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126/05/Sunday 12h33 Séminaire de P Page 1 sur 13 http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20062007/sibertin07022007.html Groupe d'études "La philosophie au sens large" animé par Pierre Macherey (07/02/2007) L’analyse des agencements et le groupe de lutte comme expérimentateur collectif (à propos de Politique et clinique. La philosophie pratique de Gilles Deleuze, Thèse de doctorat soutenue à Lille 3 le 8 décembre 2006) Guillaume Sibertin-Blanc Pierre Macherey m’a invité à revenir sur la thèse que j’ai soutenue, il y a deux mois, sur Deleuze et, pour une grande part, sur son travail commun avec Guattari. Je suis ravi de pouvoir le faire dans le cadre qui en a accueilli et auprès des gens qui en ont accompagnée la rédaction. Je centrerai mon propos sur certains aspects qui, de ce travail, me préoccupent pour un questionnement en cours, donc un peu incertain et tâtonnant ; de sorte que je souhaiterais soumettre ici une série de problèmes plutôt que de thèses assurées, et plutôt que le résultat stable d’une recherche doctorale qui aurait trouvé son point d’équilibre, un appel, pour la discussion de tout à l’heure, à des suggestions, des critiques et des relances, si ces problèmes vous paraissent mériter quelque approfondissement. Pour en esquisser la ligne directrice – qui correspond d’ailleurs à la mise en question suggérée par mon titre de thèse d’un rapport, c’est-à-dire à la fois un espace et une articulation, entre « politique » et « clinique » –, je propose de partir d’un motif que Deleuze introduit autour de 1972, notamment dans un cours à Vincennes en mai 1973, puis qu’il reprend de manière cursive à propos de Kafka ou de David Herbert Lawrence, avant de le développer pour lui-même dans un article ultime publié en 1993 dans Critique et clinique sous le titre « Pour en finir avec le jugement » : le motif du combat. Dans son cours du 14 mai 1973, Deleuze renvoie dos-à-dos deux positions qu’il oppose assez schématiquement : celle qu’il dit adoptée par les « marxistes traditionnels » lorsque, dans une attitude objectiviste, ils prennent pour mot d’ordre « Pour changer l’homme, changeons le monde extérieur », Transformons le monde, les gens finiront bien par suivre ! ; et puis celle des « curés ou [des] moralistes », aux figures d’ailleurs protéiformes où se mêlent notamment des penseurs de la démocratie américaine et « bizarrement, d’une toute autre façon, certains dépôts du maoïsme », position d’un moralisme subjectiviste dont le mot d’ordre serait « Le combat à l’extérieur n’est pas nécessaire, le combat à l’intérieur est le plus profond, et le combat à l’intérieur n’est pas le même que le pseudo-combat à l’extérieur, auquel il faut renoncer. Le combat à l’intérieur est contre notre égoïsme, contre nos vices, il est contre nos tentations » (Deleuze, Cours à Vincennes, 14 mai 1973, webdeleuze.fr) – bref, Changeons l’homme d’abord, dont le cœur est vicié !, Changeons nos désirs plutôt que l’ordre du monde, qui finira bien par suivre ! La ligne de traverse que suggère Deleuze vise à éviter ces deux positions, et à éviter leur caractère alternatif même. Elle passe alors par un double geste. Un geste d’unification des deux cibles d’abord, qui, en suspendant le partage entre intériorité et extériorité, conteste le découpage entre deux champs ou deux domaines d’investigation et d’intervention, un champ sociologique portant sur les institutions sociales, politiques et économiques, un champ psychologique portant sur le moi. Mais il faut noter aussitôt que cette unification des points d’intervention n’entraîne pas pour autant une unification des combats qui sont maintenus comme distincts, ou du moins qui conservent chacun une certaine spécificité – mais laquelle ? Double geste, donc : unification de l’objet qui annule le partage entre une intériorité et une extériorité ; distinction entre deux versants d’un combat qui doit être simultanément critique d’un état chose objectif et critique d’une forme de subjectivité. Dans des formulations d’une densité 126/05/Sunday 12h33 Séminaire de P Page 2 sur 13 http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20062007/sibertin07022007.html extrême qui contracte toute la thématique spinoziste des rencontres, luttes et compositions entre modes finis existants, thématique qui a proliféré, de Rhizome et Dialogues à Mille plateaux et Spinoza Philosophie pratique, dans tous les plans de construction conceptuelle, l’article de Critique et clinique « Pour en finir avec le jugement » vient in fine préciser les termes de ce double combat en distinguant un combat-contre, « combat contre l’Autre » qui s’emploie « à détruire ou à repousser une force » adverse (« lutter contre les puissances diaboliques de l’avenir »), et un combat-entre, « combat entre Soi » qui « cherche au contraire à s’emparer d’une force pour la faire sienne », « processus par lequel une force