Jonathan SOISSON EGE Infolabo L’intelligence économique ? Plus qu’un concept :
Jonathan SOISSON EGE Infolabo L’intelligence économique ? Plus qu’un concept : une grille de lecture innovante du monde contemporain… L’intelligence économique suscite d’innombrables débats, essais de définition et commentaires théoriques nécessaires à la cristallisation de la discipline et à la mise en place de structures opérationnelles (publiques et privées). Deux étudiants de l’École de Guerre Économique nous livrent ici quelques réflexions sur la discipline : TENTATIVE DE DEFINITION DE L'INTELLIGENCE ECONOMIQUE Le rapport Intelligence économique et stratégie des entreprises du Commissariat Général au Plan de 1994, dit "rapport Martre" définit en substance l'intelligence économique comme la gestion stratégique des informations utiles aux acteurs économiques, ceci afin de faciliter et d’optimiser la prise de décision. Loin de prétendre remettre en cause cette définition, il semble néanmoins qu’il faille la mettre davantage en perspective, à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan opérationnel. C'est dans cette optique que nous tenterons ici d'élargir le spectre de mise en situation historique de cette discipline. A cette fin, il s’agira premièrement d’en préciser le cadre notionnel, issu de deux grandes tendances historiques, à savoir : l'inscription de plus en plus forte des logiques géopolitiques dans des dynamiques géo-économiques, et l'émergence de l'information comme ressource stratégique des acteurs privés et publics. Deuxièmement, il sera nécessaire d’explorer clairement la configuration opérationnelle globale de l’intelligence économique, laquelle la laisse d’abord apparaître comme un ensemble de savoir-faire, ainsi que comme une politique publique. I- L'intelligence économique comme perspective analytique A] De la géopolitique à la géoéconomie… L'intelligence économique, notion dont la presse s’est emparée récemment, s’enracine dans un faisceau de dynamiques, en interaction constante, qui se manifeste globalement par un déplacement du centre de gravité de l'histoire de la géopolitique vers la géoéconomie. En effet, cette dernière, théorisée par Edward Luttwak, résulte de trois grands facteurs déterminants. Tout d'abord, la mutation profonde du capitalisme durant les trente dernières années. Éric Delbecque évoque à ce propos une mutation endogène conflictuelle, dont il résulte un durcissement permanent de la concurrence entre les acteurs économique. En d'autres termes, de plus en plus d'acteurs s’affrontent pour la conquête de marchés dont le nombre n’est pas indéfiniment, ou tout au moins mécaniquement, extensible. Intelligence économique concurrentielle et stratégique 1 Jonathan SOISSON EGE Ensuite, la fin de la Guerre Froide a provoqué une révolution de la confrontation des intérêts de puissance sur la scène internationale. L'effondrement du bloc communiste et le triomphe du capitalisme, c’est-à-dire la chute du monde bipolaire, ont profondément déstabilisé la perception que les individus et les sociétés se faisaient du monde et des structures économiques et politiques, ce qui contribua à intensifier le déplacement des enjeux de pouvoir sur le terrain économique. Enfin, la transformation des formes de la guerre a parachevé cette mutation. Jusqu'à présent, le détenteur du pouvoir était celui qui disposait de la violence physique (légitime ou non). Désormais, c'est celui qui dispose des plus grandes ressources financières et des meilleures stratégies de gestion de la connaissance qui dispose du pouvoir réel. C'est l'ensemble de ces changements profonds qui ont installé la géoéconomie au centre des enjeux et rivalités de puissance, et qui conduisirent Bernard Esambert et Christian Harbulot à parler de « guerre économique ». B] Le rôle central de l'information L’ensemble des logiques précédemment évoqué s’inscrit bien entendu dans le déploiement des structures spécifiques de la société de l’information. A l'heure des NTIC, il est indiscutable que l'accès à l'information devient moins problématique. Selon des estimations, l’Internet permet d'accéder à plus de six milliards de données. Un chiffre si étourdissant que certains peuvent sans doute légitimement parler de « surinformation ». Dès lors, la difficulté n’est plus de trouver l'information mais de la gérer, de la maîtriser : face à cette abondance, il faut incessamment trier et sélectionner, faire la part des choses entre l’utile et le superflu. La seconde, et qui découle naturellement de la première, est l'impératif d'une gestion offensive de la connaissance. Cette surabondance a effectivement entraîné ce qu'il est convenu d'appeler la « guerre de l'information ». Non seulement il importe de savoir obtenir des informations (guerre pour l'information), mais aussi d’en « organiser » la rareté pour ses rivaux (guerre contre l'information) et d’en orienter le sens (guerre par l'information), le but étant de construire ainsi un avantage compétitif. Il apparaît donc, au travers de ces cinq grandes lignes de force qu'Éric Delbecque nomme le « Pentagone cognitif »1, que l'intelligence économique s’affirme comme un système conceptuel, une doctrine, une grille d’interprétation du monde contemporain. Mais elle ne se limite pas à cela… Elle apparaît tout autant comme une chaîne opérationnelle se savoir-faire intégrés. II- L'intelligence économique est opérationnelle A] Un ensemble de savoir-faire En tant que pratique, l'intelligence économique est avant tout un ensemble de savoir-faire qui s'articulent autour de deux axes : offensif-défensif d'une part, et détection des menaces-exploration des opportunités d'autre part. Le premier de ces savoir-faire est la veille (à laquelle est souvent réduite l'intelligence économique), laquelle consiste en une activité de collecte d'informations en vue de leur analyse. Le produit du traitement sera ensuite diffusé aux décideurs. Le deuxième est la sécurité économique, de la sûreté et de la sécurité à la protection du patrimoine informationnel. 