Anales de Filología Francesa, n . " 1 1,2002-2003 JAVIER SUS0 L ~ P E Z La ling
Anales de Filología Francesa, n . " 1 1,2002-2003 JAVIER SUS0 L ~ P E Z La linguistique franqaise au XXe siecle JAVIER SUSO LÓPEZ Universidad de Granada 1 1 faut t6t ou tard en venir A des lois, a des riglements du passé, a des concep- tions sommaires, fussent-elles un peu artificielles, A des méthodes qui ressem- blent a ces machines qui abrigent et résurnent un travail de plus en plus interminable et infini Sainte-Beuve Nous ne pouvons aborder cette étude -ou plut6t esquisse- sans souligner qu'elle sera forcément simplificatrice et réductrice étant domé l'espace-papier disponible 1. Elle s'inscnt dans la lignée d'une séne de ((bilans)) sur la linguistique francaise au XXe siicle qui ont été pu- bliés dernikrement en ~ s ~ a g n e ~ . Par ((linguistique francaise)), nous entendons bien «la linguis- tique qui se donne le francais pour objet d'études)) (ou linguistique du francais), bien que cet exposé puisse a certains moments poser la question de l'existence d'une ((linguistique a la fran- caise)) révélatrice d'un mode de pensée spécifiquement fiancais (voire européen, face A la pen- sée anglo-saxome), c o m e le remarque sous forme de boutade M. Wilrnet (1994: 59-60). 1 Nous ne ferons ainsi que des allusions passageres aux gramrnaires francaises; quant a I'étymologie, I'orthograp- hc, la lexicologie et les dictionnaires, la dialcctologie, les argots ... nous les laissons de c6té. D'autre part, nous nc ferons que quelqucs allusions aux conmbutions des chercheurs cspagnols dans le domaine de la linguistique, et renvoyons aux répertoircs qui ont été réalisés dans les dernibes années, portant sur des questions concretes (les thbses doctorales, par A. Yllera, in Corcuera, 1994: 381-389; apercu des études linguistiques, par J. Lago, in Cor- cuera, 1994: 391-398; les Estudios de lingüísticafrancesa ... de J . Lago (1995), ainsi que les deux Repertorios complets de J . Muela et A. Yllera, 1994 et 2003. Voir la bibliographie finale. 2 htudes générales ou limitées a un aspect ou A un domaine particulier : la sémantique (Anscombre, 1994), Wilmet (((rttro-prospectives, 1994), I'analyse du discoun (Olivares Pardo, 1994), I'histoire et I'épistémologie de la grammaire/linguistique (Swiggers, 1996). les demieres tendanccs (Tordesillas, 1994 et 2000), études dont nous nous sommes largement inspires pour composer cette vue d'ensemble. Anales de Filología Francesa, n." 1 1,2002-2003 L A LINGUISTIQUE FRANCAISE A U XXe SIECLE 1. LANGAGE ET REPRÉSENTATION : PSYCHOLOGIE, SOCIOLOGIE, LINGUISTIQUE HISTORIQUE, LOGIQUE ET LANGAGE a) Une premikre approche de la linguistique franqaise du XXe sikcle est constituée par I'application de la psychologie A l'étude de la langue, approche résolument novatrice (en apparence) par rapport a l'objet de la linguistique du XIXe siecle (logique, compa- ratiste, historique). Ainsi, Lapensée et la langue (F. Brunot, 1922) veut Etre 17«exposé méthodique des faits de pensée [...] et des moyens d'expression qui leur correspon- dent» en franqais). Différents domaines de la linguistique baignent d a n ~ cette optique: on souligne comment de nombreux changements phonétiques sont dus A des besoins d'affectivité ou d'expressivité (insistance, relief. ..), de meme que de nombreux chan- gements de sens (domaine de la sémantique), et des phénomknes de syntaxe (voir ainsi 1'Essai de la structure logique de la phrase, d'A. Séchehaye, 1926), ou il analyse la phrase pour retrouver la marche de lapensée: par exemple, le sujet serait le point de dé- part de la pensée -il s'agit maintenant d'un sujet psychologique, posé par le locuteur, par exemple: c 'est demain- et le prédicat serait l'aboutissement de lapensée (quej 'irai chez toi). Pour Séchehaye, «le fait grarnrnatical n'existe que pour foumir une forme A la pende» (Kukenheim, 1962: 98). La stylistique, par définition, est le domaine dans lequel l'acte individuel de langage montre le mieux le c6té affectif du langage (Ch. Bally, Traité le stylistique francaise, 1909), ce qui permettra de rapprocher les études linguistiques des études littéraires (avec des développements heureux, comme dans les cas de Spitzer ou de Jakobson). D'autre part, des études de psychologique sociale s'efforcent de montrer, a la suite des idées de Humboldt (mais on peut remonter plus loin: A Rivarol, par exemple), com- ment les communautés humaines sont animées d'un certain «génie», ou esprit qui s'ex- prime dans la langue de ce groupe: si I'ordre de la syntaxe franqaise n'est plus conqu c o m e universel, la langue franqaise manifeste -pour les partisans de ce courant- l'es- prit logique inhérent au peuple franqais, le besoin de clarté, le gouvemement par la rai- son et non par les passions, le gout pour la précision ... La langue est donc un puissant outil de compréhension et de communication sociales. Ces études rejoignent