendiants et le culte des saints. Histoire et enseignements d'une crise (novembre 1328, avril 1329). In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 89, N°2. 1977. pp. 757-767. doi : 10.3406/mefr.1977.2425 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1977_num_89_2_2425 ANDRÉ VAUCHEZ LA COMMUNE DE SIENNE, LES ORDRES MENDIANTS ET LE CULTE DES SAINTS. HISTOIRE ET ENSEIGNEMENTS D'UNE CRISE (NOVEMBRE 1328 - AVRIL 1329) Parmi les problèmes qui se posent à nous depuis le début de cette Table Ronde, un des plus importants et des plus intéressants pour l'historien est de mesurer l'influence des Ordres Mendiants dans la ville et de mettre en évidence les canaux par lesquels elle s'est exercée. Pour obtenir, dans ce domaine, des résultats qui ne soient pas simplement la transposition des idées générales que l'on peut avoir a priori sur la question, plusieurs appro ches sont possibles. L'une d'elles, dont je voudrais vous entretenir plus part iculièrement ce soir, n'a pas été suffisamment explorée jusqu'à présent, bien qu'elle puisse se révéler, je crois, assez féconde. Il s'agit de l'étude du culte des saints, et plus précisément de l'introduction de cultes nouveaux dans une cité par les Ordres Mendiants. Dans le cas de Sienne, nous disposons d'une documentation assez abondante qui permet d'éclairer un peu cet aspect de la vie politique et religieuse du monde communal. En effet, ce n'est pas le culte liturgique rendu à un certain nombre de saints ayant appartenu aux Ordres Mendiants ou soutenus par eux qui nous intéresse ici, mais l'impact qu'ont eu ces dévotions sur le plan de la cité, tel que nous pouvons le mesurer à travers des textes émanant des autorités civiles. Jusque vers 1260, Sienne avait pour seuls patrons la Vierge Marie, pro tectrice attitrée de la cité, et quelques saints anciens, vénérés de longue date en Toscane, comme S. Ansano ou S. Donato ' . Au cours des dernières décen nies du XIIIe siècle, on voit apparaître dans le Panthéon siennois, si l'on peut s'exprimer ainsi, de nouveaux intercesseurs, au nombre de cinq. Le plus ancien, dans l'ordre chronologique des décès, est un laïc, André Gallerani, fondateur de la Domus Misericordiae Pauperum, mort en 1251. Il fut enterré 1 Voir L. Zdekauer, // constituto del Comune di Siena dell'anno 1262, Milan, 1897, p. 520. MEFRM 1977, 2. 50 758 ANDRÉ VAUCHEZ chez les Dominicains, mais son culte fut pris en charge par la Domus Miseri cordiae2. Ce fut le dernier à être officiellement reconnu par la Commune, puisque c'est seulement en 1347 qu'une délibération du Conseil Général sanctionna son entrée parmi les saints dont la fête était sollennisée par les pouvoirs publics3. Les quatre autres personnages qui retiendront notre attention sont tous des religieux : Ambroise Sansedoni, illustre prédicateur dominicain issu d'une grande famille de l'aristocratie siennoise, qui mourut en 12874, Pierre Pettinalo (f 1289), un tertiaire franciscain, mentionné par Dante dans un passage de la Divine Comédie qui évoque le rayonnement spi rituel qu'eut en Toscane cet apôtre de la pauvreté5, Joachim - appelé parfois Piccolomini, mais cette dénomination qui n'apparaît que dans les textes tar difs ne repose sur aucune base solide - qui appartenait à l'ordre des Servîtes de Marie et mourut en odeur de sainteté en 1306 à Sienne6; enfin «Agostino Novello», (t 1309) qui n'était pas Siennois, mais finit sa vie dans l'ermitage de S. Leonardo al Lago, près de Sienne. Son corps fut porté dans la cité par les 2 Sur ce personnage et son culte, voir AA. SS. Mart. Ill, p. 49-57, et G. Rondini, Tra dizioni popolari e leggende di un comune medievale e del suo contado (Siena e l'antico contado senese), Florence, 1886, 204 p., en part. p. 118. Sur les rapports d'André Galle- rani avec la Domus misericordiae de Sienne, voir la brochure Le pergamene dell'Univers ità di Siena e la Domus misericordiae, Seminario di Archivistica, Istituto di storia dell'Univ. di Siena, Anno accademico 1975/76, 53 p., en part. p. 10. La fête du saint était célébrée le Lundi saint. 