L’annuaire du Collège de France Cours et travaux 118 | 2020 Annuaire du Collège

L’annuaire du Collège de France Cours et travaux 118 | 2020 Annuaire du Collège de France 2017-2018 Histoire de la philosophie médiévale Alain de Libera Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/15819 DOI : 10.4000/annuaire-cdf.15819 ISBN : 978-2-7226-0572-5 ISSN : 2109-9227 Éditeur Collège de France Édition imprimée Date de publication : 30 décembre 2020 Pagination : 379-393 ISBN : 978-2-7226-0516-9 ISSN : 0069-5580 Référence électronique Alain de Libera, « Histoire de la philosophie médiévale », L’annuaire du Collège de France [En ligne], 118 | 2020, mis en ligne le 01 avril 2021, consulté le 22 août 2022. URL : http://journals.openedition.org/ annuaire-cdf/15819 ; DOI : https://doi.org/10.4000/annuaire-cdf.15819 Tous droits réservés histoire de la philosophie médiéVale Alain de libera Membre correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, professeur au Collège de France Mots-clés : philosophie médiévale, Heidegger, Foucault, existence, vérité La série de cours « Destructionis destructio (II). Existence et vérité » est disponible, en audio et vidéo, sur le site internet du Collège de France (https://www.college-de-france. fr/site/alain-de-libera/course-2017-2018.htm), ainsi que le colloque « L’Europe de la logique » (https://www.college-de-france.fr/site/alain-de-libera/symposium-2017-2018. htm). La journée d’études « Gilson & Blumenberg » (https://www.college-de-france.fr/ site/alain-de-libera/studyday-2017-2018.htm) est quant à elle disponible sur le site en version audio. enseiGnement Cours – DESTRUCTIONIS DESTRUCTIO (ii). existenCe et Vérité Donné sur quatorze leçons d’une heure, le cours a poursuivi la confrontation entre histoire de l’Être (Sein) et/ou de l’Estre (Seyn) selon Heidegger et histoire de la vérité selon Foucault en examinant d’un point de vue archéologique leurs restitutions respec- tives de la généalogie du rapport entre existence et vérité, à partir de la « victoire » alléguée de la « philosophie » platonico-aristotélicienne et de l’« apophantique » sur la « sophistique » – restitutions toutes deux caractérisées par des formes diverses de méconnaissance ou de sous-évaluation de la pensée médiévale, qu’elle soit philoso- phique ou théologique. Partant de la critique d’Aristote dans les Leçons sur la volonté de savoir, on a, en outre, trouvé chez le Foucault du Courage de la vérité une prise de distance significative à l’égard des thèses de Heidegger sur le nihilisme, imposant une relecture critique du thème du « philosophe essentiel ». 5 février 2018 Dans la première des Leçons sur la volonté de savoir (9 décembre 1970), Foucault se donnait comme objectif l’histoire d’une « double transformation » : (1) la naissance 380 ALAIN DE LIBERA du « discours philosophico-scientifique », autrement dit, de la philosophie ; et (2) les rendant possibles : la « liquidation » de la « sophistique » au profit de l’« apophantique ». Ce qui se mettait ainsi en place en 1970/1971, dans le premier cours du Collège de France, n’annonçait en rien les publications sur l’histoire de la sexualité, engagées en 1976 avec La Volonté de savoir, pour s’achever en janvier 2018 avec Les Aveux de la chair. Il y allait, en effet, principalement d’une critique d’Aristote. L’expression « volonté de savoir » parallèle à la « volonté de puissance » imposant à la fois une référence directe à Nietzsche et, indirecte, à l’interprétation heideggérienne de Nietzsche, le cours de Foucault nouait deux fils : l’un aristotélicien, l’autre heideggérien. Poursuivant la déconstruction du « Grand récit » heideggérien, nous avons, en 2018, principalement suivi le premier, en nous concentrant sur l’idée foucaldienne de « partage violent du vrai et du faux », l’un des éléments du « système d’exclusion » censé régir la volonté de savoir, « en tant qu’elle exerce elle-même un rôle d’exclusion sur le discours ». Il y a, de fait, pour Foucault un événement dans l’histoire de la vérité qui coïncide avec la naissance de la philosophie, la rend possible, et lui donne forme : le « déplacement de la vérité », qui s’opère dans le monde grec entre le Vie et le Ve siècle avant J.