LA DIALECTIQUE NRGATIVE DANS LA CONNAISSANCE ET L’EXISTENCE (Note sur l’6pist6m

LA DIALECTIQUE NRGATIVE DANS LA CONNAISSANCE ET L’EXISTENCE (Note sur l’6pist6moZogie et la mlaphysique de Nikolai Hartmann et de Jean-Paul Sartre) par J. VUILLEMIN (Paris) ’ L’epistkmologie moderne a dkcouvert dans l’erreur un moment essentiel de la connaissance ; elle est (( un des temps de la dialectique qu’il faut nkces- sairement dkpasser * r). Tandis que l’idealisme, par ce qu’il faisait l’objet absolument et immediatement transparent a la pensee aprks avoir defini celle-ci par I’evidence de l’intuition et de I’adequation de soi a soi, rendait impossible un proares de la connaissance par ( ( rectification indefinie H, tandis qu’il soumettait le contenu kpistemologique a la prktendue loi du ((tout ou ricn ) ) , la theorie actuelle part au contraire des apories soulevees par le phknomhe scientifique : il y a une histoire des sciences dont la con- tinuite n’est pas compatible avec une suite de revolutions ou, a chaque fois, on serait oblige de repartir a zero. Cette epistemologie nouvelle peut Ctre vkritablement appelee, en un sens positif, dialectique ; l’erreur y assume le r6le de la nkgativite. C’est a partir des zones obscures et des regions d’inadC- quation que le savoir apprend son insufhance et sa partialitk. Je vise plus que je n’obtiens et la mkdiocrite de mes verifications prkcipite mon juge- ment. Mais cette precipitation apparait B la conscience dans le phenomene de l’inadequation; elle tend a se detruire elle-m6me. Aussi le progres de la connaissance n’ankantit pas tout le savoir qui l’a preckde; mais il en apparait au contraire comme la justification et la giniralisation : on applique une operation a un dvmainc jusqu’ici inexplore et en mCme temps on trans- forme le sens de l’operation par l’universalisation de son objet. Optimisme dialectique et bpistdmologie de l’approximation vont de pair. Aussi la transcendance qui apparait dans l’erreur n’est pas interprCtCe comme la manifestation realiste d’une chose en soi extkrieure absolument au procks de la connaissance ; elle ne temoigne pas que l’objet soit ontolo- giquement distinct du sujet. Elle est au contraire immanente au progres du savoir, et on peut la dCfinir par la necessite o h se trouve l’homme de viser la totalite a travers le singulier et le systbme des idees a travers une idee particuliere. ( ( Ce qui nous manque pour approcher la chose en soi, pour en prevoir la transcendance, c’est un procCde qui entrainerait un ind4 1 G. BACHELARD, Essui sur la connnissance approcftie. Paris : Vrin 1927, p. 249. 22 J. VUILLEMIN fini effectif. Comme notre connaissance approchee du reel s’arri3.e aprbs un tres petit nombre d’essais quand on a 6gard a une seule propriCt6, on ne peut s’appuyer sur les determinations trop peu nombreuses pour depasser leur mouvement. On est condamn6 a une transcendance massive, obscure, faite entiPrement de notre ignorance. Ce qui donne tant de solidite a l’affirmation de transcendance qui postule un irrationnel en mathkmatiques, c’est l’assu- rance oh l’on est que son oscultation ne peut &re arr6tCe 1 R . La transcen- dance de la chose est doac ici posee par le propre mouvement immanent et autonome de la connaissance ; la chose en soi n’indique que la visde du tout a travers le symbole provisoirement inad6quat. L’erreur vise a se detruire. La dialectique positive trouve sa source dans la negativite. I1 en irait tout autrement si nous allions attribuer une realit6 ontolo- gique independante du procks epistemologique au concept de chose en soi. L’erreur viserait alors a detruife la connaissance, non a se detruire ellel meme. Elle ne serait plus ndgativite, n6gation de la negation, mais negation pure, approfondissement du n6ant. Nous appellerons dialectique negative ce mouvement de pensee pour lequel chaque progrks apparent de la connais- sance se resout en realit6 dans un recul reel, dans une inadequation plus grande, dans un mystere plus insondable. La diaiectique positive ne detrui- sait pas la raison ; elle en perfectionnait seulement les moyens en lui adjoi- gnant le n6gatif comme moment, en un mot, en la faisant passer de l’uni- verse1 abstrait a l’universel concret. Au contraire, la dialectique negative se presente comme un irrationalisme irreductible ; elle exprime non plus la confiance de l’homme dans ‘sa pensee, mais un aveu de desespoir ou la neces- site d’un recours gratuit A Dieu. C’est cette metaphysique et cette CpistC- mologie que nous allons voir a l’muvre dans l’irrationalisme de Nikolal Hartmann, puis dans l’existentialisme de Jean-Paul Sartre. Peutdtre leur rencontre, en apparence inattendue, nous fournira-t-elle la raison profonde de leur drame commun. I. LA METHODE DE M. HARTMANN La traduction franqaise du livre deja ancien que M. Hartmann 2 a