Palimpseste… Philippe Lombard(*) À Henri Bareil qui m’a initié un jour, sur un

Palimpseste… Philippe Lombard(*) À Henri Bareil qui m’a initié un jour, sur un coin de nappe, à la croix des mélanges… La réflexion menée actuellement sur ce qu’il serait légitime d’envisager comme socle pour les études primaires et secondaires remet à l’ordre du jour le problème des objectifs à fixer à l’enseignement des mathématiques à ce niveau. À cette occasion, je souhaiterais apporter ici quelques éléments de réflexion sur un point qui concerne une partie non négligeable des programmes et qu’il est devenu courant de désigner sous l’appellation : résolution de problèmes concrets. On sait en effet que les nouveaux programmes du primaire et du collège mettent directement l’accent sur ce type d’activités et il n’est pas difficile de voir par ailleurs que tout l’aspect modélisation mis en avant dans l’enseignement du lycée n’est qu’un prolongement naturel du même genre de préoccupations. Mais en posant de manière directe la question des rapports entre mathématiques et monde réel – à tout le moins en matière d’apprentissage –, ce sujet touche en réalité à des problématiques qui ont toujours sous-tendu et dirigé la question des contenus de l’enseignement, même si les choix fondamentaux n’ont pas toujours été clairement explicités. Il n’est donc peut- être pas inutile de tenter de mettre en perspective aujourd’hui certains des aspects importants de ce problème, et ceci au regard des évolutions quelque peu récurrentes des différents points de vue sur le sujet… Je vais essayer d’analyser la question sous un éclairage à la fois très précis et très général : que peut-on envisager comme niveau de culture à donner à l’enseignement de l’école primaire en matière de résolution de problèmes, quel niveau de culture faut-il se fixer comme but pour les années de collège ? On a souvent résumé la différence entre ces deux niveaux en termes de rupture séparant résolution arithmétique et résolution algébrique des problèmes. Notre but sera donc précisément de s’interroger sur cette rupture (si tant est qu’elle existe encore), sur les liens, les transitions, les liaisons – comme on dit désormais – entre ces deux niveaux d’enseignement… 1. Le problème de la laitière Intéressons-nous pour commencer à un problème extrait d’un manuel (Châtelet 1934) destiné au niveau « Cours Moyen et Fin d’études » : « Une laitière a fourni à une crémière 20 litres de lait. En pesant ce lait, la crémière a trouvé un poids de 20,555 kg. Ce lait a-t-il été mélangé d’eau ? Qu’est-ce qui le Dossier « Ruptures et continuités » 657 APMEP no 466 (*) Irem de Lorraine. prouve ? Quelle quantité d’eau contient-il ? On rappelle que la densité du lait est 1,03 ». Je ne dois pas me tromper énormément si j’affirme que très peu d’élèves d’aujourd’hui sauraient faire aisément cet exercice, ou même que relativement peu de professeurs (d’école ou de collège … voire de lycée) sont enclins à trouver qu’il est facile. L’explication de ce phénomène est, évidemment, plus à trouver dans le contenu moderne ou post-moderne de l’enseignement des mathématiques depuis trente-cinq ans que dans la disparition de la coutume qui consistait à aller chercher son lait à la ferme ou chez la crémière avec son pot au lait… Et on peut d’ailleurs constater que le plus grand nombre des personnes qui parviennent à résoudre le problème le font « par l’algèbre »… et peinent énormément – faute de l’avoir appris un jour – à dégager une solution de type « arithmétique », c’est-à-dire « par le raisonnement ». Cela pose évidemment en pleine lumière la question de ce qu’il est convenu d’appeler les savoirs pérennes. Certains considèrent, presque sans discussion possible, que ce qui était naguère enseigné à l’école primaire devrait constituer un bagage inaliénable, d’autres partent du principe que les compétences requises aujourd’hui doivent être choisies en fonction des quelques dogmes régissant une « transposition didactique » bien sentie. Il est cependant indiscutable que c’est une question non triviale de savoir si les problèmes du type de celui de la laitière font partie des apprentissages pérennes ou, à tout le moins, de savoir dans quelle mesure les méthodes de résolution par l’arithmétique sont ou non des savoir-faire indispensables aux élèves d’aujourd’hui. Bref. On en revient toujours aux mêmes difficultés : « Quel type de problèmes faut-il enseigner en primaire ? », « Quel type d’outils de résolution faut-il apporter ? »… Considérons donc, pour