s’enrichit, en s’emparant d’autres forces et en s’y joignant dans un nouvel ensemble, dans un devenir » qui est l’émergence d’un nouveau mode d’existence où se transforme « la composition des forces dans le combattant » lui-même (Deleuze, Critique et clinique, Minuit, 1993, p. 165). « Des lettres d’amour [cf. Lettres à Milena de Kafka], on peut dire qu’elles sont un combat contre la fiancée, dont il s’agit de repousser les forces inquiétantes, carnivores, mais c’est aussi un combat entre les forces du fiancé et des forces animales qu’il s’adjoint pour mieux fuir celle dont il redoute d’être la proie, des forces vampiriques aussi dont il va se servir pour sucer le sang de la femme avant qu’elle ne vous dévore, toutes ces associations de forces constituant des devenirs. […] Si bien que c’est en devenant […] que le combattant peut se lancer « contre » son ennemi, avec tous ces alliés que lui donne l’autre combat » (ibid., p. 165-166). Cette reformulation signale bien, au lieu de la disjonction exclusive qu’imposait tout à l’heure l’alternative entre objectivisme et subjectivisme, l’enveloppement d’un combat par l’autre, leur spécificité dans leur indissociabilité. Sur cette base, on peut aborder deux questions ? En quoi ce « combat-entre » constitue-t-il une « clinique » ? Il n’est pas question de restaurer un corps ou une âme dans un régime de fonctionnement « normal » – que cette normalité soit définie objectivement par un consensus intraorganique (équilibre) ou par un consensus du rapport individu vivant/milieu (adaptation) –, mais plutôt de restaurer, dans les rapports tant intérieurs qu’extérieurs d’un vivant, individu ou groupe, une relative indétermination normative, capacité plastique de faire varier des normes, d’en détruire et d’en inventer, capacité que Deleuze, reconduisant la thèse de Canguilhem à son arrière-plan nietzschéen, envisage du point de vue de sa composition matérielle comme composition de forces. La deuxième question est beaucoup plus délicate : dans quelle mesure le « combat-contre » ou l’affrontement de forces à proprement parler, dès lors qu’il est rapporté à ce « combat-entre » ou à cette dynamique de transformation subjective expérimentée dans la création d’un nouveau mode d’existence, peut-il encore constituer une politique ? C’est-à-dire dans quelle mesure peut-il encore s’intégrer dans une ligne stratégique, ou dans un plan de développement d’une telle ligne, qui présuppose forcément une grille d’objectivation et d’interprétation de l’espace sociale, grille permettant d’en appréhender dans une représentation totalisée les lignes de forces et leurs évolutions possibles ? Dans l’indétermination qu’on vient d’évoquer, le plan politique ne peut trouver qu’une source de déstabilisation, la ligne stratégique, un vecteur de modulation, bifurcation, brisure… En effet, à valoriser une telle expérimentation, un tel processus de création et de métamorphose où serait mise en jeu les positions subjectives, les oppositions signifiantes et toutes les coordonnées du sens, et par suite les représentations d’intérêts individuels ou collectifs qui inévitablement y perdraient leur évidence, c’est à coup sûr toute la représentation objective des rapports de forces qui devrait voir vaciller sa pertinence stratégique, dans un tremblé des conditions, des adversaires et des appartenances, des objectifs stables, bref, de toute la problématique de lutte telle qu’on s’attendrait à pouvoir l’inscrire dans un programme. Une telle antinomie de l’expérimentation et du programme a été clairement formulée par Foucault dans un entretien de 1982, et d’une façon qui convient parfaitement à une orientation constante du travail de Deleuze avec Guattari : « L’une des réalisations des années soixante et soixante-dix, que je considère comme une réalisation bénéfique, est que certains modèles institutionnels ont été expérimentés sans programme. Sans programme ne veut pas dire aveuglément — en étant aveugle à la pensée. […]. Depuis le XIXe siècle, les grandes institutions politiques et les grands partis politiques ont 126/05/Sunday 12h33 Séminaire de P Page 3 sur 13 http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20062007/sibertin07022007.html Depuis le XIXe siècle, les grandes institutions politiques et les grands partis politiques ont confisqué le processus de la création politique ; je veux dire par là qu’ils ont essayé de donner à la création politique la forme d’un programme politique afin de s’emparer du pouvoir. Je pense qu’il faut préserver ce qui s’est produit dans les années soixante et au début des années soixante-dix. L’une des choses qu’il faut préserver, à mon avis, est l’existence, en dehors des partis politiques, et en dehors du programme normal ou ordinaire, d’une certaine forme d’innovation politique, de création politique et d’expérimentation uploads/Politique/lanalyse-des-agencements-et-le-groupe-de.pdf

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