-C. Après un rappel des emprunts de Foucault aux « analystes anglais », Austin et Searle, permettant d’articuler la distinction de L’Archéologie du savoir entre phrases, propositions, énoncés et speech acts, on a évoqué l’analyse de ce « déplacement de la vérité », présenté dans le cours de 1970 comme le déplacement opéré par Platon de l’acte d’énonciation vers l’énoncé lui- même, puis, presque au bout du parcours, en 1982-1983, dans Le Gouvernement de soi et des autres, l’analyse de la « dramatique du discours vrai », définie comme celle des « faits de discours qui montrent comment l’événement même de l’énonciation peut affecter l’être de l’énonciateur » qui a le courage de dire vrai. On a ainsi été amené à distinguer les thèses platoniciennes de 1983 sur le « réel de la philosophie » tirées de la relecture foucaldienne de la Lettre VII, requérant de la philosophie et du philosophe lui-même de n’être pas simplement discours, λόγος, mais travail, ἔργον, plein acte de véridiction, et les thèses platonico-aristotéliciennes sur le logos, analysées en 1970-1971, comme fondant la « logique ». Dans les leçons des 6 et 13 janvier 1971, Foucault évoque les deux opérations distinctes, mais complémentaires, opérées par Platon avec la liquidation des sophistes, puis Aristote, avec la pérennisation des sophismes. C’est dans l’analyse de cette pérennisation qu’il glisse quelques remarques sur le Moyen Âge. Cette analyse répète elle-même le geste d’exclusion de la logique médiévale opéré par Kant, affirmant que depuis Aristote la logique « n’avait pu faire un seul pas en avant ». Concernant l’événement du « déplacement de la vérité », on a montré que Foucault déplaçait lui- même sur le personnage du sophiste un élément central de l’analyse de la fonction du poète dans l’œuvre qui porte en sous-main ses analyses – le livre « jamais cité » de Marcel Detienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, paru chez Maspero en 1967 : le fait d’exercer un pouvoir, celui de « dire la vérité ». Après avoir évoqué les vers 27-28 de la Théogonie où Hésiode mentionne les « réalités » (ἔτυμα) factuelles, puis les « vérités » (ἀληθέα) proférées, on a repris en détail les éléments de la vérité (ἀλήθεια) poétique selon Detienne : une vérité « assertorique », « fondamentalement différente de notre conception traditionnelle » ; une vérité qui ne consiste ni dans « l’accord de la proposition et de son objet », ni dans celui « d’un jugement avec les autres jugements », car, dans la Grèce archaïque, l’opposé de la vérité n’est pas le « faux », mais l’oubli (Λήθη). On a abordé ensuite la critique de Detienne par Bernard Williams, puis commencé, sur cette base, l’examen de la HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE MéDIéVALE 381 critique de Foucault par Jacques Bouveresse. On s’est arrêté à ce propos sur la notion d’alèthurgie, introduite dans le cours de 1979-1980 sur le gouvernement des vivants comme « l’ensemble des procédés possibles, verbaux et non verbaux, par lesquels on amène à jour ce qui est posé comme vrai, par opposition au faux, au caché, à l’indicible, à l’imprévisible, à l’oubli », puis, ayant rappelé le principe foucaldien stipulant qu’il n’y a « pas d’exercice du pouvoir sans une alèthurgie », on a présenté deux critiques de Bouveresse : 1) Foucault ne prend pas en considération l’usage ordinaire du langage ; 2) il ne considère jamais « la question de la vérité a parte rei, mais toujours uniquement a parte veridictionis et plus précisément a parte veridicentis ». Cette dernière formule a été l’occasion de revenir sur la distinction entre « véridicteur », « vérifacteur » (truthmaker) et « vériporteur » (truthbearer), puis de souligner le rôle de la « véridiction » dans la sémiotique du discours et la sémantique textuelle d’A.J. Greimas, parties intégrantes du champ de présence de Foucault, au moment où celui-ci met en place son travail sur le dire-vrai et la parrêsia. 12 février 2018 Selon J. Bouveresse, la définition foucaldienne de l’histoire critique de la pensée par l’« émergence des jeux de vérité » neutralise la distinction frégéenne entre être- vrai et être-tenu pour vrai, en ramenant le premier au second. Après avoir rappelé les thèses de Frege sur le troisième domaine, on s’est concentré sur la notion foucaldienne d’alèthurgie comme manifestation/production de la vérité, et sur l’ambiguïté du terme « produire » (une chose/un témoignage). On a évoqué ensuite les thèses des conférences de Rio de Janeiro sur La Vérité et les formes juridiques (mai 1973) : passage de l’épreuve judiciaire (médiévale) à l’enquête, distinction entre « opérateur de droit » et « opérateur de vérité » (apophantique), et souligné que la question du sujet de l’action en tant que Wer-Frage (question qUI ?) prolongeait l’opération apophantique d’Aristote dans l’ordre judiciaire. De là, on s’est intéressé à l’opposition entre relativisme foucaldien et réalisme aristotélicien brossée par Bouveresse. La thèse de Foucault sur la vérité (notée ici TF/TF*) s’analyse en TF : ce n’est pas parce que le dit du dire-vrai est vrai que le dire-vrai peut être dit « vrai » ; c’est parce que le dire-vrai est vrai que son dit peut être dit « vrai » ; et TF* : la vérité n’est pas la uploads/Philosophie/ libera-118-2020.pdf

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