Linx Revue des linguistes de l’université Paris X Nanterre 7 | 1995 Saussure au
Linx Revue des linguistes de l’université Paris X Nanterre 7 | 1995 Saussure aujourd'hui L’ordre et le désordre : l’interaction langue< => parole André-Jean Pétroff Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/linx/1220 DOI : 10.4000/linx.1220 ISSN : 2118-9692 Éditeur Presses universitaires de Paris Nanterre Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 1995 Pagination : 369-385 ISSN : 0246-8743 Référence électronique André-Jean Pétroff, « L’ordre et le désordre : l’interaction langue< =>parole », Linx [En ligne], 7 | 1995, mis en ligne le 25 juillet 2012, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/linx/1220 ; DOI : 10.4000/linx.1220 Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019. Département de Sciences du langage, Université Paris Ouest L’ordre et le désordre : l’interaction langue< =>parole André-Jean Pétroff L’ordre qui se déchire et se transforme, l’omniprésence du désordre, le surgissement de l’organisation suscitent des exigences fondamentales : toute théorie désormais doit porter la marque du désordre et de la désintégration, toute théorie doit relativiser le désordre, toute théorie doit nucléer le concept d’organisation. Edgar Morin. 1 Le thème que je vais traiter est au centre de tous mes travaux de recherche sur l’œuvre de Ferdinand de Saussure depuis plus d’une décennie. J’avais été frappé par des convergences, des ressemblances, des parentés évidentes entre, d’une part, l’approche saussurienne des phénomènes linguistiques et, d’autre part, les méthodes d’analyse et les démarches heuristiques qui existaient dans un domaine tout à fait étranger, celui la thermodynamique. Après une période de doute cartésien tout à fait raisonnable en l’occurrence, je me suis aperçu que j’étais entré, sans trop m’en rendre compte, dans les débats fondamentaux où se repensent tous les grands problèmes de l’épistémologie : la question du TEMPS, celle du déterminisme, et aussi la question du rapport de l’observateur et de l’objet observé, etc. En d’autres termes j’ai compris que Ferdinand de Saussure était présent dans toutes ces confrontations, mais aussi que la linguistique générale était bien silencieuse. 2 Le point de départ théorique c’est évidemment la prise de conscience que le Facteur Temps est désormais au centre des préoccupations de toute la science contemporaine, (tout comme l’aurait recommandé Saussure...). L’étude du remarquable ouvrage de Ilya Prigogine et Isabelle Stengers1 ne laisse à ce sujet aucun doute : nous sommes bien les contemporains d’une Métamorphose de la science d’une extraordinaire ampleur. Or, à lire ce L’ordre et le désordre : l’interaction langue< =>parole Linx, 7 | 1995 1 que disait Saussure sur les transformations des systèmes, sur le rôle de l’événement fortuit, sur l’apparition et la propagation d’une modification, on se rend compte que nous sommes en fait très proches de ce que nous apprend la thermodynamique des états de déséquilibre sur ces problèmes, et parfois tout particulièrement proches des procédures descriptives d’Ilya Prigogine concernant les "structures dissipatives". Les structures dissipatives se caractérisent par le fait que désordre se transforme en ordre au lieu d’aller croissant de façon indéfinie comme l’établit le second principe de la thermodynamique2. C’est sur ce paradigme du désordre producteur d’ordre que s’affrontent les théoriciens et en particulier que s’est construite la méthodologie d’Edgar Morin qui cherche à poser les fondements d’une « scienza nuova », d’une « science du complexe »3. Et là, également, on s’aperçoit que les cheminements d’Edgar Morin prennent parfois des voies déjà balisées par Ferdinand de Saussure. 3 Les structures dissipatives ont effectivement relancé les débats sur la question du déterminisme, sur le hasard et la nécessité pour reprendre la formule de Jacques Monod. Débats qui n’ont pas toujours su conserver la sérénité espérée comme en témoigne un ouvrage récent (qui s’intitule très justement : La Querelle du déterminisme.4), où se trouvent réunies les différentes thèses en présence à partir d’un texte relativement violent de René Thom qui lui, part en guerre contre l’épistémologie populaire française5. Là encore des rapprochements inattendus s’imposent à la lecture et parfois d’une façon qui ne laisse pas d’être surprenante par sa brutalité. Thom met ainsi en exergue de son article le mot de Joseph de Maistre : Ne parlons pas donc jamais de hasard...On se souvient que c’est la même citation qu’a employée Roman Jakobson dans son argumentation contre la conception saussurienne des transformations des systèmes. Mais, de plus il ajoutait ...ni d’arbitraire. 