7 LE DOSSIER France-Afrique. Sortir du pacte colonial Coordonné par Richard Ban

7 LE DOSSIER France-Afrique. Sortir du pacte colonial Coordonné par Richard Banégas, Roland Marchal et Julien Meimon Introduction au thème La fin du pacte colonial ? La politique africaine de la France sous J. Chirac et après Premier tableau : Dakar, septembre 2006. Alors que Ségolène Royal, candidate socialiste à la présidence de la République doit se rendre au Sénégal, pays où elle est née, son rival de l’UMP, Nicolas Sarkozy, lui dame le pion en avançant son voyage à Dakar pour aller signer un accord sur l’«immi- gration concertée » – succédané de son projet d’« immigration choisie » unanimement rejeté par ses interlocuteurs ouest-africains lors d’une tournée mouvementée du ministre de l’Intérieur à Bamako et Cotonou. Qu’à cela ne tienne, « Ségolène » retournera quand même sur la terre de son enfance pour parler codéveloppement, migrations et environnement. Sa proposition pour le développement durable du continent? Équiper les foyers africains en réchauds solaires. Deuxième tableau: Cannes, février 2007. Jacques Chirac «l’Africain» organise son dernier sommet franco-africain, rebaptisé depuis quelques années «Afrique- France » pour s’accorder au politiquement correct des temps postcoloniaux. Pour sa « dernière messe noire », le « grand chef blanc 1 » a convié tous ses amis du continent: les présidents Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo, Idriss Deby Itno, Paul Biya, Blaise Compaoré, Ismaël Omar Guelleh 2. Ses fidèles partenaires d’Afrique du Nord sont également venus lui rendre hommage. Mais il y a aussi une forte délégation de chefs d’État de l’Afrique anglophone qui sont de plus en plus fréquemment associés à ces rencontres rituelles. 1. L’Observateur Paalga, 15 février 2007, < www.lefaso.net/article.php3?id_article=19278 >. 2. Ce dernier est pourtant menacé d’une convocation de la Justice française dans le cadre de l’affaire de l’assassinat, à Djibouti, du juge français Bernard Borrel. 8 LE DOSSIER France-Afrique. Sortir du pacte colonial Enfin, autre signe des temps et pas le moindre, la chancelière allemande Angela Merkel, présidente en exercice de l’Union européenne, est l’invitée d’honneur du sommet. Témoin de la fin d’une époque où la France seule manifestait sa «grandeur» dans son tête-à-tête postcolonial ou d’une nouvelle ère d’européanisation et de multilatéralisation croissantes des relations avec le continent? La suite le dira. J. Chirac, comme à son habitude, vante une «relation d’exception entre la France et l’Afrique», redit son amour du continent, de «ses territoires, ses peuples et ses cultures » et s’offusque avec véhémence des subventions des pays riches à leur secteur cotonnier qui étouf- fent les producteurs du Sahel – une attitude « inhumaine et inacceptable » pour celui qui, dans le même temps, est le plus vigoureux défenseur du maintien de la Politique agricole commune de l’Union européenne. Troisième tableau: Paris, mars 2007. Le collectif d’ONG «Urgence Darfour» organise un grand meeting. Bernard-Henri Lévy qui, après la Bosnie, s’est trouvé un nouveau combat, a réussi à mobiliser les grands médias et les partis poli- tiques. Les journaux font leur Une sur la nécessité d’agir, les éditorialistes appellent à «crier, crier encore» pour «réveiller les consciences » et arrêter le génocide 3. Les intellectuels et les politiques, qui comme BHL, François Bayrou ou Laurent Fabius, sont de plus en plus nombreux à « revenir du terrain», montent à la tribune pour témoigner de l’horreur. Et les principaux candidats à l’élection présidentielle finissent par suivre le mouvement. Tout comme ils avaient signé le Pacte écologique de Nicolas Hulot en janvier, ils s’engagent formellement à agir en signant un document en huit points 4 qui appelle à des actions contre le Soudan. Le président Chirac lui-même, dans une lettre envoyée aux organisateurs, se prononce pour l’adoption de sanctions par le Conseil de sécurité. Quelques semaines plutôt, à Cannes, il avait pourtant reçu à bras ouvert son homologue soudanais Omar El Béchir, tandis qu’à l’Onu les diplomates français s’évertuaient à éviter une intervention militaire contre le régime de Khartoum. Ainsi va la politique de la France en Afrique, entre beaux discours et diplo- matie conservatoire, soutenant à bout de bras le régime d’Idriss Déby au Tchad, appuyant la prise de pouvoir par les armes de François Bozizé en Centrafrique ou facilitant la succession dynastique du fils Éyadema au Togo. Ainsi va aussi l’Afrique dans la campagne électorale française de 2007, ballottée entre une indifférence quasi générale et quelques accès où la compassion humanitaire et l’inquiétude sécuritaire face à l’immigration s’ar- ticulent étrangement. Le contraste est frappant: alors que les questions africaines occupent une place marginale dans les joutes électorales, on