Annales. Economies, sociétés, civilisations J. Lacarriére, Les hommes ivres de

Annales. Economies, sociétés, civilisations J. Lacarriére, Les hommes ivres de Dieu. J. Décarreaux, Les Moines et la civilisation. Y. Bottineau, Les chemins de Saint-Jacques. Monsieur Jacques Le Goff Citer ce document / Cite this document : Le Goff Jacques. J. Lacarriére, Les hommes ivres de Dieu; J. Décarreaux, Les Moines et la civilisation; Y. Bottineau, Les chemins de Saint-Jacques.. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 21ᵉ année, N. 2, 1966. pp. 391-393; https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1966_num_21_2_421386_t1_0391_0000_2 Fichier pdf généré le 21/03/2019 ÉGLISE ET VIE RELIGIEUSE problème de la conversion de Constantin. « La prudence, écrit-il, conseille de renoncer à poursuivre un objet qui se dérobe à nos prises : plus que les convictions intimes de Constantin, c'est sa politique qui importe à l'histoire, et c'est celle-là que nous pouvons saisir » (p. 277). Il excelle à présenter, en des tableaux synthétiques vivants et, aussi clairs qu'il est possible, les péripéties de la crise arienne, avec les diverses tendances entre lesquelles se partage l'hérésie, ou les personnalités et l'œuvre des Pères de l'Église, puis les conflits christologiques du Ve siècle. Les destinées du christianisme en dehors de l'Empire romain ne sont pas oubliées et nous mènent progressivement aux derniers chapitres : « émergence de la chrétienté médiévale », et : « vers la conversion de l'Europe du Nord ». Relevons seulement quelques lapsus calami, peu nombreux d'ailleurs et qui disparaîtront de la seconde édition, vite promise à cet ouvrage. C'est à Sardique et non à Nicomédie qu'a été promulgué l'édit de Galère en 311 (p. 275). La bataille du Pont Milvius est du 28 octobre 312 et non du 12 octobre (p. 276). Le Serapeum d'Alexandrie a été détruit en 391 plutôt qu'en 389 (p. 335). Le volume, muni d'une bonne bibliographie sélective, d'une chronologie, d'un index analytique commode, et illustré de seize cartes, est appelé à rendre de grands services, en particulier aux étudiants et au public cultivé. C'est une réussite incontestable, qui nous fait attendre avec d'autant plus d'impatience les tomes suivants. — André Chastagnol. Aventures religieuses, du IVe siècle aux temps modernes. Voici, chez le même éditeur, trois ouvrages x qui honorent la vulgarisation. Trop d'amateurs mal outillés ou de spécialistes peu scrupuleux fournissent des produits douteux à une clientèle de plus en plus vaste, soucieuse d'être instruite sans être ennuyée, mais incapable souvent d'évaluer la qualité scientifique de ce qu'on lui offre pour qu'on ne félicite pas auteurs et éditeurs de ces réussites honnêtes et parfois brillantes. Étudiants et professeurs peuvent sans rougir lire et utiliser ces livres. Ils admireront les illustrations souvent belles et pertinentes, regretteront que la bibliographie soit trop succincte dans les Hommes ivres de Dieu et accorde une place trop restreinte aux ouvrages en langue étrangère et aux articles (ceci valant à des degrés divers, pour les trois livres). Mais ces œuvres ne leur sont pas destinées. Pourquoi se plaindraient-ils s'ils y trouvent quand même leur pâture ? Des trois auteurs, Jacques Lacabbière est le plus inspiré par son sujet. Les Hommes ivres de Dieu (titre parfaitement justifié, car il n'est pas une métaphore d'inspiration commerciale, mais une citation fort adéquate du Pseudo-Macaire : « et ces hommes sont loin d'eux- mêmes comme ivres de boisson, ivres en esprit de Mystère et de Dieu ») mettent en scène les Pères du Désert dans l'Orient du ive siècle. L'auteur n'oublie ni la perspective chronologique (de bonnes pages sur la christia- 1. J. Lacarriére, Les hommes ivres de Dieu, Arthaud Paris 1961 ; J. Décarreaux, Les Moines et la civilisation, Arthaud, Paris 1962 ; Y. Bottineatj, Les chemins de Saint-Jacques, Arthaud, Paris-Grenoble 1964. 391 ANNALES nisation de l'empire et ses conséquences pour les chrétiens, sur le contexte économique et démographique de l'Egypte), ni les dimensions sociologiques (ces communautés d'ascètes sont des « anti-sociétés » composées de réfrac- taires de toutes sortes), ni les références judicieuses aux données auxiliaires des sciences modernes (par exemple le rapprochement des tentatives ascétiques d'un homme biologiquement nouveau et les expériences visionnaires d'Aldous Huxley après injection de mescaline). Aux personnages étonnants, aux phénomènes saisissants qui forment l'objet de ce livre correspond une documentation littéraire et iconographique souvent extraordinaire. Jacques Lacarrière a su, notamment pour les textes, donner des échantillons remarquables de ces témoins excep- tionels — mais qui révèlent toute une dimension de l'homme. L'abbé Jean Décarreaux s'est intéressé, lui, aux « athlètes » spirituels de l'Occident. Il conduit son exposé sur les Moines et la Civilisation en Occident sur une durée plus longue, « des