PISTES DE MISE EN ŒUVRE 1. Morale et altérité De soi à l’autre, un chemin à con
PISTES DE MISE EN ŒUVRE 1. Morale et altérité De soi à l’autre, un chemin à construire Les enseignants confrontés à la difficulté de former un groupe évoquent parfois la classe comme une somme d’individualités qui cohabitent difficilement, sans pour autant se préoccuper des autres. La frustration est parfois vécue comme impossible, chacun revendiquant la place de son désir dans une transition qui s’est engagée avec pour point de départ la volonté de « ne pas céder à son désir » puis celle de ne pas céder « sur son désir », comme le souligne le psychanalyste et écrivain Jean-Pierre Winter. L’émergence de la personne se distingue de celle de l’individu : l’individu, c’est ce qui ne peut être divisé sans cesser d’être lui-même, la personne c’est l’individu relié : « Dire soi n’est pas dire moi. Soi implique l’autre que soi, afin que l’on puisse dire de quelqu’un qu’il s’estime soi-même comme un autre », dit Paul Ricoeur dans Éthique et Morale. Aller vers l’autre c’est ainsi lui faire une place dans sa propre vie. « Commencer par soi, mais non finir par soi ; se prendre pour point de départ, mais non pour but ; se connaître, mais non se pré-occuper de soi.2» Ces enjeux, évoqués par Martin Buber, ne peuvent être dissociés. Construire le respect, vers la réciprocité La reconnaissance de la dignité de la personne est le préalable à toute rencontre. Une dignité inaltérable, définitivement reçue, une dignité quelle que soit l’identité de la personne ou la nature de ses actes. Cette égale dignité confère un respect réciproque. « Quelque chose est dû à l’homme du seul fait qu’il est humain », dit Paul Ricoeur. Ainsi le respect s’applique-t-il pour chacun quel qu’il soit, connu ou non. Chacun se doit d’être reconnu. C’est un préalable, même dans l’absence de revendication ou de conscience de soi. Le respect réciproque revendiqué par les élèves aujourd’hui ne signe pas la perte de l’autorité mais bien plutôt le passage d’une autorité de domination à une autorité institutionnelle et de compétence. L’évitement de la violence qui entache la relation mais aussi le développement de la personne ne peut se faire qu’à ce prix. « Lorsque la communication se relâche ou se corrompt, je me perds profondément moi-même : toutes les folies sont un échec du rapport avec autrui, — alter devient alienus, je deviens, à mon tour, étranger à moi-même, aliéné. On pourrait presque dire que je n’existe que dans la mesure où j’existe pour autrui, et, à la limite : être, c’est aimer 3. » La reconnaissance de l’autre est antidote à la violence, dans la relation mais aussi dans la réalisation d’objectifs d’apprentissage. Construire la liberté4 « L’homme […] est un être situé dans l’histoire. Jour après jour, il se construit par ses choix nombreux et libres. Ainsi il connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d’une croissance. » Le pape Jean-Paul II5 dessine ainsi un chemin de liberté où l’homme peut faire le choix de s’élever par la pensée et la conscience morale. La morale reste une invitation à penser, à discerner ce qui permet de construire le bien, elle laisse place à la notion de temps. La morale ne peut faire place au « tout tout de suite » ni dans la réalisation du désir qui doit se contraindre à examiner si le passage à l’acte est souhaitable, envisageable, construit du bonheur, du respect, de la dignité, ni dans l’exigence de perfection immédiate qui ne laisserait pas de place à la croissance. Claudine Leleux6 distingue ainsi la vie bonne (le bonheur) et la bonne vie (la vie morale) qu’il s’agit d’articuler. L’école, dans ses missions, doit alors faire place à l’exercice du discernement et au développement des capacités de communication, pour une meilleure intégration sociale. Cet accompagnement éducatif demande la présence et l’intervention de tout acteur afin de construire un lieu qui témoigne de la jonction entre le dire et le faire, tout en proposant un exercice de la liberté et donc de la responsabilité. Parlons-en 1 Emmanuel Mounier, Le personnalisme, PUF, 1949. 2 Martin Buber, Le chemin de l’homme, édition du Rocher. 3 Emmanuel Mounier, Le personnalisme, PUF, 1949. 4 Voir aussi, dans ce même document, la fiche Liberté. 5 Homélie du 25 octobre 1980. 