voit poindre en France, comme sur le continent, un espoir – prudent mais unanime – de voir les choses bouger sous l’effet des changements de génération qui s’opèrent à 9 Politique africaine n° 105 - mars 2007 Paris comme dans les capitales africaines. Interpellés par un collectif d’ONG africaines et françaises, les candidats à la présidentielle ont pour la plupart manifesté leur «tourment » (selon le mot de F. Bayrou) vis-à-vis du continent et se sont engagés – dans de véritables discours de rupture 5 – à refonder les relations franco-africaines sur d’autres bases, plus égalitaires et respectueuses des droits de chacun. Notre revue, Politique africaine – et à travers elle la com- munauté des chercheurs africains et européens qu’elle représente – entend les prendre au mot et contribuer, à sa manière, à nourrir le débat sur le nécessaire renouveau des relations entre la France, l’Europe et l’Afrique. Le lecteur et le citoyen jugeront sur pièces dans quelques années. Mettre l’Afrique dans le débat public français et repenser les relations franco-africaines Dans l’Hexagone, le débat public sur la politique française en Afrique, ses orientations et ses échecs, est quasiment inexistant. Porté par quelques associations militantes qui peinent à se faire entendre, il est totalement absent des discussions parlementaires et singulièrement des programmes des candidats à l’élection présidentielle de 2007, sauf pour ce qui relève des ques- tions migratoires qui sont devenues le seul « tourment » des responsables politiques et l’axe autour duquel se redéfinissent désormais les enjeux de l’aide au développement. Modestement, Politique africaine voudrait aider à combler ce déficit de réflexion critique sur les impasses d’une politique qui n’a pas su ou pu se réformer. Au point de départ de ce dossier, donc, il y a un souci citoyen de mise en débat ainsi qu’un agacement croissant à voir le continent pris en otage par des discours de campagne se réduisant au couple sécuritaire de l’immigration et du «codéveloppement». Pour sortir de ce piège électoraliste et poser d’autres jalons pour l’avenir, ce numéro propose une analyse critique de ce que fut la politique africaine de la France sous les deux mandats de Jacques Chirac au moment où celui-ci quitte la scène. Sans pathos ni faux semblant, avec la 3. Voir notamment le dossier de Libération, « Darfour. Agir ! », mardi 20 mars 2007 ; et celui du Nouvel Observateur, n° 2210, 15-22 mars 2007, dont la chronique de J. Julliard, « Crier, crier encore», p. 52. 4. François Bayrou, Marie-George Buffet, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy et Dominique Voynet ont signé cet engagement. 5. Voir les interpellations et engagements publiés en annexe du présent dossier. 10 LE DOSSIER France-Afrique. Sortir du pacte colonial rigueur et la «neutralité axiologique» que requiert toute démarche de sciences sociales, il entend éclairer d’un nouveau jour cette phase critique des années 1990-2000 où, dans les administrations en charge de l’Afrique à Paris, l’on a vu s’affronter velléités de réforme et tendances lourdes au conservatisme. Une phase également où, sur le continent, l’on a vu s’exprimer un rejet de plus en plus virulent des héritages et des pratiques de la «Françafrique», souvent couplé à des revendications de «seconde indépendance» et à des conflits sur la mémoire coloniale 6. Pour autant, le présent numéro n’entend pas s’en tenir au bilan à charge des douze années de «Chirac l’Africain ». Il est aussi tourné vers l’avenir de ce que pourraient – ou devraient – être les relations franco- africaines au XXIe siècle : des relations internationales comme les autres, enfin délivrées du pacte colonial. En 1995, déjà, Politique africaine avait consacré un numéro spécial à la politique de la France en Afrique. Intitulé «Mitterrand l’Africain », il faisait l’inventaire des deux septennats du premier président socialiste de la Ve Répu- blique qui s’étaient ouverts avec l’espoir tiers-mondiste du discours de Cancún et s’étaient clos avec le traumatisme du Rwanda. En fait, plutôt qu’un bilan, ce dossier tentait de reconstituer les logiques d’action de celui qui, des décennies avant d’accéder à la Présidence, dans la période coloniale tardive, avait été ministre de l’Outre-mer ; il soulignait les lignes de continuité et les « points fixes» de la politique de François Mitterrand qui, comme ses prédé- cesseurs et comme son successeur, voyait l’Afrique sous l’angle des zones d’influence, de la francophonie et de la politique de puissance de la France. On sait ce qu’il advint, à l’époque, des velléités de réforme du gouvernement socialiste, très tôt mises sous le boisseau par un Président qui se coula dans le moule du pacte colonial et perpétua sur un autre mode uploads/Politique/ france-afrique-sortir-du-pacte-colonial.pdf

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