Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 15, Numéros 1&2, 2008 1 LES PARTIS POLITIQUES AFRI

Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 15, Numéros 1&2, 2008 1 LES PARTIS POLITIQUES AFRICAINS ENTRE UNIVERSALITE ET PARTICULARITE Paul Nuembissi Kom ATER/FSJP Université de Ngaoundéré Introduction La stasiologie, science des partis (Duverger 1976 : 551), au même titre que la cratologie ou la statologie, est une branche canonique de la science politique. Mieux, « l’étude des partis politiques est presque aussi vielle que la science politique » (Charlot, 1971 : 3). Selon Monthero et Gunther (2003 : 3) plus de 11 500 livres ont été publiés sur les partis politiques. Alors même que les nombreuses études peuvent faire douter de l’utilité d’études supplémentaires sur les partis, un constat s’impose : • il y a un certain retour à une littérature de la névrose dans le champ d’études des partis qui n’est pas sans rappeler les études fonctionnalistes du début du siècle. A un discours en termes de « déclin des partis » (Ware, 1996 : 13), de « fin des partis en Occident » (Offerlé, 2002 : 126), de la « crise de partis » (Monthero et Gunther, 2003), « characterized by its somewhat fatalistic analysis of the organizational, electoral, cultural and institutional symptoms of party decline » (Monthero et Gunther, 2003 : 8), s’oppose un autre discours mettant en avant leur caractère « irremplaçable » (Doherty, 2001) ou encore leur « indispensabilité », (Katz et Mair, 1995 : 25). Cette analyse subjective en termes d’âge d’or et de déclin montre à quel point les partis ont cessé d’être considérés comme des « choses » au sens de Durkheim (1987 : 15), c'est-à-dire des faits sociaux que l’on étudie froidement, pour devenir un objet de toutes les passions. Joseph Keutcheu 2 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 15, Numéros 1&2, 2008 • il y a un contraste saisissant entre l’abondante littérature consacrée aux partis occidentaux et la relative faiblesse de celle dévolue aux partis politiques d’ailleurs, notamment ceux d’Afrique. L’engouement pour l’étude de ces derniers dans l’Etat colonial et l’Etat post-colonial de la première génération (Apter, 1965 ; Lavroff, 1978 ; Coleman et Rosberg, 1960 ; Sylla, 1977 ; Schachter-Morgenthau, 1998 ; etc.) a fait place à une suspicion à leur égard depuis les années 1990. Les « tares » généralement attribuées à l’État en Afrique leur sont transférées : patrimonialisés (Médard, 1990), faiblement institutionnalisés, autoritaires, sans idéologies (Buijtenhuijs, 1994 ; Vaziri, 1990 ; Konings, 2004) ou encore faiblement idéologisés (Van De Walle, 2004 : 113), etc. Ici, le discours de l’homme de la rue et l’agenda des bailleurs de fonds semblent avoir pris le pas sur l’analyse scientifique. L’intérêt est porté sur la société civile, les ONG, les « modes populaires d’action politique », (Bayart et al, 1992 ; Badie, 1992 : chap. 5). Ce double constat explique pour une large part la faiblesse et l’absence d’une théorie générale des partis politiques relevée par Blondel (2003 :247-264). D’où l’intérêt d’une revue critique qui prenne en compte l’universalité du phénomène partisan. Les dernières revues de ce genre se sont soit limitées à une aire géographique donnée : l’étude des partis politiques aux Etats Unis (Reiter, 2006), des partis occidentaux en général (Monthero et Gunther, 2003), des partis africains (Carbone, 2006 ; Gazibo, 2006), soit, se sont appesanties sur un aspect précis du phénomène : l’organisation partisane (Rihoux (2001), ou alors à une simple recension des ouvrages majeurs publiés dans le domaine de l’étude des partis (Wolinetz, 2007 ; Van Biezen, 2005 ; Charlot, 1971). Dans la plupart des cas, l’objet « parti politique » est pris comme une donnée naturelle, un fétiche qu’on ne prend plus la peine de définir. C’est en prenant acte des apports et des limites de ces travaux que nous faisons le choix d’inscrire cette revue sur les partis dans une double problématique, celle large de la scientificité et celle spécifique de la politique comparée. Autrement dit, comment l’objet « parti politique » s’est il constitué et quelles sont les méthodes qui lui sont appliquées lorsqu’on l’étudie ? Car, dans la perspective de Durkheim (1987 : 3), « avant de chercher quelle est la méthode qui convient à l’étude des faits sociaux, il importe de savoir quels sont les faits que l’on appelle ainsi » ; ensuite, dans la problématique de la politique comparée, les paradigmes de l’universalisme et du relativisme culturel seront mobilisés. L’espace public camerounais à l’épreuve de la construction des réseaux routiers de communication Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 15, Numéros 1&2, 2008 3 Cette posture méthodologique nous