Phénoménologie herméneutique et marxisme Author(s): Domenico JERVOLINO Source:
Phénoménologie herméneutique et marxisme Author(s): Domenico JERVOLINO Source: Actuel Marx, No. 25, Marx, Wittgenstein Arendt, Habermas (Premier semestre 1999), pp. 57-67 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: https://www.jstor.org/stable/45300028 Accessed: 05-09-2021 07:54 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Actuel Marx This content downloaded from 193.54.110.56 on Sun, 05 Sep 2021 07:54:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms Phénoménologie herméneutique et marxisme Domenico JERVOLINO 1 Mon propos est la recherche d'une fécondation réciproque entre le marxisme critique et les courants phénoménologiques et herméneu- tiques. Je dis « courants phénoménologiques et herméneutiques », mais je voudrais souligner que ce qui m'intéresse vraiment est moins une rencontre entre doctrines qu'un mouvement de la pensée zu den Sachen selbst (vers les choses elles-mêmes). Je considère la phénoménologie dans le sens le plus large du mot, le sens qui permet à Barbara Cassin dans ses Contes de la phénoménologie ordinaire 1 de dire que c'est Alistóte le prototype du « phenomenologically correct » : la phénomé- nologie donc comme ouverture réciproque du monde aux hommes et des hommes au monde ; c'est dans le lumen naturale de cette ouverture que je voudrais insérer la force critique et le projet de libération évoqué par Marx. En outre, lorsque je dis « courants phénoménologiques et herméneutiques », je dois ajouter que la ligne que je propose va plutôt dans la direction d'une phénoménologie herméneutique , donc la rencontre souhaitée entre marxisme et phénoménologie implique une intégration préalable de l'herméneutique dans la démarche phénomé- nologique : il n'y pas de phénomène sans la médiation du langage et donc il n'y a pas de découverte du sens sans le travail de l'inter- prétation. lē Cf. B. Cassin, Aristote et le logos. Contes de la phénoménologie ordinaire , Paris, Puf, 1997. This content downloaded from 193.54.110.56 on Sun, 05 Sep 2021 07:54:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 58 DOMENICO JER VOLINO On a eu dans notre siècle deux exemples majeurs d'une telle phé- noménologie herméneutique ou interprétante : Y Hermeneutik der Fakti - zität de Heidegger dans les années vingt, entre Freibourg et Marbourg, dans la décennie 1919-1929, culminant en 1927 avec son chef-d'œuvre inachevé Sein und Zeit et Ricoeur avec sa longue marche de plus de trente ans, qui atteint son sommet en 1990 avec Soi-même comme un autre . Je n'oublie pas Gadamer qui se situe du point de vue chronologique, et peut-être aussi du point de vue thématique, entre les deux, et qui reste le grand maître de l'herméneutique contemporaine, mais je mentionne ici Heidegger et Ricoeur, parce qu'ils proposent tous les deux le projet explicite d'une transformation ou refondation herméneutique de la phénoménologie. Je ne cacherai pas ma conviction que dans l'accomplissement de ce projet c'est Ricoeur, avec son équi- libre, son ouverture et sa probité intellectuelle, qui nous offre le point de référence le plus fiable. Heidegger, avec sa charge d'ambiguïté, est sûrement un géant de la pensée, mais je trouve que Ricoeur est plus proche de la vérité. De l'autre côté, le dialogue entre marxisme et phénoménologie fut déjà vivant dans les années soixante, dans plusieurs pays du monde, mais notamment en Europe centrale et centre-orientale, où un marxisme renouvelé à l'aide de la phénoménologie et des philosophies de l'exis- tence fournit les bases théoriques pour une critique interne des socia- lismes dits réalisés et pour le projet d'un socialisme à visage humain. Souvenons-nous de l'Ecole de Budapest, de Kosík, de la revue yougo- slave Praxis , avec notre ami regretté Gajo Petrovic, qui avait participé aux premières rencontres ď Actuel Marx . Il faut les rappeler aujour- d'hui, lorsque le printemps de Prague et tout l'héritage de cette mou- vance intellectuelle ont été presque entièrement refoulés. Mais l'idée d'un marxisme phénoménologique est aussi le legs d'une phénomé- nologie qui a connu l'engagement, le débat, la réflexion politique de Sartre et de Merleau-Ponty, ou en Italie de Paci, donc il me semble que ce ne soit pas une idée bizarre de réouvrir ce dossier, surtout en France et dans la culture francophone, où il y a eu, dans les dernières années, une vraie renaissance des études phénoménologiques et où il y a donc quelques bonnes raisons de plus pour attendre un renouvellement de la rencontre entre le marxisme et la phénoménologie. Je ne voudrais finir cette partie introductive sans oublier de souligner que la rencontre que