CONFERENCE DES PRESIDENTS DES ASSEMBLEES PARLEMENTAIRES EUROPEENNES (La Haye, 2

CONFERENCE DES PRESIDENTS DES ASSEMBLEES PARLEMENTAIRES EUROPEENNES (La Haye, 24 et 25 juin 1994) LES MEDIAS COMME FACTEUR DE POUVOIR DANS LA POLITIQUE Rapport de M. Frank SWAELEN, Président du Sénat belge Sommaire Introduction, I. Les médias sont-ils effectivement un facteur d'influence politique ? 1. Disparition de la presse écrite d'opinion par suite de la commercialisation 2. Dans notre civilisation de l'image, la télévision, par son effet d'entraînement sur les autres médias, conditionne indirectement l'actualité politique II. Le parlement doit-il se médiatiser ? Le parlement est-il médiatique ? 1. Le secteur des médias entend surtout réaliser des bénéfices 2. En raison de la perte de pouvoir qu'il subit au profit des technostructures, le parlement intéresse moins les médias 3. Le produit d'information doit répondre à des exigences formelles de caractère commercial III. Comment le parlement peut-il se médiatiser ? 1. Une forme moderne de publicité 2. Adaptation du style et de l'organisation des débats 3. Revalorisation du Parlement IV Conclusion V. Annexe : Evaluation d'une expérience d'enregistrement des débats en régie propre, réalisée au Sénat de Belgique Les médias, facteur d'influence politique Quoique la politique et le parlement, les médias et l'opinion publique n'évoluent jamais indépendamment les uns des autres, le présent rapport se bornera à envisager la politique telle qu'elle se pratique au parlement dans son interaction avec les médias. Cette délimitation du sujet correspond du reste au thème prin- cipal de la présente conférence. Le thème principal de la conférence "La démocratie parlementaire est-elle menacée en Europe ?" sera en outre l'occasion rêvée, après avoir évoqué l'effet de conditionnement que les médias exercent sur l'ordre du jour parlementaire, de mettre en évidence une situation paradoxale dans laquelle on voit, d'un côté, le parlement qui devrait et entend promouvoir la publicité démocratique de son fonctionnement par le biais des médias et, de l'autre, les médias qui ne montrent guère d'intérêt pour ce qui se passe au parlement. Ce resserrement du sujet n'aura toutefois pas pour conséquence de restreindre la portée de l'analyse, tant il est vrai que les autres institutions démocratiques et la politique en général sont en butte à la même indifférence des médias, encore que ce soit dans une mesure moindre que le parlement. Aussi est-on sans doute fondé à appliquer à la politique comme telle les moyens auxquels le parlement peut recourir pour relever les défis d'une société fortement médiatisée. L'accent mis dans le présent rapport sur le rôle qu'ils tiennent dans le condi- tionnement de l'ordre du jour parlementaire n'exclut nullement que les médias influencent aussi la politique de manière directe. Seulement, cette influence est difficilement mesurable. Une analyse de l'influence indirecte due au filtrage de l'information par les médias permet d'expliquer l'émergence plus importante encore, de la télécratie, grâce à laquelle de manière cynique et sans programme politique sérieux ni argument convaincant, un politicien d'un genre nouveau est en mesure de séduire le téléspectateur-électeur rien qu'avec des slogans et des techniques publicitaires. I. Les médias sont-ils un facteur d'influence politique ? Traditionnellement, c'est surtout à la télévision que l'on attribue un grand pouvoir d'influence. Parce que certains programmes télévisuels inciteraient à la violence, la C.E. a pris une directive en la matière, des entreprises américaines de télévision et de télédistribution ont mis au point une technique permettant de rendre des émis- sions inaccessibles aux enfants et la CDU et le SPD allemands ont déposé con- jointement un projet de loi visant à protéger la jeunesse et à réduire la violence à la télévision. Par le biais des médias, le parlement et les hommes politiques espèrent informer ainsi qu'influencer les usagers des médias, autrement dit les électeurs. Toutefois, la science de la communication nuance quelque peu cet espoir. En effet, les opinions se forment surtout par les contacts personnels avec les leaders d'opinion ou les groupes de référence. En outre, le consommateur du produit médiatique préfère l'information qui justifie son choix politique, si bien que, dans le meilleur des cas, l'on ne touche que la masse flottante ou les hésitants. Les médias ne constituent donc qu'un facteur d'influence politique direct limité, surtout depuis que la presse écrite d'opinion perd du terrain et il conviendrait de vérifier s'ils ne sont pas plutôt un facteur d'influence politique indirect, du fait que ce sont eux qui conditionnent principalement l'actualité politique. 