permettra de voir comment un concept construit ailleurs est reçu et appliqué en Afrique, Dans la mesure où ce qui nous intéresse au final ce sont les partis africains. Dans cette perspective, après avoir passé en revue le concept de parti et les diverses écoles d’études existantes (I), nous verrons si ce concept et ces théories font sens en Afrique (II). I - Des partis politiques en général… Il existe deux méthodes pour déterminer les caractéristiques d’un fait social : sa définition rigoureuse, mais surtout, la revue de la littérature pertinente, car elle permet plus sûrement de mettre en relief les positions théoriques que la recherche retient comme pertinentes. A - Ce que « parti politique » veut dire : entre polysémie et unicité Il est difficile de définir un parti parce qu’il s’agit d’un « concept formé en dehors de la science et pour des besoins qui n’ont rien de scientifique » (Durkheim, 1987). Ce faisant, il est forcement chargé de valeurs et d’idéologies. Sa définition est hantée par le normativisme et le positivisme. 1 - Le parti comme concept polysémique Le parti en tant que concept polysémique résulte de l’histoire du mot. Il s’agit d’un phénomène social étudié avec tous les préjugés. Il est substrat d’idées contradictoires. Dans cette perspective normative, il rime avec désordre, scission, division. En tant que fait social, les partis politiques ont une histoire donc l’origine se situe en occident. En tant que objet scientifique, il est plus récent et commence dans une certaine mesure avec M. Ostrogorski. a - Un phénomène social ancien Le phénomène social qu’on nomme « parti politique » a une longue histoire dont on peut rendre compte à partir de l’étymologie du mot d’une part et du développement de la chose d’autre part. Joseph Keutcheu 4 Polis/R.C.S.P./C.P.S.R. Vol. 15, Numéros 1&2, 2008 Du point de vue étymologique, on constate que « parti », derivé du latin partire, signifie diviser (Sartori, 1976 : 4). Pour Seiler par contre, « parti », « partido » « party » « partito », « partei », « partia » en russe ou en polonais, « part » en Hongrois dérive d’un verbe français aujourd’hui disparu : « partir » qui signifiait faire des parts. Une signification qui implique, de manière très claire, l’action de diviser une totalité quelconque. En effet, le « concept de parti renvoie toujours à la division donc au conflit, ce qui explique l’impopularité initiale des partis et la volonté exprimée par toutes les idéologies totalisantes, tous les populismes, d’en finir avec les partis, ces éternels diviseurs » (Seiler, 2001 : 6). « Parti» sera ainsi utilisé tour à tour pour désigner une troupe militaire d’irréguliers, une faction armée organiquement constituée, une faction politique, avant de revêtir sa signification actuelle (Seiler, 2000 :8 ; Seiler, 1986). Dans la même perspective, Lavau notera que « les partis (l’étymologie du mot l’indique assez) sont des organisations qui « fractionnent », qui sont tournées vers la lutte, qui ne représentent que des minorités actives » (1971 : 185), rejoignant la conception de Bolingbroke, pour qui, « Governing by party…must always end in the government of a faction…Party is a political evil, and factions is the worst of all parties » (cité par Sartori, 1976 :6)1. Etymologiquement, « le mot ‘parti’ est plus ancien dans le vocabulaire politique que le terme ‘classe’ dans le vocabulaire social puisqu’on a pu le relever aux XVI e et XVII e siècles. Pendant la révolution de 1789, en 1848 et entre 1869- 1872, il ne recouvre pas la même réalité qu’aujourd’hui. Vague et péjoratif en 1790 et 1793, il est souvent mis en parallèle avec faction. » (Charlot, 1971 :11-12). Du point de vue proprement historique, même si l’idéal démocratique fut inventé par l’antiquité grecque, il ne semble pas que la République Athénienne ait connu des phénomènes de type partisan, l’usage du tirage au sort pour la désignation des responsables civils prévenant les luttes de ce type. Par contre, la République romaine connait des luttes partisanes. En effet, selon Jean Blondel, vers « la fin de la République, un système des partis émergea ; des enjeux clairement définis séparèrent conservateurs ou traditionalistes des progressistes. Les Gracques furent peut-être les premiers chefs de partis avec un authentique soutien populaire » (Blondel, cité par Seiler, 1986 : 33-34). Seiler résume ainsi les formes de conflits ayant donné lieu à la qualification de parti dans l’histoire : « On distingue…trois formes de conflit politique intra étatique où les camps opposés sont désignés au moyen du mot parti. En premier lieu, une forme archaïque qui prolonge mais uploads/Politique/ les-partis-politiques-africains-by-nuembissi-kom.pdf

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