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25/06/2022, 15:38 Giorgio Agamben www.entretemps.asso.fr/Badiou/Agamben.htm 1/9 Alain Badiou Intervention dans le cadre du Collège international de philosophie sur le livre de Giorgio Agamben : la Communauté qui vient, théorie de la singularité quelconque. (transcription de François Duvert) Badiou : Tout d’abord, je suis extrêmement content d’avoir à parler, ici, du très beau livre de Giorgio Agamben. Quand je dis beau (nous discuterons plus tard de la question de savoir dans quelle mesure exacte beau est vrai !), mais quand je dis beau, c’est qu’il y a une réelle beauté dans ce libre. Une beauté, qui est aussi une beauté d’écriture. Il y a une sorte d’ampleur brève, je l’appellerai ainsi, ie une chose qui coupe droit vers des propositions essentielles, et essaie de les fragmenter ou de les démultiplier. Et puis c’est livre beau dans ses formules. C’est un livre formulaire. C’est presque un formulaire – un recueil de formules pour notre temps. Et ses formules arrivent à conjoindre une sorte de vivacité transparente, de rapidité extrêmement claire, et aussi quelque chose comme un mystère, qui gît dans cette transparence et qui est, pourrait-on dire, le mystère de la présentation comme telle ou plutôt, peut-être, le mystère de l’exposition. Non pas exactement le mystère en pleine lumière, mais l’exposition du mystère à sa propre clarté. Mon contentement est aussi – et alors là, permettez moi d’être plus narcissique – le fait qu’un certain nombre de thèses de Giorgio Agamben sont, au moins à mes yeux, dans une connexion très grande, dans une sorte d’intimité et de familiarité distante, avec un certain nombre de mes propres thèses - que je soutiens, par ailleurs, dans un propos très différent. Et je crois que cette communauté, cette connexion, plutôt que dans les résultats se donne dans la procédure de pensée, dans la manière dont Giorgio Agamben pense, agence ou effectue sa pensée. Cette manière, j’aimerais l’appeler diagonale. Je me sens un grand apparentement à ce point. Il y a une constante diagonalisation dans la manière dont procède ou chemine dans ses éclairs et en même temps dans sa cohésion le propos de Agamben. Cette diagonalisation opère sur tout un système d’oppositions traditionnelles, reçues ou acceptées, dont le propos du livre est de montrer qu’on peut passer entre ou passer outre, ie qu’il n’y a pas lieu, sauf à entériner une figure à la fois précise et oublieuse, de s’installer dans ces oppositions ou de les manier dialectiquement, mais, la pensée peut s’établir au regard de ces oppositions dans un régime diagonal, qui à la fois les vivifie et les réactualise. Enfin, dernier point, je suis en un certain sens très sensible à la radicalité du propos de Giorgio Agamben, y compris sa radicalité politique ou pré-politique, ou sous condition d’une politique possible. Radicalité qui est qu’on a plaisir à retrouver dans ce livre une position subjective, qui est sans compromission avec les figures mondaines qui nous sont aujourd’hui données. Quelque chose comme une fidélité à ce qui, en philosophie, a été le plus opposé à la réception de ce monde : une fidélité, disons, à la fois, à Guy Debord, à Mai 68 et aussi bien à la place Tienanmen. Quelque chose qui engage et soutient avec la plus grande fermeté une lutte contre l’Etat – et quand je dis l’Etat, c’est en fait l’état des choses, l’état de la situation ou la situation comme état, et non pas simplement l’Etat dans son sens institutionnel. Quelques exemples de la procédure diagonale de Agamben : L’idée que la singularité (tout ce livre est une méditation sur la singularité) si elle est prise dans son être tel quel, ie si elle est exposée telle qu’elle est, alors la singularité n’est rien d’autre que le quelconque. Cette conjonction vectrice dans le propos de l’auteur entre la singularité et le quelconque : la singularité comme le quelconque que la singularité est s’avère extrêmement forte, et je dois, ici, dire mon accord, en quelque manière, stratégique avec cette thèse, qui assigne la vérité à la singularité, ie au quelconque que dans mes propres concepts j’ai nommé le générique. Mais entre le quelconque de Agamben et le générique tel que je l’utilise, il y a évidemment beaucoup plus qu’une simple analogie. Et alors, dans l’idée que la singularité est le quelconque comme tel, il y a diagonale au regard d’une opposition tout à fait fondamentale, qui est l’opposition entre le caractère ineffable de l’individualité et le fait que l’intelligible relève de l’universel. Cette croix permanente de la pensée philosophique est diagonalisée du biais de l’assignation de la singularité