je souhaite est une rencontre qui a été manquee bien avant les années soixante. Dans les années dix de notre This content downloaded from 193.54.110.56 on Sun, 05 Sep 2021 07:54:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms PHENOMENOLOGIE HERMENEUTIQUE ET MARXISME 59 siècle, en Russie et à Moscou, il y avait un groupe très vivant de jeunes phénoménologues ; parmi eux il y avait des étudiants qui sont devenus célèbres : Roman Jakobson et Boris Pasternak. Dans le séminaire de psychologie du professeur Tchelpanov, qui venait de Kiev, on connais- sait les recherches de Brentano, de Marty, de Husserl. Et avec Tchel- panov était venu de Kiev à Moscou son disciple Gustav Chpet, qui après une période de perfectionnement avec Husserl à Göttingen, de retour dans sa patrie, devint l'animateur d'une école jeune et fleuris- sante. Gustav Chpet, de onze ans l'aîné de Heidegger (il était né à Kiev en 1879), dans son ouvrage de 1914, Le phénomène et le sens , avait déjà introduit des corrections par rapport à l'idéalisme phénoménolo- gique et avait élaboré, avant Heidegger, une sorte de « phénomé- nologie herméneutique » dans la direction d'une liaison étroite entre phénoménologie, langage, interprétation. Je dois dire que, lorsque il y a quelques années, j'ai eu entre les mains la traduction allemande du livre de Chpet U herméneutique et ses problèmes , dont l'originalité est étonnante, par l'ampleur du dessein historiographique, et par la liaison qu'il établit entre une histoire de l'herméneutique et l'histoire - avant la lettre - de la sémiotique, qu'il appelle « semasiologie », je ne voulais pas en croire mes yeux en lisant la date du manuscrit original : Moscou 1918. En 1918, Gustav Chpet, qui était déjà chargé de cours depuis quelques années, devint professeur de philosophie à l'Université de Moscou. La phénoménologie, comme en général tous les courants de l' avant-garde intellectuelle, bénéficia de l'ouverture des premiers res- ponsables culturels du nouveau régime révolutionnaire, tels que Lounat- charski et Bogdanov, jusqu'à 1921. En 1922 son nom fut inclus dans la liste des intellectuels à expulser de Russie par un arrêt de Lénine, mais il échappa à cette exclusion, survécut comme chercheur, contraint d'abandonner sa chaire de philosophie pour se consacrer aux études d'esthétique et de théâtre, jusqu'à la fin des années vingt. Par la suite, la situation devint insoutenable. Après une suite d'adversités croissantes, Gustav Chpet fut fusillé en 1937. En étouffant dans le sang la prometteuse école russe de phénomé- nologie, le régime n'a pas seulement empêché la culture russe de conquérir une place d'honneur dans la philosophie du XXe siècle, mais a aussi privé le marxisme d'un interlocuteur ouvert à la nouveauté d'Octobre 2. 2. Sur Chpet et la phénoménologie russe voir : E. Holenstein, Linguistik , Semiotik, Hermeneutik , Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1976 ; A. Haardt, Husserl in This content downloaded from 193.54.110.56 on Sun, 05 Sep 2021 07:54:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 60 DOMENICO JERVOLINO En souhaitant une nouvelle rencontre entre phénoménologie, herméneutique et marxisme, je ne plaide pas pour un retour au passé, ni aux années vingt, ni aux années soixante ou soixante-dix. Je sais bien qu'aujourd'hui la scène du monde a considérablement changé, et le paysage philosophique également. Nous avons connu la crise irrémé- diable des pays « socialistes » et nous sommes appelés à nous confron- ter au marché global et à son idéologie. Ce qui s'est écroulé, c'est la prétention totalisante d'un marxisme conçu comme système global, héritier du savoir absolu. Ce qui reste, à mon avis, c'est la possibilité d'envisager un projet communiste comme critique de l'économie et de la société capitaliste dans l'horizon de la possibilité d'un autre ordre des choses. Je proposerai ici quelques hypothèses de travail en ce sens. 2 Il ne s'agit bien sûr que d'une lecture personnelle de Marx, d'une tentative de penser avec Marx contre Marx, assurément contre un certain marxisme. En effet, dans l'histoire du marxisme s'est produite une alliance entre une critique sociale et une métaphysique matérialiste. Je demande au préalable la dissolution de cette alliance au bénéfice d'une attitude de neutralité métaphysique. Cette condition s'applique aussi à la phénoménologie elle-même, dans ses versions idéalistes, pla- tonisantes ou subjectivistes. Du uploads/Philosophie/ phe-nome-nologie-herme-neutique-et-marxisme.pdf
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- Publié le Apv 01, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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