1 Document non publié à ce jour. Intelligence économique concurrentielle et stratégique 2 Jonathan SOISSON EGE Intelligence économique concurrentielle et stratégique 3 Enfin le troisième savoir-faire propre à l'intelligence économique est l'influence. C'est le plus subtil des trois, et peut-être le plus sujet aux controverses. Il consiste en des actions de configuration des comportements, en jouant notamment sur le management des perceptions. L'intelligence économique se constitue donc l'addition de ces trois savoir-faire. Mais le champ de l’opérationnel ne s’arrête pas là : l’IE est également une politique publique, ainsi que l’a souligné le rapport Carayon... B] Une politique publique D'un point de vue pratique, l'intelligence économique forme une politique publique, ce qui sous- entend un Etat stratège, élaborant et mettant en œuvre une authentique politique de puissance. Cette dernière repose sur cinq piliers fondamentaux. Elle nécessite d’abord que soient identifiés et promus des impératifs stratégiques, c'est-à-dire que soient fixés des objectifs à atteindre, et qu’ils soient expliqués, légitimés ; elle exige ensuite la formulation d’une vraie doctrine de sécurité globale, conjuguant les volets militaires, économiques et culturels ; cette stratégie de puissance nécessite encore la maîtrise par l'Etat des outils et enjeux de la guerre de l'information ; il est aussi indispensable que les pouvoirs publics disposent de véritables outils de planification et de prospective ; et il faut enfin que l’appareil gouvernemental sache user avec adresse des armes de l'influence et du rayonnement global. Parvenir à mettre sur pied cette politique de puissance requiert six actions prioritaires : identifier les « sanctuaires » de souveraineté, promouvoir une culture de coopération nationale (inter- administrations et public-privé), sensibiliser les élites aux nouveaux intérêts de puissance, augmenter la production de savoir, rénover les outils d'influence, et, enfin, promouvoir un sentiment légitime de patriotisme économique, qui ne se confond pas avec le syndrome de « bunkerisation ». Il ressort de cette analyse que l'intelligence économique est tout autant une pratique qu’un concept ; il faut même affirmer qu’elle constitue un état d'esprit. En somme, l'intelligence économique peut se définir comme un ensemble de savoir-faire transdisciplinaires (veille, sécurité économique et influence) générant un avantage concurrentiel stratégique, mis en œuvre dans un environnement socio- politique optimisant ces pratiques par l’effet catalyseur d'une politique publique appropriée, le tout s'exerçant dans un contexte géoéconomique, voire « géo-informationnel », hautement conflictuel… Nicolas DIGNOIRE EGE L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE : REFLÉXIONS AUTOUR D’UN CONCEPT ARMÉ D’OUTILS… Une jeune femme se perd dans ses pensées ; des hommes crient leur colère ; des palettes finissent de se consumer devant un siège social… Derrière des vitres fumées, un directeur balbutie une explication approximative à une journaliste. Litanie d’un scénario devenu dramatiquement classique, articles redondants, reportages témoignant tous d’une réalité : une sorte de crise économique permanente forme l’arrière-plan de nos sociétés contemporaines. Notre siècle fut celui des idéologies déçues : Icare est de nouveau retombé dans le labyrinthe de la modernité ; les yeux meurtris, l’homme contemporain ne comprend plus ce qui l’environne. Ses schémas de pensée sont obsolètes, ses défenses anéanties. Il ne s’agit pas ici de jouer le requiem facile d’une génération, mais plutôt de souligner un mouvement de fond de l’Histoire, telle que la définissait Fernand Braudel. Les mutations des formes de la contrainte se sont révélées à l’aune de leurs conséquences sur la surface de nos sociétés économisées. S’attelant à comprendre les mécanismes de cette transformation, quelques pionniers ont contribué à définir une nouvelle grille de lecture baptisée « Intelligence Economique ». Limitant l’approche du phénomène au périmètre français, il conviendra de souligner les limites épistémologiques du concept avant d’en expliquer les fondements puis les responsabilités. I- Les blessures d’Icare A. Les ambiguïtés d’une définition consensuelle Pour que la paternité du concept ne soit pas scandaleuse, les premières définitions qui apparaissaient le plus immédiatement – mais pas nécessairement le plus adéquatement – dans l’esprit des pères uploads/Politique/ intelligence-economique 1 .pdf
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- Publié le Sep 08, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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