Les penchants criminels de l'Europe démocratique Jean-Claude Milner parution :

Les penchants criminels de l'Europe démocratique Jean-Claude Milner parution : novembre 2003 160 pages 13,50 € ISBN : 978-2-86432-401-0 http://www.editions-verdier.fr/v3/oeuvre-penchantscrim.html Le couple problème/solution a déterminé l’histoire du nom juif. L’Europe moderne est ce lieu (a) où le nom de Juif est pensé comme un problème à résoudre, (b) où une solution ne vaut que si elle vise à être définitive. Le nazisme s’inscrit dans la continuité de ce paradigme. L’Europe ne peut pas s’y prétendre étrangère. Dans la société issue du dix-neuvième siècle, la forme-problème se constitue à chaque fois que la société rencontre en elle-même une hétérogénéité de structure. Or, le nom juif a la propriété de concentrer sur lui, à chaque période, toute hétérogénéité qui empêche les sujets d’accéder à ce qu’ils demandent. En bref, le Juif incarne l’impossible de quelque demande que ce soit. Il l’incarne d’autant plus que les demandes se multiplient. Mais cette multiplication, c’est la modernité, dont la forme socio-politique est la démocratie. Autrement dit, le problème juif se pose de plus en plus ouvertement au fur et à mesure que la société du dix-neuvième ou du vingtième s’affirme comme moderne et comme démocratique. Pour qu’une solution puisse être définitive, il faut corrélativement qu’elle aussi soit moderne. Tout dépend alors de ce qu’on appelle moderne. Avant 1914, la réponse était simple : le moderne est d’ordre juridique et politique. La solution définitive du problème juif passe par des droits pour les Juifs, à l’horizon de l’égalité et des libertés. Cette première solution définitive se fissure dès 1918. Parce que la guerre a changé la détermination du moderne. Celui-ci passe désormais par la technique et, dans la technique, il passe par la destruction. Un régime politique entre tous a souhaité se rendre adéquat à cette nouvelle figure, c’est le nazisme. Sous les oripeaux de l’archaïque, il se voulait le plus moderne des modernes. Pour cette raison même, il a voulu proposer la solution véritablement définitive du problème juif. Cette solution était technique et destructrice ; elle s’appelle la chambre à gaz. Quand tout est compté, la conclusion s’impose. Dans l’espace que dominait Hitler, c’est-à- dire la quasi-totalité de l’Europe continentale, l’extermination des Juifs a été accomplie. En 1945, l’Europe pouvait se dire que le problème qui la hantait depuis 1815 était résolu. Par des moyens qui lui faisaient horreur, mais peu importe. Pourquoi le problème la hantait-il ? parce qu’il faisait obstacle à son homogénéité et faisant obstacle à son homogénéité, il faisait obstacle à son union. Il n’est donc pas surprenant qu’à peine constatée l’extermination, l’unification commence. Au-delà des discours, la construction européenne repose matériellement sur les camps de la mort. On comprend que cela ait été insoutenable aux Européens. Dans un premier temps, ils ont évité la conclusion en se raccrochant à Israël. Si Israël existait, cela prouvait que l’extermination n’avait pas été complète. Dès l’instant cependant que l’Europe redevint sûre d’elle, Israël cessa d’être utile. Alors commença la dérive, du soutien à l’indifférence, de l’indifférence à l’hostilité. Aujourd’hui, le chemin est parcouru. Qu’importe Hitler, c’est du passé. Le présent, c’est l’Europe, suffisamment riche pour retourner dans le monde et d’abord, dans l’Orient arabe et musulman, son voisin proche. Elle s’est même attribué une mission que nul en dehors d’elle ne lui reconnaît : la paix entre les hommes de bonne volonté. De ceux-là, les Juifs, décidément, ne font pas partie. L’Europe est devenue profondément anti-juive. En retour, les porteurs du nom juif doivent s’interroger. Jusqu’à présent, la plupart d’entre eux se sont pensés en fonction de l’Europe. Répondre à ses exigences intellectuelles, politiques, sociales, cela leur semblait indispensable. La persistance du nom juif au travers de l’histoire, la continuité des haines qu’il soulevait, tout cela devait trouver une explication dont les termes soient acceptables par l’Europe. Si le basculement de l’Europe dans l’antijudaïsme s’est accompli, alors tout doit être repris depuis le début. Comment le nom juif a-t-il persisté ? Par un moyen à la fois matériel et littéral dont l’Europe ne veut rien savoir : la continuité de l’étude. Comment l’étude a-t-elle continué ? Par une voie dont l’Europe moderne ne veut rien savoir : la décision des parents que leur enfant aille vers l’étude. Pourquoi la haine ? Parce qu’en dernière instance, le nom juif, dans toutes ses continuités, rassemble les quatre termes que l’avenir de l’univers moderne souhaite vider de tout sens, un par un et tous ensemble : homme / femme / parents / enfant. Presse écrite Lire l’entretien avec Jean-Claude Milner paru dans la revue Passages n°132/133 (2004) Voir le blog de Catherine Kintzler Passages, n°132-133, 