LA NATURE ET LE FUTUR DE LA POLITIQUE COMPARÉE Philippe C. Schmitter De Boeck U

LA NATURE ET LE FUTUR DE LA POLITIQUE COMPARÉE Philippe C. Schmitter De Boeck Université | Revue internationale de politique comparée 2007/4 - Vol. 14 pages 613 à 650 ISSN 1370-0731 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2007-4-page-613.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Schmitter Philippe C., « La nature et le futur de la politique comparée », Revue internationale de politique comparée, 2007/4 Vol. 14, p. 613-650. DOI : 10.3917/ripc.144.0613 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.52.64.244 - 12/06/2012 14h30. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.52.64.244 - 12/06/2012 14h30. © De Boeck Université Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 14, n° 4, 2007 613 LA NATURE ET LE FUTUR DE LA POLITIQUE COMPARÉE * Philippe C. SCHMITTER La politique comparée constitue une sous-discipline de la science politique intrinsè- quement équivoque et controversée. Ces origines sont anciennes mais sa pratique récente a été fortement influencée par les tendances et les modes du milieu académi- que aux États-Unis. L’idée centrale de cet article est que son avenir est menacé. La politique, tant à l’intérieur qu’entre les états, est devenue nettement plus complexe, interdépendante et marquée par des niveaux multiples – précisément au moment où de nombreux politologues américains ont essayé de simplifier, d’isoler et de plaquer leurs modèles pour comprendre cette politique. Heureusement, les Européens ont de bonnes raisons et des atouts bien établis pour ne pas suivre cette voie. Ainsi, l’on peut espérer que la politique comparée continuera à être, comme par le passé, une source majeure d’innovation critique pour l’ensemble de la science politique. Cet article a pour but de familiariser le lecteur avec la politique comparée, une sous-discipline de la science politique intrinsèquement équivoque et contro- versée. D’un côté, la comparaison est une méthode analytique – peut-être la meilleure dont nous disposons – pour produire des connaissances cumulatives et valides sur la politique. On a prétendu, au moins depuis Aristote, que ce n’est qu’en identifiant et en caractérisant les caractéristiques fondamentales des relations de pouvoirs, et en examinant comment elles produisaient des effets – variables ou constants – dans des sociétés différentes, que les cher- cheurs pouvaient prétendre au caractère scientifique de la discipline. Évidem- ment, des essais contrôlés sur un mode scientifique seraient encore plus appropriés, mais, contrairement à ce qui se passe dans le domaine des sciences dures, les chercheurs en science politique n’ont pas la possibilité d’introduire une donnée nouvelle en faisant en sorte que tous les autres facteurs demeurent inchangés. Nous sommes obligés d’étudier le monde tel qu’il est, d’observer la myriade de similarités et de différences, et d’en déduire des schémas de causalité à partir d’occurrences simultanées ou décalées dans le temps. * Je souhaite remercier tout spécialement Carles Boix pour ses commentaires sur une version précé- dente de cet article. Sa défense vigoureuse du choix rationnel fut très instructive. Elle m’a permis de mieux comprendre comment les partisans du choix rationnel se défendent des critiques et pourquoi je pense que cette approche constitue une menace pour l’avenir de la politique comparée. ARTICLE ARTICLE RIPC_2007-04.book Page 613 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.52.64.244 - 12/06/2012 14h30. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.52.64.244 - 12/06/2012 14h30. © De Boeck Université 614 Philippe C. SCHMITTER Le cœur de la méthode est en réalité assez simple et aide à comprendre pourquoi les comparatistes sont indéfectiblement attachés à deux choses : (1) les typologies ; et (2) l’expression latine ceteris paribus. En premier lieu, il est nécessaire d’identifier ce que les différentes unités ont en commun en les plaçant dans des catégories génériques – par exemple, la démocratie, par opposition à des régimes autoritaires. La catégorie peut ensuite être précisés en sous-types types per genus et differentiam – soit, pour reprendre notre exemple, entre démocraties avec des systèmes politiques comportant un seul parti dominant, deux partis alternant au pouvoir, avec des coalitions de partis, ou un système multipartiste hégémonique (un seul parti conserve le pouvoir). En second lieu, une fois que ces facteurs ont été pris en compte et contrôlés, ressurgit l’idée de l’expression ceteris paribus selon laquelle chaque cas de la même catégorie partage les mêmes caractéristiques et donc que, « toutes cho- ses égales par ailleurs », il doit y avoir quelque chose qui les différencie. Par exemple, le niveau de syndicalisation agit sur une donnée à laquelle l’analyste s’intéresse, comme le niveau des dépenses publiques. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une baguette magique qui permettrait de contrôler réellement l’ensem- ble des facteurs susceptibles d’entraîner des fluctuations dans le niveau de dépense publique. Mais elle aide à en éliminer quelques-uns 1. D’un autre côté, la comparaison a toujours eu un objectif pratique, qui est de produire des informations utiles et non prescriptives sur la façon dont sont conduites les politiques publiques dans d’autres pays que le sien. Par exemple, les décideurs de politiques publiques et les gestionnaires de fonds privés, ont besoin d’informations spécifiques pour effectuer des choix judi- cieux lorsqu’ils ont affaire à des acteurs ou des organisations « exotiques ». Les fondements scientifiques de l’information leur importent peu, pourvu que celle-ci soit précise et fiable. Prédire les comportements et, ce faisant, réduire les risques qu’impliquent les transactions avec les opérateurs étran- gers constitue leur préoccupation principale. De leur point de vue, des théo- ries sophistiquées n’ont rien de supérieur à de simples prévisions effectuées à partir d’expériences passées ou le calcul de probabilités statistiques. Le fait de savoir pourquoi tel pays décide d’exproprier les possédants et capi- taux étrangers est beaucoup moins intéressant pour ces clients que savoir si des politiques avec un certain type de leaders, de système de partis, de con- flits ethniques ou de classe, etc... sont davantage susceptibles d’aboutir à ce 1. Ceci peut expliquer pourquoi autant de comparatistes sont originaires de Scandinavie ou utilisent des données de ces pays. Il y a tellement d’éléments que ces pays partagent et si peu qui les différencient que les enseignements transnationaux à propos des causes des politiques publiques tendent à être plus convain- cantes lorsqu’elles sont élaborées à partir de cet échantillon. On peut espérer que la même situation s’appli- que pour les pays postcommunistes d’Europe centrale et orientale. Inutile de préciser que la même logique sous-tend les spécialisations par aires géographiques (« area studies »), même s’il s’avère que les pays d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne, du Proche-Orient et d’Asie ont moins en commun que ce que les spécialistes de ces zones supposent. RIPC_2007-04.book Page 614 Tuesday, April 22, 2008 10:10 AM Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.52.64.244 - 12/06/2012 14h30. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.52.64.244 - 12/06/2012 14h30. © De Boeck Université La nature et le futur de la politique comparée 615 résultat. L’objectif premier est de prévoir ce type de comportement et non de l’expliquer. Bien qu’il n’y ait aucune raison fondamentale pour que ces deux aspects de la sous-discipline se contredisent, c’est souvent le cas en pratique. Une information fiable et pertinente pour la description provient en général d’expressions et de perceptions émanant des acteurs eux-mêmes. À l’inverse, les données vérifiables et cumulatives utiles pour l’analyse dépendent d’ana- logies et de concepts qui proviennent de classifications génériques, elles- mêmes découlant de théories spécifiques. Dès lors, plus ces deux aspects sont proches l’un de l’autre, moins est grande la possibilité d’effectuer des com- paraisons dans le temps et l’espace – le point ultime de ce rapprochement conduisant la politique comparée à n’être plus qu’une description de « la politique des autres » chaque cas ayant son unique explication. Comme on l’a laissé entendre en évoquant Aristote, la politique comparée est aussi ancienne que l’étude empirique de la politique. De nos jours, même les chercheurs qui mènent des recherches sur un système politique unique se retrouvent inéluctablement aspirés dans la sous-discipline. Dès qu’ils vont au-delà de la description pure – en utilisant des termes propres à leur cas – et se mettent à utiliser un vocabulaire basé sur des analogies plus générales ou des systèmes de classification plus globaux, ils s’exposent au risque de com- mentaires et de critiques de comparatistes agressifs. Ainsi, quelqu’un étudiant la politique américaine et qui en conclut que le bipartisme a été un élément indispensable à la stabilité démocratique de ce régime pourrait être uploads/Politique/ la-nature-et-le-futur-de-la-politique-comparee.pdf

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