3 Archivio di Stato, Siena, Consiglio Generale, voi. 140, f° 42-43 (8-VI-1347). Le texte de la pétition présentée par les Frères de la Domus misericordiae mérite d'être cité : « et quod si ad gloriam Dei et sui venerantiam festivitas dicti domini sancii Andrée in civitate Senensi celebraretur et custodiretur, multum honoris civitati Senensi statueretur tam quia eius virtutes et merita hoc merent, tam quia est de nostrorum consortio civium, tam quia est de tam nobili stirpe natus, ... ». Le Conseil Général adopta la proposition par 203 voix contre 20. 4 Sur ce personnage, voir A. Vauchez, s.v. Pietro Pettinalo, dans BS, X, Rome 1968, c. 719-722, et R. Manselli, s.v. Pietro Pettinalo, dans Enciclopedia Dantesca IV, Rome, 1973, p. 492-493. Dante l'évoque dans le Purgatoire, Chant XIII, v. 124-129, et Ubertin de Casale dans le prologue de X Arbor vitae. Voir aussi De conformiate, éd. dans Analecta Franciscana, IV, Quaracchi, 1907, p. 361. 5 Sur Ambroise Sansedoni, voir l'intéressante Legenda antiqua composée par qua tre Dominicains contemporains (= BHL 382), éd. dans AA.SS. Mart. Ill, 180-209, et la Vita par le frère Recupero (= BHL 383), éd. ibid., p. 210-239. Sur les activités d'Ambroise Sansedoni comme prédicateur, voir Th. Kaeppeli, Le prediche del B. Ambrogio Sanse- doni, dans AFP, 38, 1968, p. 5-19. 6 Sur Joachim de Sienne, dit à tort Piccolomini, voir la Legenda, éd. P. Soulier, dans Monumenta Ordinis Servorum Sanctae Mariae, Rome, 1902, p. 7-14, et les docu ments sur le culte dans AA. SS. April. II, 455-465. LA COMMUNE DE SIENNE, LES ORDRES MENDIANTS ET LE CULTE DES SAINTS 759 Ermites de S. Augustin dont il était une des gloires, et sa tombe, dans leur couvent, devint bientôt un lieu de pèlerinage7. La culte de ces quatre personnages se développa à Sienne sans l'impul sion des Ordres Mendiants et connut d'emblée un grand succès. Nous en avons un témoignage, dans la «Cronaca Senese» d'Agnolo di Tura del Grasso, qui écrivait dans la première moitié du XIVe siècle. Ce chroniqueur dit en effet à propos du B. «Agostino Novello» : «Frate Aostino Romano de l'Ordine dei Frati di Santo Aostino passo di questa vita a di' ... d'ottobre in Siena; e frati di quella regola manifestoro la sua santa vita et mostrò Idio per lui molti miracoli e cominciossi per lui fare in Siena una grande festa per le compagnie de Siena et chiamavasi beato Aostino Novello»8. Très rapidement la Commune de Sienne intervint dans ces cultes pour favoriser leur dévelop pement, comme le montre une série de décisions conservées dans les délibé rations du Conseil Général, qui nous permet de suivre les étapes de l'inte rvention des pouvoirs publics. Ainsi, en 1287, nous voyons le Conseil Général octroyer une subvention de 50 livres aux Dominicains pour la construction de Yarcha, c'est-à-dire du tombeau de pierre, où devaient reposer les restes du B. Ambroise Sansedoni9· Quelques mois plus tard, il accorda, toujours aux Dominicains, une subvention d'un montant équivalent pour la construc tion d'une chapelle en l'honneur d'Ambroise Sansedoni dans leur église de Camporeggio10. En 1289, année du décès du B. Pierre Pettinalo, la Commune donna 200 livres aux Frères Mineurs pour élever un tombeau avec ciborium et autel en l'honneur de ce pieux laïc. Cette décision fut approuvée par 230 voix contre 4, ce qui illustre bien sa popularité". En 1296, nous savons par d'autres documents que la Commune participait à la fête de Pierre Pettinalo ; cette année-là, son offrande se montait à 40 cierges et à 2 « dopleri », c'est-à- dire d'énormes candélabres de cire12. En 1306 est attestée l'existence d'un «pallio» offert par la Commune en l'honneur du B. A. Sansedoni, le jour de sa fête; en 1309, la participation financière de la Commune à cette cérémonie 7 Sur ce personnage, voir A. M. Giacomini, s.v. Agostino Novello, dans BS, I, Rome, 1961, c. 601-608, et uploads/Religion/ la-commune-de-sienne-les-ordres-mendiants-et-le-culte-des-saints-a-vauchez.pdf
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- Publié le Sep 26, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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