DU M:f:ME AUTEUR Mensonge romantique et verite romanesque, Bernard Grasset, 196

DU M:f:ME AUTEUR Mensonge romantique et verite romanesque, Bernard Grasset, 1961. LA VIOLENCE ET LE SACRE RENE GIRARD LA VIOLENCE ET LE SACRE BERNARD GRASSET PARIS Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation reserves pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. © :tduions Bernard Grassel, 1972. A Paul Thoulouze La Fondation Guggenheim et l'Universite de New York a Buffalo (Faculty of Arts and Letters) ant accorde l'une la bourse, l'autre le temps libre qui ant facilite Ia redaction du present ouvrage. L'auteur les remercie. Sa reconnaissance va egalement a taus ses amis, a Eugenio Donato principalement, eta Josue Harari, dont Ia collaboration quotidienne et les nombreuses sugges- tions sont partout presentes dans les pages qui suivent. I LE SACRIFICE Dans de nombreux rituels, le sacrifice se presente de deux fa~ons opposees, tantOt comme une « chose tres sainte » dont on ne saurait s'abstenir sans negligence grave, tantOt au contraire comme une espece de crime qu'on ne saurait commettre sans s'exposer a des risques egalement tres graves. Pour rendre compte de ce double aspect, legitime et illegitime, public et presque furtif, du sacrifice rituel, Hubert et Mauss, dans leur Essai sur la nature et la fonc- tion du sacrifice 1, invoquent le caractere sacre de la victime. II est criminel de tuer la victime parce qu'elle est sacree ... mais la victime ne serait pas sacree si on ne la tuait pas. II y a la un cercle qui recevra un peu plus tard et qui conserve de nos jours le nom sonore d'ambi- valence. Si convaincant et meme impressionnant que nous paraisse encore ce terme, apres l'etonnant abus qu'en a fait le xx· siecle, il est peut-etre temps de recon- naitre qu'aucune lumiere propre n'emane de lui, qu'il ne constitue pas une veritable explication. II ne fait que designer un probleme qui attend encore sa resolution. Si le sacrifice apparait comme violence criminelle, il n'y a guere de violence, en retour, qui ne puisse se decrire en termes de sacrifice, dans la tragedie grecque, Par exemple. On nous dira que le poete jette un voile Poetique sur des realites plutot sordides. Indubitable- lllent, mais le sacrifid'e et le meurtre ne se preteraient 1. Ex trait de l' Annee sociologique, 2 (1899). 14 LA VIOLENCE ET LE SACRE pas a ce jeu de substitutions reciproques s'ils n'etaient pas appa.rentes. II y a la un f;:tit si evident qu'il parait un peu ndicule mais qu'il n'est pas inutile de souligner car les evidences premieres, dans le domaine du sacri- fice, ne pesent d'aucun poids. Une fois qu'on a decide d.e faire du sacrifice une institution « essentiellement », smon meme « purement » symbolique, on peut dire a peu pres n'importe quai. Le sujet se prete merveilleuse- ment a un certain type de reflexion irreelle. II y a un mystere du sacrifice. Les pietes de l'huma- nisme classique endorment notre curiosite mais la fre- quentation des auteurs anciens la reveille. Le mystere, aujourd'hui, demeure aussi impenetrable que jamais. Dans la fa<;on dont les modernes le manient, on ne sait pas si c'est la distraction qui l'emporte, !'indifference ou une espece de prudence secrete. Est-ce la un second mystere ou est-ce encore le meme? Pourquoi, par exem- ple, ne s'interroge-t-on jamais sur les rapports entre le sacrifice et la violence? Des etudes recentes suggerent que les mecanismes physiologiques de la violence varient fort peu d'un indi- vidu a l'autre et meme d'une culture a l'autre. Selon Anthony Storr, dans Human Aggression (Atheneum 1968), rien ne ressemble plus a un chat ou a un homm~ en colere qu'un autre chat ou un autre homme en colere. Si la violence jouait un role dans le sacrifice, au mains a certains stades de son existence rituelle, on tiendrait la un element d'analyse interessant car independant, au mains en partie, de variables culturelles souvent incon- nues, mal connues, ou mains bien connues, peut-etre, que nous l'imaginons. Une fois qu'il est eveille, le desir de violence entraine certains changements corporels qui preparent les hommes au combat. Cette disposition violente a une certaine duree. II ne faut pas voir en elle un simple reflexe qui interromprait ses effets aussitot que le sti- mulus cesse d'agir. Storr remarque qu'il est plus difficile d'apaiser le desir de violence que de le declencher, sur- tout dans les conditions normales de la vie en societe. On dit frequemment la violence « irrationnelle ». Elle ne manque pourtant pas de raisons; elle sait meme en trouver de fort bonnes quand elle a envie de se dechai- LE SACRIFICE 15 ner. Si bonnes, cependant, que soient ces raisons, elles ne meritent jamais qu'on les prenne au