1. Disparition de la presse écrite d'opinion par suite de la commercialisation Il arrive que les médias influencent directement la politique. Ainsi la presse écrite a-t-elle catalysé les aspirations du peuple espagnol pendant la période de transition vers la démocratie. La presse constitue souvent une source d'inspiration pour les questions parlementaires et révèle parfois des scandales politiques. Cependant, les hommes politiques soulignent, à juste titre, que c'est à eux - et non pas aux journalistes - qu'il appartient de déterminer le débat politique. En effet, la responsabilité politique leur incombe, puisqu'ils ont été élus, même s'ils ne sont pas toujours à la hauteur de leur tâche. Indépendamment de ce débat sur la responsabilité (ou l'irresponsabilité) des médias et leur influence sur la politique, la démocratie parlementaire est menacée par un danger plus grand encore. A la lumière des indices d'écoute et de lecture, les médias commercialisés et multinationaux filtrent les informations parlemen- taires, en se fondant, outre sur la valeur d'actualité, sur trois critères principaux la dramatisation, le divertissement et la personnification. Parce que 60 à 70 % de ses recettes proviennent de la publicité, la presse écrite elle aussi a de plus en plus recours à des méthodes de la télévision telles que l'accentuation outrancière des scandales politiques. Et pourtant, on lit de moins en moins. C'est pourquoi, tant qu'elle dispose encore de suffisamment de capitaux, la presse écrite achète, par ailleurs, le droit d'entrée dans les stations de télévision commerciale. Il ne reste à la presse écrite d'opinion et de qualité, que la marge étroite dans laquelle elle trouve sa justification économique (1). Malgré un tirage limité, elle conserve pourtant son importance, parce qu'elle est lue par les leaders d'opinion. 2. Dans notre civilisation de l'image, la télévision, par son effet d'entraînement sur les autres médias, conditionne indirectement l'actualité politique. Le débat social n'est pas déterminé par les événements, mais par la manière dont ceux-ci sont relatés. Lire demande un effort plus important que subir les médias audiovisuels. Ainsi la télévision peut-elle façonner un monde selon son propre modèle : tout ce qui ne peut pas être traduit en images ne retient pas l'attention. Ted Turner de CNN aurait dit à ce propos : "Ce que nos caméras n'ont pas enregistré et diffusé n'a pas eu lieu. C'est pourquoi des enfants kurdes affamés exhibent des banderolles en langue anglaise afin d'exister, d'appartenir à la réalité et, dès lors, de bénéficier de secours. " Un sujet qui s'accompagne de belles images ou d'images poignantes passera plus facilement à la télévision qu'un sujet dépourvu d'images (2). Les équipes de télévision ne peuvent cependant être partout à la fois. Dans le magazine néerlandais Elsevier, le Premier ministre belge Dehaene raconte que comme il attirait l'attention du président américain, en visite à Bruxelles, sur les atrocités qui se commettaient au Burundi, Clinton lui répondit laconiquement : "Je sais que ce pays connaît de graves problèmes, mais CNN ne les a pas encore évoqués." Les médias filtrent les informations et créent l'événement. Ce sont eux qui conditionnent l'actualité politique. (1) En effet, l'information n'est pas devenue un droit de base; elle ne sert souvent que de soutien à la publicité. Les rédactions ne sont plus guère intéressées par la politique. Ainsi, les trois journaux flamands de qualité ne représentent-ils que 13 % du tirage total de la presse écrite. Le déclin de la presse politique autrichienne, qui, dans les années 50. représentait encore au minimum 50% du tirage national, n'est pas non plus un phénomène typiquement autrichien. (2) Les sujets dépourvus d'images occupent de moins en moins de place dans les journaux télévisés de la chaîne publique flamande : partis de 30,7 % (en 1983) et passant par 10,6 % (en 1988). ils n'atteignent plus qu'à peine 4,4 % (en 1992) de l'ensemble des sujets. Source : -Den Haag Vandaag, de Wetstraat Morgen? Peter Goyvaerts, VUB. 1992. II. Le parlement doit-il se médiatiser ? Le parlement est-il médiatique ? Un parlement démocratique ne peut pas s'isoler de la collectivité. Au contraire, il doit s'interroger constamment sur son propre rôle et son propre fonctionnement pour devenir plus efficace et remplir sa mission de manière plus rationnelle. Parallèlement, il doit veiller concrètement à se tenir au courant de l'évolution des méthodes de travail des médias, car sans eux, les hommes politiques et le parlement n'existeraient pas. Les médias sont, en effet, pour les hommes politiques, des instruments efficaces pour entretenir le contact avec leurs électeurs. Par ailleurs, le parlement est souvent l'unique institution politique au sein de laquelle les partis de l'opposition peuvent faire entendre leur voix (3). Dans l'exercice de sa mission législative et de sa mission de contrôle, le parlement accomplit souvent un travail utile dont les médias ne peuvent pas uploads/Politique/ rapport-swaelen-lahaye94.pdf

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