SÉMIOSIS / Semiosis Jean Fisette ÉTYMOLOGIE / Philology Terme sémiotique, sémio

SÉMIOSIS / Semiosis Jean Fisette ÉTYMOLOGIE / Philology Terme sémiotique, sémiosis: "mouvement d’avancée du signe vers le surgissement d’un nouveau signe", ce mouvement étant théoriquement sans fin, d’où l’expression: semiosis ad infinitum, aussi "mouvement de formation du signe lui-même", tiré du grec F0:,4fF4H sèmeiôsis : "action de signifier", issu de F0:,\@< sèmeion : "indice". Le terme semiosis fut introduit par Charles S. Peirce dans un long texte intitulé «Pragmatism». Ce texte daté de 1907, écrit dans le cadre d'un débat sur la définition du pragmatisme, était destiné à deux revues, The Nation et the Atlantic Monthly; ce texte, ayant été refusé, resta inédit du vivant de Peirce. Des extraits importants de ce texte ont paru dans le cinquième volume (1934) des Collected Papers, notamment le paragraphe 5.484 qui place cette notion au coeur de la théorie du signe. Dans ce passage, Peirce explicite l'origine grecque de ce mot, le terme F0:,4fF4H sèmeiôsis signifiant l'action de signifier. Peirce emploie soit semeiosis, calque du terme grec, soit la version moderne : semiosis. Dans sa traduction française de textes de Peirce, sous le titre des Écrits sur le signe (1978), Gérard Deledalle reproduit le mot anglais semiosis (sans accent) et utilise également, comme équivalent français, le terme sémiose. Aujourd’hui, le mot sémiosis, francisé, est passé dans l’usage. ÉTUDE SÉMANTIQUE / Définitions 1. (Sens logique et philosophique du terme chez Peirce). Mouvement de formation et de développement du signe; puis effet de surgissement d’un nouveau signe, suivant un processus théoriquement infini. 2. Charles W. Morris a repris le projet de Peirce de créer une science des signes, la sémiotique. L’objet de cette science ayant été élargi à un corpus beaucoup plus large, comprenant les communications animales, et intégrant entre autres la perspective behaviorale, on comprend que la portée du terme semiosis ait connu cette même extension, d’où cette définition: «A sign process, that is, a process in which something is a sign to some organism». (1946) 3. Augusto Ponzio fut le premier à reconnaître les affinités profondes entre la sémiosis au sens précis de ce terme chez Peirce et la notion de dialogisme qui fonde la pensée critique de Bakhtine. Dans les deux cas, le sens du signe ou du mot est donné comme sémiosis, c’est-à-dire un lieu dialectique diversement marqué par des énonciateurs ou des usages concomitants et qui reste toujours sujet à des modifications ou à des transformations plus importantes qui sont, par définition, imprévisibles. 4. La notion d’intertextualité qui a été développée par Julia Kristeva en appui sur les écrits de Peirce et de Bakhtine, illustre de façon particulièrement claire la notion de la sémiosis en affirmant que tout texte littéraire ne sera jamais que la reformulation, dans des situations inédites d’énonciation, de contenus qui ont été véhiculés précédemment. L’impossibilité d’une créativité absolue en littérature rejoint cette position fondamentale de la sémiotique qui affirme que l’origine autant que l’aboutissement des signes sont à jamais inaccessibles et donc que le texte littéraire n’est que mouvement de transformation, soit un processus infini de sémiosis. 5. Dans la perspective de la poétique tel que proposé par Roman Jakobson. Dans le cas de la figure de rhétorique, plus particulièrement la métaphore, sémiosis désigne le développement, le déplacement ou le réaménagement du contenu sémantique du mot suivant deux directions: soit une avancée vers le monde où la fonction de représentation est prédominante, et qui est appelée extroversive semiosis, soit un mouvement inversé, marquant un effet de retour du mot sur sa propre définition et ce en dehors de toute forme de représentation, appelé introversive semiosis. 6. Jacques Derrida s’est appuyé sur la définition peircienne de la semiosis ad infinitum pour développer les deux notions de la déconstruction du sens et de la dérive interprétative allant au-delà de toute restriction. Il va de soi que des sémioticiens, notamment U. Eco, allaient opposer une critique fondamentale à cette extension sans limite de la notion de sémiosis. COMMENTAIRE / Analysis 1. La notion de sémeiosis et son origine Cette notion est spécifique au corpus du texte de Peirce et elle est au coeur de la pensée sémiotique. À mesure de la redécouverte, depuis une trentaine d’années, de la pensée de Peirce par les sémioticiens, cette notion a largement circulé dans les travaux de sémiotique, notamment ceux qui sont consacrés à la théorie littéraire. Puis, chose étonnante, cette notion a été mise en parallèle à des notions fondamentales, issues de lieux historiquement et géographiquement étrangers