dans bien d'aspects l'idéalisme de Karl Vossler ou le mentalisme: «de meme qu'un individu s'exprime de la faqon qui lui est propre, un peuple aussi, considéré c o m e une person- nalité, a une manikre de parler qui lui est particulikre)) (Kukenheim, 1962: 87). Charles Bally (Le langage et la vie, 1926) va essayer de montrer comment le ((langage n'est pas une construction purement intellectuelle, mais reqoit de la vie individuelle et sociale les caracteres fondamentaux de son fonctionnement et de son évolution)) (Kukenheim, 1962: 101): en s'appuyant sur les nombreux emprunts et rapports qui relient les lan- gues et les peuples occidentaux, il fondera l'hypothise d'une ((mentalité européenne)). Anales de Filología Francesa, n." 1 1, 2002-2003 JAVIER SUSO LÓPEZ Si nous avangons dans le siecle, la linguistique psychologique continue les études an- térieures dans un meme esprit, dan~ un premier moment: «la langue est un des nom- b r e ~ moyens d'exprimer les sentiments)). Kukenheim signale ainsi que «au lieu de témoigner de la curiosité a l'égard des onentations nouvelles, la plupart des romanistes ont continué de préconiser la méthode historique et la méthode psychologique; celle-ci surtout, releve de la grande tradition frangaise)) (1962: 13313. Dans le débat sur l'antériorité de la pensée ou de la parole, Gustave Guillaume va s'in- téresser, avec la psycho-mécanique, ((plutot a ce qui précede le discours qu'au discours lui-meme: la genese de la parole se fait dans une ambiance confuse (le inposse, le plan du virtuel ou de la «langue»), arrive au moment de sa réalisation (le infieri, moment opérationnel infiniment petit, mais moment crucial) pour aboutir a sa réalisation totale (le in esse, le plan de l'actualisation ou de la «parole»)» (Kukenheim, 1962: 11 5). A partir des années soixante, la psycholinguistique va s'occuper de questions tres diver- ses: le surgissement de la parole chez l'enfant, le bilinguisme, l'interlangue ... Le sur- gissement de la psychologie cognitive va orienter la sémantique $ nouveau vers le probleme du sens. Nous reviendrons a cette question dans la troisieme partie. b) Une deuxibme approche est d'ordre sociologique: le courant sociologique en linguisti- que (Meillet, Vendryes, Lévy-Brühl) est a distinguer nettement de la psychologie so- ciale. 1 1 défend qu'il faut s'opposer A l'idée que la langue se corrompt par le fait de son évolution historique meme (comme le soutenait Schleicher), mais aussi qu'«il est faux de considérer le langage comme une entité idéale évoluant indépendamrnent des hom- mes et poursuivant des fins propres)) (H. Berr, in Vendrybs, 1921: Préface, 9): ((11 est toujours imprudent de vouloir juger de la mentalité d'un peuple par les catégories gramrnaticales que possede cette langue)) (Vendryes, 1921: 128); ((11 ne faut pas con- fondre les caracteres ethniques, qui ne peuvent s'acquérir qu'avec le sang, et les insti- tutions -langue, religion, culture- qui sont des biens éminemment transmissibles, qui se pretent et s'échangent)) (ib., 1921: 275-276). Les études d'ordre sociolinguistique du début du siecle essaient ainsi de montrer que la langue en tant que création sociale est un produit matériel, qui reflete l'état de la socié- té, les forces productives, les rapports économiques et sociaux, les institutions: face a la fonction de représentation, les idées avancent vers la considération centrale du lan- 3 Pour A. Darnourette et E. Pichon (Des mots 6 la pensée. Essai de grammaire de la langue francaise, sept volu- mes, 1927- 1940), la seule voie pour pénétrer dans la pensée est la langue, il faut [donc] partu de I'expression lin- guistique [...] Tout est psychisme: un idiome se définit: un mode de pensée spécifique* (Kukenheim, 1962: 144). J.-CI. Chevalier, dans le meme sens, indique que «E. Pichon, membre capital de la premiere génération francaise de psychanalystes, tentait de montrer comrnent le langage s'enracinait dans I'expérience psychique et limitait la notion d'arbivaire* (1996: 117). Le succks de cet ouvrage magistral fut entravt malheureusement par un mttalan- gage dtroutant. Galichet compose de son c6té un Essai de grammairepsychologique (1947). Un autre ouvrage h signaler est le Précis de syntare du francais conremporain (1947, entikrement refondu en 1958) de Von Wartburg et de Zumthor. Anales de Filología Francesa, n . ' 11,2002-2003 LA LiNGUISTIQUE FRANCAISE AU XXe SIECLE gage en tant que fonction de communication. Les études de géographie linguistique et la dialectologie viennent appuyer une thbse semblable («la langue se transforme et crée des innovations d'aprbs ses propres besoins)), Kukenheim, 1962: 89), et terminent de déplacer le centre l'intéret (l'objet) et la uploads/Philosophie/ linguistique-francaise-au-xxe-s-2011720.pdf
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- Publié le Aoû 02, 2021
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