con- sacre a la theorie de la connaissance a le merite unique de rendre accessible dans notre langue la seule philosophie existentielle qui ait os6 aborder les problkmes epistemologiques. En general l’existentialisme se donne la partie belle ; il relegue la science dans le miserable arsenal de nos divertissements et il substitue simplement au savoir scientifique un savoir - jug6 bien superieur - qu’il trouve dans une comprehension immediate du monde, du moi et de Dieu, s’il y a lieu. Au contraire, M. Hartmann veut appliquer les G. RACHELAIID, Essai sur la connaissanee approchke. Paris : Vrin 1927, p. 299. Nikolal HARTMANN, Les principes d‘une mdiaphysique de la connaissance, 2 volumes, traduction et preface de H. Vancourt. Aubier 1945. LA DIALECTIQUE N ~ G A T I V E 23 problematiques et les solutions de I’existence et de I’ontologie modernes aux questions de la connaissance que la philosophie classique tenait pour si importantes. Bien plus, il en genkralise la portee ; Kant s’interrogeait sur les fondements des mathkmatiques et de la physique mathkmatique : M. Hartmann examine comment est possible la connaissance de l’id6al (dans le domaine duquel il fait rentrer Cgalement la logique et les valeurs) et celle du reel (A propos de quoi il etend le probleme de la physique A la biologie et en g6neral a toute connaissance sensible des objets). Son onto- logie, parce qu’elle est universelle et non particulikre, comme il arrive la plupart du temps, offrira donc l’avantage de nous montrer clairement les mkthodes, les postulats et les prejuges de l’attitude existentielle. A mesurer exactement celle-18, on comprendra exactement celle-ci. Connaitre la connaissance implique d6ja qu’on possede quelque idCe de sa nature, ou se rassemblent comme en leur centre tous les themes de la mCthodologie existentielle. L’idCalisme classique, dont la philosophie hkge- lienne representait en un sens l’achkvement, mais dont l’esprit n’est point sans revivre et dans le nCo-kantisme de Marburg (le mouvement qui va de Cohen a Natorp et a Cassirer ne fait que repeter celui de l’idealisme critique a I’idCalisme absolu) et mCme dans le dernier mouvement de la pbkno- menologie (qu’il s’agisse de la ph6nomCnologie ( ( genetique )) de Husserl ou de la derniere anthropologie de Scheler), partait du principe que crCer et connaitre sont un seul et mCme acte et que toute definition ( ( reelle est toujours en m6me temps une definition ( ( genetique )). C’est Sr ce (( postulat ) ) que s’attaque directement l’ontologie de M. Hartsnann : u les recherches qui suivent, dit-il, partent de I’id6e que connaitre, ce n’est pas creer, produire, faire naitre un objet, comme veut nous le faire croire l’iddalisme ancien et moderne, mais apprehender quelque chose qui existe avant toute connais- sance et independamment d’elle o. DCcrire nai’vement les modes de cette apprehension, tel sera donc le principe auquel se rkduit toute la m6thode de la gnosCologie. Tel est aussi tout I’apport de la phknomenologie A l’ontologie. L’evidence apodic tique que les Mtditations carttsiennes de Husserl tentaient de d6couvrir dans la perception immanente D et qu’on pensait faire surgir de l’adequa- tion absolue de la pensee et de I’objet dans l ’ ( ( Cpochb ) ) ph6nomCnologique risquait en effet A tout instant de rejeter la nouvelle philosophie dans les ornibres de 1’idCalisme. Partie d’une conception transcendante de la v6ritB et de l’objet (1’intentionnalitC signifiant d’abord l’ouverture de la conscience sur l’Ctre), la phknomenologie finissait, pour sauver le concept d’kvidence, par adorer ce qu’elle avait briilC, par retrouver dans le Cogito un rapport d’immanence absolue, par sacrifier l’Ctre-en-soi de l’objet a son 6tre purement intentionnel et par couper enfin l’Ctre de la conscience. Ainsi les reductions et le recours a la relation noeme-nobse renvoient l’intentionnalite vers la pensCe (Gedanken) idealiste et 1’6cole de Husserl rejoint, par cette voie, N. HARTMANN, Les principes d’une mdfaphpique de Ia connaissance, I , p. 38. 24 J. VUILLEMIN l’ecole de Marburg. Pour Cviter ces contradictions, il sufira de revenir a l’attitude qu’implique la connaissance aussi bien dans la conscience spon- tanhe que dans la connaissance scientifique et d’abandonner A ses conciliations illusoires de l’immanence et de la transcendance l’objet inten- tionnel pour lui substituer l’objet en soi. ((On suppose les objets doues d’existence independante, lesquels avec le sujet connaissant constitueront precisement l’univers existant en soi. Cette supposition est fondamentale ... elle est partie integrante du phknomene de la connaissance. La notion d’objet intentionnel pose une sphere objective, uploads/Philosophie/ la-dialectique-negative-dans-la-connaissance-et-lexistence.pdf

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