commencer, le problème de la laitière comme un problème primaire et essayons de voir ce que cette idée peut recouvrir. Ce qui est manifeste tout d’abord c’est que le côté « concret » de l’énoncé est certainement secondaire en matière d’instruction : ce qui importe avant tout c’est le côté « métaphorique » de l’exercice et c’est surtout le côté « analogique » de l’apprentissage. L’élève ne saura faire le problème de la laitière que s’il a appris à résoudre un certain corpus de problèmes semblables, que s’il est capable de trouver dans sa mémoire le problème-type auquel ramener celui qu’on lui pose, et que s’il sait effectuer les permutations correctes pour passer de son problème de référence à celui qu’il vient de rencontrer. Qui donc pourrait prétendre inventer la solution au problème de la laitière s’il n’a pas d’abord un « métier » suffisant dans la résolution de problèmes relativement proches ? 1°) Solutions arithmétiques Quelle était donc la solution demandée en 1934 ? Je ne la connais pas dans tous ses détails rituels, mais il semble bien que l’élève devait savoir répondre à deux variantes d’une même question : 1) savoir déterminer la « densité » du produit acheté, 658 Dossier « Ruptures et continuités » APMEP no 466 2) savoir trouver, connaissant explicitement ou non cette densité, les proportions exactes de « l’alliage » d’eau et de lait qui a été fourni par la laitière. On notera d’ailleurs pour commencer deux choses qui montrent bien que l’élève doit avoir acquis un métier non négligeable pour réussir l’exercice. C’est très visible pour tous ceux qui, justement, non pas acquis ce métier. D’une part, le sens du mot « lait » dans l’énoncé ne peut être bien maîtrisé par un élève de ce niveau que s’il a pris l’habitude de se retraduire ce genre de texte sous forme « opérationnelle ». Sinon, il risque fort de ne pas distinguer de quel « lait » il s’agit (le vendu ou le pur) dans chacune des quatre occurrences où ce mot apparaît dans le texte. D’autre part, on remarquera que l’indication donnée (« On rappelle que la densité du lait est 1,03 ») est tout à fait typique – et de toute éternité ! – des exercices de mathématiques : d’abord elle donne une information indispensable (le nombre 1,03), ensuite elle souffle que le problème est un problème faisant appel aux densités, enfin elle demande cependant à l’élève de savoir précisément ce que veut dire le mot densité… Cela étant, la réponse à la question 1) est normalement assez facile car il s’agit de trouver le poids d’un litre du liquide acheté : 20,555 divisé par 20 égale 1,027 75. Une fois levée la petite difficulté de langage entre densité et poids d’un litre, on peut dire qu’il n’y a ici que la difficulté (non négligeable) de réussir la division et la difficulté arithmétique de travailler avec des nombres qui sont finalement très compliqués. Mais une première conclusion découle de ce résultat : le lait n’est pas pur… Il reste alors la question 2) : sachant que la densité du mélange est de 1,027 75, quelle est la quantité d’eau contenue dans ce liquide ?… Poursuivons donc. Nous sommes désormais devant un problème difficile, aussi bien pour les élèves que pour la plupart des maîtres, toutes époques confondues… Et, si l’on admet que la première question est parfaitement élémentaire au niveau de la compréhension, disons du « sens de la division », c’est à propos de cette deuxième question que je voudrais essayer d’analyser les réponses possibles et les savoirs, ou savoir-faire, qu’elles mettent en jeu. (J’espère aussi montrer au passage que l’ingéniosité de l’esprit humain est époustouflante, mais je n’y insisterai pas systématiquement.) a) La croix des mélanges. Cette méthode ne demande pas de comprendre – mais qu’est-ce que « comprendre » ? –, elle repose sur deux recettes éprouvées et elle pourrait bien mettre en jeu au passage (et par deux fois, s’il vous plaît) le symbolisme de la croix… Voici la réponse, qui nécessite deux temps : Premier pas : le problème me demande de mélanger un liquide de densité 1 avec un liquide de densité 1,03 de manière à trouver un liquide de densité 1,027 75, je sais alors qu’il me suffit d’écrire et de compléter la « croix des mélanges » suivante : Palimpseste … 659 APMEP no 466 Pour cela je mets en haut 1,03 −1,027 75 = 0,002 25 et en bas 1,027 75 −1 = 0,027 75, j’obtiens : Je peux donc dire : « pour obtenir un mélange de la densité 1,027 75 cherchée, il suffit de mélanger uploads/Philosophie/ standardisation-2.pdf

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