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THÉOLOGIE ET POLITIQUE : LE DÉBAT DE DAVOS ENTRE ERNST CASSIRER ET MARTIN HEIDE

THÉOLOGIE ET POLITIQUE : LE DÉBAT DE DAVOS ENTRE ERNST CASSIRER ET MARTIN HEIDEGGER REVISITÉ Jeffrey Andrew Barash in Marie-Anne Lescourret, La dette et la distance Editions de l'Éclat | « Bibliothèque des fondations » 2014 | pages 17 à 33 ISBN 9782841623525 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/la-dette-et-la-distance---page-17.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions de l'Éclat. © Editions de l'Éclat. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Le cOnteXte inteLLectUeL Document téléchargé depuis www.cairn.info - Sciences Po Paris - - 193.54.67.94 - 18/03/2020 14:03 - © Editions de l'Éclat Document téléchargé depuis www.cairn.info - Sciences Po Paris - - 193.54.67.94 - 18/03/2020 14:03 - © Editions de l'Éclat théologie et politique: le débat de davos entre ernst cassirer et Martin Heidegger revisité Jeffrey Andrew Barash en décembre 1923, presque six années avant le débat qui allait les opposer à davos en 1929, ernst cassirer invita le jeune Martin Heideg- ger, alors professeur extraordinaire à l’Université de Marbourg, à présen- ter une communication devant la Kant-Gesellschaft de Hambourg où il enseignait. durant son séjour à Hambourg qui a duré plusieurs jours, Heidegger a parlé sur le thème: « La tâche et les chemins de la recherche phénoménologique » (« aufgabe und Wege der phänomenologischen Forschung »). À partir de sa correspondance avec sa femme elfride, et notamment d’une lettre encore inédite datée du 19 décembre 1923, qui n’a pas été incluse dans la correspondance récemment publiée entre Hei- degger et son épouse, nous apprenons que Heidegger séjourna chez la famille du psychologue William stern, professeur à l’Université de Ham- bourg, et père de Günther stern (Günther anders), le futur mari de Han- nah arendt. Ma conférence s’est bien déroulée », écrit Heidegger, « [devant] de nombreux auditeurs [...] La ville est superbe [...] cassirer et d’autres professeurs qui ont assisté à ma conférence voudraient m’inviter l’au- tomne prochain pour une présentation à la bibliothèque Warburg [...] Les sterns sont extrêmement aimables et voudraient que je reste encore jusqu’à vendredi matin [...] [ils] ne me quittent plus1. Quelques années plus tard, Heidegger se réfère à cette première ren- contre avec cassirer à Hambourg dans une note de la section § 12 de Sein 1. « Mein Vortrag ist gut abgelaufen [...] grosser Zuhörerkreis […] Die Stadt ist Herrlich […] Cassirer und andere Professoren die in meinem Vortrag waren, wollen mich im nächsten Herbst für eine Vorlesung in der Bibliothek Warburg haben […] Sterns sind äusserst nett und wollen dass ich noch bis Freitag früh bleibe […] [Sie] lassen mich nicht los. » Martin Heidegger à elfride Hei- degger, lettre du 19 décembre 1923, inédite. Je remercie M. thomas Meyer pour ce renseignement. sans autre indication, toute traduction est mienne. Étant donné que la pagination de l’édition allemande figure dans les différentes traductions françaises, je n’indique que la pagination de la version originale de Sein und Zeit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Sciences Po Paris - - 193.54.67.94 - 18/03/2020 14:03 - © Editions de l'Éclat Document téléchargé depuis www.cairn.info - Sciences Po Paris - - 193.54.67.94 - 18/03/2020 14:03 - © Editions de l'Éclat und Zeit, « L’analytique existentiale et l’interprétation du Dasein primitif » [Die existenziale Analytik und die Interpretation des primitiven Daseins]. il y constate l’existence d’un certain accord, une « Übereinstimmung » trou- vée lors de la discussion qui a suivi sa communication, concernant la nécessité d’entreprendre une « analytique existentiale2 ». Malgré ce constat d’un accord à Hambourg, il serait difficile d’imagi- ner deux personnalités et deux orientations philosophiques plus différentes, et c’est notamment leur désaccord qui surgit à la lumière du jour par la suite à davos. ces points de désaccord ont récemment fait l’objet d’impor- tantes analyses et mon intention ici ne pourra être de commenter et éclai- rer les différentes interprétations de ce débat déjà proposées. dans l’espace de cet article, mon but sera plutôt de revisiter le débat de davos afin de le placer dans une perspective quelque peu inhabituelle. cet angle d’ap- proche m’a été suggéré par l’interprétation critique