au quelconque, et ceci oriente la question de la vérité vers celle de l’exposition du quelconque comme tel. Et c’est à cette exposition du quelconque comme tel que, finalement, Agamben va donner le nom de communauté. Une communauté du 25/06/2022, 15:38 Giorgio Agamben www.entretemps.asso.fr/Badiou/Agamben.htm 2/9 quelconque, par conséquent une communauté non identitaire. Il y a là, à mon avis, une idée extrêmement forte, y compris dans ce qu’elle reçoit de ce qui organise la politique, à savoir l’idée que la communauté qui vient, la communauté qui se dessine, nous reviendrons sur ce « à venir », qui est peut-être tout le problème, mais la communauté qui vient ne peut être que la communauté où s’expose la non identité du quelconque. Avec cet exemple, Agamben soutiendra que l’avoir lieu d’une chose est, métaphoriquement, sa divinité, ie que le pur avoir lieu d’une chose est proprement ce qui en elle est le transcendantal de l’idée. Ce croisement avec la thématique de l’idée et, plus généralement, le singulier platonisme d’Agamben, est évidemment qch qui me touche très profondément. Et je comprends, je crois comprendre ce thème que l’idée est tout simplement l’avoir eu lieu de la chose. Agamben dira dans la poétique qui lui est propre, quelque chose comme « divin est l’être vers l’ouvert », ou « divin est l’être pierre de la pierre ». Ie l’idée est cela même ce par quoi la singularité s’expose dans la figure de son avoir lieu. Nous avons là une diagonale qui est, au fond, une diagonale d’un couple diabolique de l’histoire entière de la philosophie, à savoir la diagonale immanence / transcendance, de même que nous avions une diagonale du couple individualité / universalité. Nous avons une diagonale du couple immanence / transcendance, parce que la transcendance n’est finalement rien d’autre que l’exposition de ce qui est en tant qu’il est dans son avoir eu lieu. Et puis, 3ème exemple, l’idée que l’être propre de l’homme, ie l’acte de l’homme est précisément d’être sa propre puissance. Autrement dit, la réception de sa pure possibilité est très exactement ce qui lui tient lieu d’absence de fondement, mais en même temps d’actualité illimitée ou comme il le dira « [le propre de l’homme est] d’avoir à exposer en chaque forme sa propre amorphie et en chaque acte sa propre inactualité ». Nous avons là une très forte diagonale de l’acte et de la puissance, pour remonter aux catégories d’Aristote, au sens où l’un des termes : l’acte, est la pure retenue exposée de l’autre terme, ie que ce qui doit s’exposer dans chaque acte est essentiellement son inactualité, et cela renvoie à un thème important chez Giorgio Agamben, qui est que l’exposition de la puissance comme puissance est précisément le fond de la singularité. Il y aurait à relever quantité d’autres exemples, qui traversent ce livre, à la fois bref et d’une extraordinaire ampleur, comme la diagonale entre le commun et le propre, la diagonale entre le bien et le mal, la diagonale, - plus essentielle encore – entre le nommé et l’innommable. A ce propos, la méthode d’Agamben montre qu’est toujours requis un 3ème terme lorsqu’on a affaire a une disposition de ce genre, 3ème terme qui n’est pas le supplément des 2 autres et encore moins leur résultat dialectique, c’est le laisser être tel de ce dont il est question dans les 2 autres, ou le ainsi de toute saisie. Et c’est ce ainsi qui est finalement l’idée. Page 110, directement à propos du langage, et pour montrer ce que veut dire cette acception du 3ème terme non dialectique dans son rapport aux 2 autres, on trouve ceci : « sens et référence n’épuisent pas la signification linguistique. Un 3ème terme est nécessaire : la chose même, l’être tel quel, qui n’est lui ni la référence ni le sens. C’est la signification même de la théorie platonicienne des idées ». Avec cette bascule platonicienne, toujours adhérente, finalement ce 3ème terme est en dernier ressort l’idée, en tant qu’elle n’est rien d’autre que le ainsi, le tel quel, qui se donne nécessairement dans l’opposition des 2 premiers termes. Disons aussi que la méthode de la diagonalisation est, chez Agamben, un bilan, un outrepassement de la pensée dialectique. Il n’y a pas l’advenue synthétique d’un tiers terme, le tiers terme comme résultat, mais le tiers terme comme le ainsi, immédiatement et de façon immanente co- présent dans l’opposition des 2 termes primordiaux. Ultimement, cette diagonale se dira uploads/Philosophie/ agamben-badiou-coming-community.pdf
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- Publié le Jul 07, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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