4 En fait, tout ce que nous apporte l’épistémologie contemporaine, nous invite à repenser rien moins que les fondements théoriques de la linguistique. Entre les thèses de Jakobson sur la synchronie dynamique, thèses qui sont devenues par un étrange consensus celles de la linguistique quasiment tout entière, et les propositions de Ferdinand de Saussure concernant l’opposition synchronie/diachronie, il semble bien que l’argumentation saussurienne ne soit pas si obsolète qu’on a bien voulu le dire et surtout le répéter. Autre consensus qui est à interroger du point de vue épistémologique : l’utilisation du seul Cours de Linguistique Générale de 1916 comme base de référence, malgré la connaissance déjà ancienne des « sources manuscrites ». Grâce à l’édition de Rudolf Engler6, on dispose désormais de l’ensemble des textes qui ont permis la rédaction du classique CLG. De plus, dans une dernière livraison en 1974, on a accès aux notes autographes de Saussure. Priorité absolue sera donc systématiquement donnée à tous ces textes qui sont, surtout en ce qui concerne ces notes autographes, des fragments infiniment précieux pour mieux comprendre la pensée de celui qui est au centre de nos préoccupations pendant cette décade7. 5 C’est donc à l’intérieur de ce cadre épistémologique qui va d’Ilya Prigogine à Edgar Morin, et à partir des textes les plus près proches possible de leurs sources, que peuvent se repenser les apports saussuriens concernant l’interaction ordre/désordre, le désordre producteur d’ordre. 6 Pour Saussure, les transformations des langues (au sens d’idiome), sont incessantes et c’est toujours un événement fortuit qui fait qu’un système disparaît et laisse la place à un autre. Deux systèmes, deux états de langue successifs et consécutifs ne sont pas dans une relation de causalité, et l’événement déclencheur ne fait partie d’aucun des deux L’ordre et le désordre : l’interaction langue< =>parole Linx, 7 | 1995 2 systèmes. A bien noter que ce ne sont pas pour Ferdinand de Saussure des déductions a priori, mais le résultat de ses observations, de sa connaissance de l’indo‑européen, etc. 7 Le problème que se pose Ferdinand de Saussure est particulièrement bien décrit dans une sorte de parabole qui est développée dans la note autographe Note N.24, c’est-à-dire située chronologiquement après le Cours III, et donc entre 1911 et 1913.C’est la parabole de la fourmilière. Il est merveilleux de voir comment, de quelque façon que les événements diachroniques viennent troubler, l’instinct linguistique s’arrange à en tirer le meilleur parti pour une [ ]. Cela fait penser à la fourmilière dans laquelle on plante un bâton et qui à l’instant sera réparée (dans ses brèches) je veux dire que la tendance au système ou à l’ordre ne sera jamais lassée : on aura beau couper à une langue ce qui faisait le meilleur de son organisation la veille, on verra le lendemain que les matériaux restants auront subi un arrangement logique dans un sens quelconque, et que cet arrangement est capable de fonctionner à la place de ce qui est perdu, quoique quelquefois dans un tout autre plan général.Note N 24b, Fasc.4, p 49. CLG/E, 3343.1 8 On constate ainsi que l’événement ne fait partie ni de l’Etat 1 ni de l’Etat 2. C’est un événement fortuit. Ce qui implique que l’Etat 2 n’est pas le produit de l’Etat 1, ni directement ni indirectement. Le coup de bâton est le simple provocateur de la mise en route de la tendance à l’ordre qui va travailler sur les matériaux et mettre en place un nouvel état de la fourmilière. Saussure indique bien que l’ordre ne survient pas à partir d’un désordre mais qu’il est le produit d’un facteur nouveau, d’une force « incoercible »8 . 9 En revanche, pour Jakobson qui n’a jamais accepté cette conception d’une évolution qui serait due au hasard d’événements fortuits, la structure est en quelque sorte permanente puisqu’elle réalise successivement les sous-codes qui existent en elle potentiellement. La linguistique post-saussurienne a réfuté son identification erronée des deux opposi tions : celle de la syn chronie et de la diachronie et celle de la statique et de la dynamique. Le début et l’issue de tout processus de mutation coexistent dans la syn chronie et appartiennent à deux sous-codes différents d’une seule et même langue. Par conséquent, aucun des changements ne peut être compris et expliqué qu’en fonction du système qui les subit et du rôle qu’ils nouent à l’intérieur de ce système ; inverse ment, aucune langue ne peut recevoir une description complète et adéquate, sans qu’il soit tenu compte « des changements qui sont en train de s’opérer ». La prohibition absolue introduite par Saussure d’étudier simultanément les rapports dans le temps et les rapports dans le système perd de sa validité. Les changements apparaissent comme relevant d’une synchronie dynamique.9 10 Les changements se réalisent donc à l’intérieur d’une même synchronie. Ainsi, il ne peut uploads/Philosophie/ linx-1220.pdf
Documents similaires










-
34
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 19, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.5534MB