que cassirer présenta à davos, à la veille de sa rencontre avec Heidegger, dans une conférence préliminaire sur la problématique de Sein und Zeit. cette communication, intitulée la « Heidegger-conférence » (« Heidegger-Vorlesung »), a été récem- ment publiée pour la première fois dans le cadre des Œuvres complètes de cassirer3. dans cette conférence, cassirer dégage ce qu’il identifie comme la racine profonde de la philosophie heideggérienne de l’existence, nourrie à ses yeux par des présupposés d’ordre théologique. curieusement, cassirer ne reviendra sur cette interprétation, ni dans le cadre du débat avec Hei- degger à davos, ni dans ses écrits ultérieurs. et ici, j’examinerai de plus près cette référence aux présupposés théologiques chez Heidegger. selon l’argument que je développerai, c’est à partir de leurs attitudes respectives à l’égard de la théologie que les différences entre leurs deux orientations émergent dans une nouvelle lumière. en outre, comme j’essayerai de le montrer dans un deuxième temps, cette référence à la théologie laisse entrevoir l’une des sources de la réflexion proprement politique que cassirer élabore dans les années suivant le débat de davos. i nous ne pouvons pas savoir aujourd’hui si le thème de la théologie a été évoqué dans la discussion que cassirer engagea avec Heidegger en     2. Martin Heidegger, Sein und Zeit, tübingen, niemeyer, 1972, p. 51. 3. elle est parue dans le cadre de l’édition des textes auparavant inédits, vol. 17 : ernst cassirer, Davoser Vorträge. Vorträge über Hermann Cohen. Mit einem Anhang: Briefe Her- mann und Martha Cohens an Ernst und Toni Cassirer, 1901-1929, Nachgelassene Manuskripte und Texte, vol. 17, Jörn Bohr éd., Hamburg, Meiner, 2014. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Sciences Po Paris - - 193.54.67.94 - 18/03/2020 14:03 - © Editions de l'Éclat Document téléchargé depuis www.cairn.info - Sciences Po Paris - - 193.54.67.94 - 18/03/2020 14:03 - © Editions de l'Éclat 1923 à la suite de sa communication à Hambourg. il est possible que cas- sirer ait pu prendre la mesure à cette occasion de l’importance de ce thème pour l’orientation philosophique de Heidegger, notamment dans les années qui précèdent la publication de Sein und Zeit. Heidegger avait pris ses distances à l’égard de la tradition catholique dans laquelle il avait été élevé et avec laquelle il avait gardé un rapport étroit pendant la période de ses études à l’Université de Fribourg en Brisgau. c’est par la suite, lorsque Heidegger se marie avec une femme de confession protes- tante, elfride Petri, et qu’il se consacre à une étude approfondie des écrits de Martin Luther, que les thèmes soulevés par la théologie protestante marquent sa réflexion en profondeur, comme on peut le constater dans les cours qu’il professa en qualité de Privatdozent à Fribourg pendant les années après la Première Guerre mondiale et qui sont rassemblés dans le volume 60 de ses Œuvres complètes (Gesamtausgabe) sous l’intitulé Philosophie de la vie religieuse (« Philosophie des religiösen Lebens »). c’est à propos de Luther et de la religiosité chrétienne que Heidegger écrit les lignes suivantes à sa femme dans une lettre qu’il lui adresse en septembre 1919: depuis ma lecture du commentaire de Luther sur l’Épître aux Romains, beaucoup de choses qui furent auparavant troublantes et opaques sont devenues claires, et sont pour moi une source de libération ; je com- prends le Moyen Âge et le développement de la religiosité chrétienne dans une toute nouvelle lumière. et il m’a ouvert des perspectives toutes nouvelles sur la problématique de la philosophie de la religion4. Le vif intérêt que Heidegger porta à la théologie et notamment aux écrits de Martin Luther s’est poursuivi lors de la période de son enseigne- ment à l’Université de Marbourg, où il a collaboré étroitement avec le théologien Rudolf Bultmann. À Bultmann il écrit en 1927, l’année de la parution de Sein und Zeit : « augustin, Luther, Kierkegaard sont philoso- phiquement essentiels pour la formation d’une compréhension radicale du Dasein 5. » et, dans l’introduction de Sein und Zeit, Heidegger affirme          4. « Seit ich Luthers Römerbriefkommentar gelesen, ist mir vieles vordem Quälende und Dunkle hell und Befreiend geworden – ich verstehe das Mittelalter und die Entwicklung der uploads/Philosophie/ theologie-et-politiquele-debat-de-davos-entre-ernst-cassirer-et-martin-heidegger-revisite-barash.pdf