6 Claudine Leleux, Valeurs et normes, quelle universalité pour quelle morale ?, Revue Spirale n°21, 1998. PISTES ÉDUCATIVES « Le premier mouvement qui révèle un être humain dans la petite enfance est un mouvement vers autrui : l’enfant de six à douze mois se découvre en autrui, s’apprend dans des attitudes commandées par le regard d’autrui. L’expérience primitive de la personne est l’expérience de la seconde personne. Le tu, et en lui le nous, précède le je, ou au moins l’accompagne. » Par ces mots, Emmanuel Mounier1 nous rappelle que la rencontre de l’Autre se construit dès le plus jeune âge. L’école, premier lieu de fréquentation sociale pour un grand nombre de petits, peut devenir lieu de rencontre avec l’autre, mais aussi lieu de peur ou d’esquive de l’autre. 10 % des élèves disent avoir été victimes de harcèlement. « Il est capital d’enseigner la compréhension humaine qui seule permet d’entretenir les solidarités et les fraternités. Elle permet de concevoir à la fois notre identité et nos différences avec autrui, de reconnaître sa complexité plutôt que de la réduire à un seul caractère généralement négatif. » Comment la morale enseignée à l’école peut-elle contribuer à construire ce rapport à l’autre, cette compréhension de l’autre qui sera centrale toute la vie ? 1 « Au service de la croissance spirituelle, intellectuelle, physique, affective et morale de tous les acteurs de la vie scolaire, la mission d’enseignement et d’éducation de l’école catholique appelle une participation commune mais différenciée de chaque membre de la communauté éducative. Ainsi, tous les membres des communautés éducatives et, avec eux, ceux qui sont au service de l’Enseignement catholique à tous niveaux, “se font un devoir de conscience de collaborer en toute responsabilité à la réalisation du projet éducatif commun, chacun selon son rôle et ses compétences“7». S’engager au-service de la croissance de l’élève, c’est s’engager à bâtir l’autonomie, la capacité à trouver en soi le fondement de la règle qui s’impose dans le respect de chacun. Cette capacité ne peut être séparée de l’acception consciente et consentie aux règles et aux devoirs qui régissent l’action humaine, le cas contraire amenant à la licence plus qu’à la liberté. Un chemin d’apprentissage prenant en compte l’unité de la personne est donc indispensable afin de permettre l’émergence des différentes facettes de l’autonomie. Ce qui me détermine Si la transmission trouve bien sa place dans l’établissement scolaire, la clarification des valeurs qui la sous-tendent n’est pas toujours assurée. Savoir « au nom de quoi » sont posés les actes, déterminer ce qui fonde le sens de la vie, c’est proposer une antidote à la tentation constante d’accumulation de valeurs matérielles qui habite notre société. La valeur est l’expression d’une préférence personnelle en vue d’une fin digne d’efforts personnels, souligne Jürgen Habermas, alors que la norme, elle, prétend à une validité universelle — toujours provisoire et susceptible d’être invalidée. « Les valeurs ne sont que des concepts (des universaux) chargés pragmatiquement de ce qui vaut pour moi ou pour nous et qui ne sont donc pas hiérarchisables absolument : la santé, le plaisir ou même la vie ne sont pas supérieurs à la liberté, de même que, dans l‘absolu, la liberté ne vaut pas plus que la vie…8» Identifier ces valeurs, c’est ainsi pouvoir dépasser le champ des normes techniques, légales et pouvoir accéder à la capacité d’argumenter un choix en fonction du cadre qui est posé. Ce n’est pas parce que la loi l’autorise que je suis fondé à agir pour moi- même dans son cadre. Ainsi l’accession à un débat raisonné sur des questions bioéthiques ne peut se faire que dans la mesure où l’élève a connaissance du cadre de la société (normes, règles et lois) mais aussi s’il peut identifier les valeurs qui lui permettront de fonder son jugement pour lui-même, en toute bienveillance et respect devant la pluralité des convictions exprimées. Ce que j’apprends de l’autre Apprendre à penser demeure la tâche essentielle de l’école à condition que celle-ci prenne le temps d’enseigner cette autonomie. « La langue n’est pas faite pour parler à des gens qui me ressemblent, pour parler à un autre moi-même. Elle est faite pour aller chercher l’autre au plus loin de moi-même, pour parler à ceux que l’on n’aime pas. On a plus de choses à dire à ceux qu’on n’aime pas qu’à ceux qu’on aime ; l’exigence linguistique est plus forte avec ceux qui sont loin de nous. » Ces propos d’Alain Bentolila soulignent l’urgence de construire une maîtrise de la langue qui autorise la pensée et la rencontre. Cette entrée ne peut délaisser cependant l’apprentissage des « règles logiques qui sont à la base d’une pensée autonome. Le jugement moral mobilise des compétences cognitives et applique, comme tout uploads/Philosophie/ morale-et-alterite.pdf
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