serieux. La violence elle-meme va les oublier pour peu que l'objet initialement vise demeure hors de portee et continue a la narguer. La violence inassouvie cherche et finit tou- jours par trouver une victime de rechange. Ala creature -que excitait sa fureur, elle en substitue soudain une autre qui n'a aucun titre particulier a s'attirer les foudres du violent, sinon qu'elle est vulnerable et qu'elle passe a sa portee. Cette aptitude a se donner des objets de rechange, beaucoup d'indices le suggerent, n'est pas reservee a la violence humaine. Lorenz, dans l' Agression (Flamma- rion, 1968), parle d'un certain type de poisson qu'on ne peut pas priver de ses adversaires habituels, ses congeneres males, avec lesquels il se dispute le controle d'un certain territoire, sans qu'il retourne ses ten- dances agressives contre sa propre famille et finisse par la detruire. II convient de se demander si le sacrifice rituel n'est pas fonde sur une substitution du meme genre, mais en s~ns inverse. On peut concevoir, par exemple, que !'immolation de victimes animales detourne la violence de certains etres qu'on cherche a proteger, vers d'autres etres dont la mort importe mains ou n'importe pas du tout. Joseph de Maistre, dans son Eclaircissement sur les sacrifices, observe que les victimes animales ant tou- jours quelque chose d'humain, comme s'il s'agissait de mieux tramper la violence : « On choisissait toujours, parmi les animaux, les plus precieux par leur utilite, les plus doux, les plus inno- cents, les plus en rapport avec l'homme par leur instinct et par leurs habitudes ... « On choisissait dans l'espece animale les victimes les plus humaines. s'il est permis de s'exprimer ainsi. » L'ethnologie moderne apporte parfois une confirma- tion a ce genre d'intuition. Dans certaines communautes pastorales qui pratiquent le sacrifice, le betail est etroi- tement assode a !'existence humaine. Chez deux peuples 16 LA VIOLENCE ET LE SACRE du haut Nil, par exemple, les Nuer, etudit~s par E. E. Evans-Pritchard, et les Dinka, etudies plus recem- ment par Godfrey Lienhardt, il existe une veritable societe bovine, parallele a la societe des hommes et strUctUree de }a meme fac;on 1 • En tout ce qui concerne les bovins, le vocabulaire nuer est extremement riche, tant sur le plan de l'eco- nomie et des techniques que sur celui du rite et meme de la poesie. Ce vocabulaire permet d'etablir des rap- ports extremement precis et nuances entre le betail d'une part et de l'autre la communaute. Les couleurs des animaux, la forme de leurs cornes, leur age, leur sexe, leur lignage, distingues et rememores parfois jusqu'a la cinquieme generation, permettent de differencier entre elles les tetes de betail, de fac;on a reproduire les diffe- renciations proprement culturelles et a constituer un veritable double de la societe humaine. Parmi les noms de chaque individu, il y en a toujours un qui designe egalement un animal dont la place dans le troupeau est homologue a celle de son maitre dans la communaute. Les querelles entre les sub-sections ont frequemment le betail pour objet; tous les dommages et interets se reglent en tetes de betail, les dots matrimoniales consis- tent en troupeaux. Pour comprendre les Nuer, affirme Evans-Pritchard, il faut adopter la devise : « Cherchez la vache ». Entre ces hommes et leurs troupeaux, il existe une espece de « symbiose » - !'expression est encore d'Evans-Pritchard - qui nous propose un exem- ple extreme et presque caricatural d'une proximite caracteristique, a des degres divers, des rapports entre les societes pastorales et leur betail. Les observations faites sur le terrain et la reflexion theorique obligent a revenir, dans !'explication du sacri- fice, a !'hypothese de la substitution. Cette idee est par- tout presente dans la litterature ancienne sur le sujet. C'est d'ailleurs pourquoi beaucoup de modernes la rejettent ou ne lui font qu'une place minime. Hubert et Mauss, par exemple, se mefient d'elle, sans doute parce qu'elle leur parait entrainer un univers de valeurs 1. E. E. Evans-Pritchard, The Nuer (Oxford Press, 1940); Godfrey Lienhardt, Divinity and Experience, the Religion of the Dinka (Oxford Press, 1961). LE SACRIFICE 17 morales et religieuses incompatibles avec la science. Et un Joseph de Maistre, c'est un fait, voit toujours dans la victime rituelle une creature « innocente :., qui paye pour quelque « coup able '>. L'hypothese que no us pro- posons supprime cette difference morale. Le rapport entre la uploads/Religion/ girard-la-violence-et-le-sacre.pdf

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  • Publié le Fev 19, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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