1er trimestre 2004 Faut-il avoir honte de l’Europe ? par Judith Maya Malet À l’heure où le Chancelier allemand est invité à rejoindre les camps des vainqueurs de la Grande Guerre, où l’union franco-allemande efface définitivement et légitimement toute ombre du passé, sort en France un livre qui fait une analyse aussi sombre que claire sur l’antisémitisme en Europe des Lumières jusqu’en 1945 : Les Penchants criminels de l’Europe démocratique. L’histoire-Geschichte (histoire des batailles) ne peut-elle mener à l’histoire-Historie (histoire qui unit) qu’au moyen de l’oubli ? En voulant faire page blanche du passé et consolider l’axe franco-allemand dans une Europe qui s’agrandit sans fin, la France s’est- elle affranchie de son antijudaïsme ? L’ouvrage effrayant de Jean-Claude Milner ne pousse pas à cette conclusion, bien au contraire. L’unification européenne et la paix qu’elle promeut portent à jamais la marque du zyklon B, avance l’essayiste. L’auteur, linguiste et philosophe reconnu, normalien, ancien maoïste, fréquentant le plus aisément du monde les textes lacaniens, soumet le lecteur à une analyse historique et scientifique de la logique politique des Lumières à 1945. Il ne s’éloigne à aucun moment d’une analyse rigoureuse des discours, pointe l’inavouable dans les mots mêmes, défait les constructions idéologiques. L’argumentation du linguiste nous fait faire principalement le détour par Aristote et Lacan pour relire l’histoire d’après 1945. Cet inquiétant examen que nous espérons exagéré, s’il s’avérait fondé, voire préventif, nous conduirait à éprouver à l’égard de l’Europe un sentiment de honte. C’est une hontologie comme dirait Lacan, découvrant le seul voile qui puisse coller à l’être. Cette honte que l’Europe n’éprouve pas, viserait sa compulsion à l’antisémitisme. Après 1948, la création de l’État d’Israël, supposé apporter la solution, au problème juif, opérera des déplacements profonds, écrit l’auteur mais n’altérera pas l’attrait tendancieux qui sévit encore en Europe et qui fait le titre de ce livre bouleversant : Les penchants criminels de l’Europe démocratique. Voici que se déconstruit le conflit, communautaro-religieux-ethnico-politico aussi complexe soit-il, entre musulmans banlieusards, terroristes, al-qaïdistes, anticapitalistes, altermondialistes, intifadistes et juifs, israéliens, sionistes, colons, impérialistes… Les anciennes victimes sont consignées comme de nouveaux bourreaux, le bec bouclé par glissements et dérapages des procès synonymiques. De quoi vraiment perdre son latin. Précisément, Jean-Claude Milner ne perd pas son latin, ni son grec d’ailleurs. On y était presque arrivé à cette confusion généralisée si bien orchestrée par une Europe sans limites qui veut rivaliser avec l’Amérique dans son image de sauveur. Mais pour sauver l’humanité, à l’instar des Américains avec leur zéro mort américain, et apporter une paix illimitée dans le monde, de l’Europe démocratique ressurgit un credo pérenne : l’antisémitisme. Ce ne sont plus les États qui sont en cause, l’État démocratique combat l’antisémitisme, ce sont les communautés auxquelles on accorde, démocratie oblige, le droit d’expression. Il suffit d’agiter les foulards de la religion au nom de la liberté pour que la laïcité perde son latin. La démocratie défendant les droits et libertés des communautés fait place au conflit là où règne sans horreur le vide d’une intégration non accomplie. Mais revenons à l’ouvrage de Jean-Claude Milner. Premier point, l’auteur part d’une proposition : le nom juif et y applique les catégories de l’interprétation d’Aristote. Une proposition qui est un lieu dialectique peut selon la tournure de la phrase devenir soit une question soit un problème, c’est-à-dire un sujet de syllogismes. Exemple : « Animal pédestre-bipède est la définition de l’homme, n’est-ce pas ? », ceci est une question mais « Est-ce qu’un animal pédestre bipède est ou non la définition de l’homme ? » est un problème. Seulement à partir de la Révolution les coordonnées du nom juif, sont doubles, elles sont : – un problème, et un problème appelle une solution (qui ne s’inscrit pas dans l’ordre de la langue) ; – ou une question qui renvoie à une réponse. Milner analyse le nom juif à partir de la langue, le situant dans un trou entre question et problème, le nom juif sera au cœur du fonctionnement de la langue faisant (se faisant) pivoter la proposition du côté de la question ou du problème. Depuis les Lumières il est reconnu que la vie en société engendre des problèmes et il revient au politique de trouver des solutions. La société est le lieu des problèmes et la politique le lieu des solutions. La guerre sociétale selon l’expression foucaldienne se donne pour but de défendre la société. Ce dont la société devra se défendre avec les juifs, ce sont uploads/Politique/ les-penchants-criminels-de-l-x27-europe-democratique-jean-claude-milner.pdf

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