à la pensée de Peirce; or, il arrive que la notion de sémiosis vienne illustrer et éclairer ces autres notions qui, autrement, demeurent souvent obscures. Peirce a été affecté à un enseignement sur la logique à l’Université John-Hopkins de 1879 à 1885. Durant les premières années de cette affectation, il dirigea sa seule thèse, celle d’Allan Marquand. Ce dernier, qui avait reçu une solide formation dans la langue et la culture grecque consacra sa recherche à un traité de logique du à Philodème et intitulé: «Des signes et des inférences à partir des signes» (A,D\ F0:,\T< 6"4 F0:,4fF,T<). Le mot F0:,\@< signifie «indice» alors que le second terme est le génitif pluriel de F0:,4fF4H, substantif abstrait désignant l’action de signifier. Ce traité remonte à l’époque romaine alors que Philodème se rattachait à l’école épicurienne. Dernier point: le texte de ce traité a été trouvé au XVIIIe siècle dans les fouilles du site d’Herculaneum, près de Pompéi. Dans sa thèse, Marquand proposait une traduction de ce traité, précédée d’une longue introduction philosophique. Le coeur de l’argumentation qui nous intéresse tenait à cette problématique: jusqu’à cette époque, on croyait que les Anciens n’avaient pas développé de pensée de l’induction non plus que, de façon plus générale, de pensée sur les processus de découverte et donc d’avancée du savoir. Or dans le texte du traité, Philodème analyse de tels processus, notamment dans le détail plus fin de son argumentation, lorsque son examen prend en compte les déviances minimales des atomes dues au hasard et au libre arbitre (Philodème 1978: 54). Le cœur de cette argumentation tient à ce que ces déviances, loin de se réduire à des accidents ou à de simples irrégularités, introduisent des éléments de nouveauté qui sont susceptibles de venir inscrire la découverte de lieux encore inconnus, ce qui rendra éventuellement possibles, des avancées du savoir. Ainsi, ajoute Deledalle (1990:102), citant Max Fisch, ...entre dans le cosmos peircien, le «paradigme physique de la catégorie peircienne de la priméité». (Fisch1986:190-192). On comprendra que ces déviances, au moment de leur manifestation, n’ont encore de réalité que comme icônes sur le plan de la représentation et qu’elles sont appelées à un processus de développement d’ordre sémiosique qui les conduira sur le plan de l’ordre du savoir. Au moment où Marquand faisait cette découverte, Peirce professait un séminaire sur la logique de l’induction: nul doute qu’il porta le plus grand intérêt à cette découverte qu’il devait faire sienne. 2. La position centrale de la notion de sémiosis dans la pensée sémiotique de Peirce Près de vingt-cinq ans plus tard, dans un de ses derniers textes (il a alors 68 ans), Peirce revient au terme semeiosis qui chez Philodème signifait «les avancées de l’esprit à partir des signes» et qu’il place au centre de la théorie des signes: "But, by semiosis I mean, on the contrary, an action, or influence, which is, or involve, a cooperation of three subjects, such as a sign, its object, and its interpretant, this tri-relative influence not being in any way resolvable into actions between pairs. E0:,4fF4H in Greek of the Roman period, as early as Cicero's time, if I remember rightly, meant the action of almost any kind of sign; and my definition confers on anything that so acts the title of a "sign." [C.P. 5.484; Peirce 1998: 411. Texte dont la rédaction remonte à 1907 et qui est resté inédit du vivant de Peirce.] La sémiosis est une inférence par les signes; le terme sémiosis désigne donc l’imprévisibilité du signe, son dynamisme et sa générativité. Dans le texte qui précède cette citation, Peirce s’intéresse au signe naturel (par exemple, la fumée pour le feu) ainsi qu’à la simple réaction à un stimulus (par exemple, un cri de surprise); ce sont là des signes binaires ou dyadiques qui ne sont que des ébauches de signe ou des signes dégénérés; seul le signe ternaire ou triadique, composé de trois constituants (sign, object, interpretant), accède au statut de «signe authentique»; et seul ce signe est susceptible de conduire à des découvertes et donc de contribuer à l’avancée du savoir. Or, ce signe dit «authentique» répond à la conception de la «semeiosis» telle que l’avait élaborée Philodème. Les «déviances» que reconnaissait ce dernier deviendront le lieu d’attestation de la spontanéité et de la liberté de l’esprit (C.P. 6.201). Un autre aspect essentiel du mouvement de la sémiosis doit être ici souligné: ce mouvement se fait disons géographiquement, dans l’espace de la variété des cultures; il est aussi temporel dans la mesure où il s’inscrit dans l’histoire passée et qu’il est orienté vers les futurs possibles. Or ces uploads/Philosophie/ semiosis-pdf.pdf

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