invasions à Charlemagne ». Quand on lit les deux ouvrages comme les deux volets d'un diptyque, on regrette que J. Décarreaux n'ait pas fait un sort à un texte qui, à la charnière chronologique entre son livre et celui de J. Lacarrière, exprime à merveille la différence d'insertion sociale entre les anachorètes orientaux et les moines occidentaux dont saint Martin est le prototype. Sulpice Sévère, s'adressant à son interlocuteur Postumianus qui vient de faire l'éloge des hommes ivres de Dieu, lui réplique : «illi enim ab omni impedimento liberi. caelo tantum adque angelis testibus plane admirabilia docentur operari ; iste in medio coetu et conversatione populorum, inter clericos dissidentes, inter episcopos salvientes, cum fere cotidianis scandalis hinc adque inde premeretur, inexpugnabili tamen adversus omnia virtute fundatus stetit et tanta operatus est, quanta ne illi quidem, quos ante audivimus esse in eremo uel fuisse, fecerunt (Dialogue, 1, 24). Comment mieux dire que la configuration géographique (les déserts d'Occident n'ont pas la dimension des solitudes d'Orient), l'environnement social et institutionnel empêcheront les moines d'Occident d'échapper vraiment au siècle, condamneront la fuga mundi à buter sur les difficultés médiocres d'un entourage toujours proche et oppressant ? Dans le domaine monastique comme en d'autres l'Occident doit se résigner à être privé des prestiges de l'Orient, à réaliser ses miracles « in minimis », à se construire par de lents cheminements. Mais tout comme Sulpice Sévère réclame pour son saint un mérite égal sinon supérieur à celui des ascètes orientaux, J. Décarreaux n'atteint pas à une moindre réussite que J. Lacarrière. Sans doute pourrait-on le chicaner sur tel ou tel point. La notion de civilisation à laquelle se réfère l'auteur est toute spirituelle et intellectuelle. Le rôle de ses héros dans le domaine technique et économique — si important au point qu'on le retrouve dans nombre de leurs miracles et que leur thaumaturgie consiste en grande partie à résoudre des problèmes matériels avec les « armes spirituelles » à défaut d'autre outillage en ce temps de pénurie et de récession — n'est évoqué qu'aux toutes dernières pages en une sorte d'appendice intitulé « les biens de ce monde ». L'auteur n'hésite pas à se lancer dans des digressions sympathiques mais un peu naïves : telles certaines envolées sur la culture et les humanités où 392 ÉGLISE ET VIE RELIGIEUSE sont évoqués et Jean XXIII et Edouard Herriot, tout comme le mot best-seller vient naturellement sous sa plume à propos de la Vie de saint Martin de Sulpice-Sévère. On est aussi un peu inquiet à lire, dans la préface, que l'auteur « a voulu surtout mettre en relief des personnalités » et que, préoccupé de montrer l'impact du monachisme du Haut Moyen Age sur la culture, il a négligé ermites et reclus, les monastères de femmes qui « ont peu apporté à la civilisation ». Mais on a la bonne surprise qu'en ce qui concerne les moniales, en tout cas sainte Radegonde, sainte Scolastique, sainte Hilda par exemple, sinon sainte Bathilde qui n'a droit qu'à une ligne, ne soient pas négligées. J. Décarreaux se laisse aussi parfois emporter par son admiration pour ses héros. Ainsi la « réhabilitation » du travail manuel x qu'il attribue à saint Benoît est moins nette qu'il ne le dit, puisque ce travail a une valeur surtout négative de pénitence et de moyen d'éviter l'oisiveté et le contact avec le marché extérieur. A ce propos, si saint Benoît (p. 219) recommande, en effet, de vendre au-dessous du prix du marché les éventuels surplus de production du monastère, c'est un faible écho de la Règle du Maître, qui, très vraisemblablement antérieure, correspond peut- être à une situation économique où une circulation de produits alimentant les marchés existait encore. Il n'est pas sûr que E. Ch. Babut ait calomnié saint Martin, comme le croit J. Décarreaux à la suite du P. Delehaye et des Bollandistes, en prétendant qu'il doit sa renommée à la publicité posthume que lui fit Sulpice-Sévère. Dans un de ses premiers articles — déjà marqué de son incomparable intelligence historique — Marc Bloch avait pris de façon à mes yeux convaincante la défense du jeune historien disparu dans la guerre de 1914-1918 face à ses savants et orthodoxes contradicteurs 2. Mais ces réserves ne doivent pas ternir les mérites de cette excellente initiation au monachisme occidental ». Avec le livre de Yves Bottineau sur Les chemins de Saint- Jacques, on est plus proche de l'histoire traditionnelle que des essais originaux de J. Lacarrière et J. Décarreaux parus dans la collection de vulgarisation exploratrice « Signes des temps » dirigée uploads/Religion/ j-lacarriere-les-hommes-ivres-de-dieu-j-decarreaux-les-moines-et-la-civilisation-y-bottineau-les-chemins-de-saint-jacques.pdf

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  • Publié le Fev 27, 2022
  • Catégorie Religion
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