Corps et culture Numéro 4 | 1999 Corps, Sport et Rites Lecture de Goffman L’hom

Corps et culture Numéro 4 | 1999 Corps, Sport et Rites Lecture de Goffman L’homme comme objet rituel Anne Marcellini et Mahmoud Miliani Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/corpsetculture/641 DOI : 10.4000/corpsetculture.641 ISSN : 1777-5337 Éditeur Association Corps et Culture Édition imprimée Date de publication : 1 juin 1999 ISSN : 1268-5631 Référence électronique Anne Marcellini et Mahmoud Miliani, « Lecture de Goffman », Corps et culture [En ligne], Numéro 4 | 1999, mis en ligne le 24 septembre 2007, consulté le 10 décembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/corpsetculture/641 ; DOI : https://doi.org/10.4000/corpsetculture.641 Ce document a été généré automatiquement le 10 décembre 2020. © tous droits réservés Lecture de Goffman L’homme comme objet rituel Anne Marcellini et Mahmoud Miliani 1 Comme chacun sait, les phrases introductives sont les mots de la fin. Mots qui guident le lecteur, cachent les faiblesses des scripteurs, colmatent des apories et/ou célèbrent l’auteur. Contrairement aux automatismes du discours social, aux formules scolaires consacrées, peut-on faire d’une introduction un moment de réflexivité ou de réactivation des processus attachés à la structuration de ce texte ? Peut-on entrer dans le vif du sujet sans au préalable concéder à une exposition de l’objet ? En tout cas, à défaut d’objectivation ou d’analyse, nous cherchons à ce que les bégaiements de cette introduction laissent apparaître/disparaître le symptôme d’une écriture pour la demande et sous la commande, un « babil » institutionnel aurait dit Barthes ; et expriment l’ambivalence née de la relation avec une œuvre qui comporte des passages ennuyeux parce que faits d’observations méticuleuses, cumulatives et répétitives mais aussi des lieux de l’anecdote et de la connaissance stimulants. C’est pourquoi l’on peut dire de Goffman ce que Barthes disait de célèbres romanciers. Lisez tout de Goffman, au mot à mot et le livre vous tombe des mains. Cependant le plaisir/déplaisir naît d’un rapport au texte qui alterne le survol pour s’immerger au plus vite dans le cœur de l’action et la précision obsessionnelle pour restituer les significations voulues par l’auteur (Barthes R., 1973 : 18-21). 2 Notre cheminement dans l’œuvre de Goffman n’était ni planifié ni armé d’une conviction méthodologique. Il s’est progressivement organisé à travers une série de retouches successives et de corrections appelées par des questions, des hypothèses, des interprétations, et le besoin de vérifications, de confrontations avec d’autres lectures. Tous ces petits gestes, niés par les discours épistémologiques rassurants, ne sont pas pour autant hésitants, naïfs et encore moins erratiques. Ils sont orientés sans orientation expresse par différentes boussoles théoriques, pas toujours de concert, des modèles d’analyse parfois contradictoires ; ils se fondent dans d’autres gestes inaugurés par des auteurs1. En rupture avec tout monothéisme méthodologique, nous avons cherché à penser relationnellement (Bourdieu, 1992) sans nous obliger à systématiser Lecture de Goffman Corps et culture, Numéro 4 | 1999 1 les différences et tout en pratiquant un complémentarisme (Devereux, 1985) des modèles d’intelligence de l’objet. 3 À la suite de ce cheminement, nous proposons de parcourir les logiques situationnelles et interactionnelles qui se dégagent des travaux de Goffman en portant l’attention sur quelques unes de leurs dimensions, pertinentes à nos yeux. « Le monde ne se réduit pas à une scène » 4 Comme pour prévenir les lectures hâtives de ces travaux, E. Goffman précise dès 1974 dans un ouvrage qui rassemble ses analyses théoriques que « le monde ne se réduit pas à une scène, et le théâtre non plus. » (1974, 1991, 9) Ce n’est pas une déclaration de principe propre à un genre épistémologique. Tout au long d’analyses étayées sur d’innombrables et minutieuses observations, le lecteur qui accepte de suivre au plus près l’auteur dans ses formulations singulières, et jusque dans ses opérations de mise en texte (Ricoeur P., 1986) des interactions et des scènes de l’action, ne manquera pas de trouver les preuves permettant d’étayer cette affirmation2. C’est que Goffman ne transfère pas les métaphores théâtrales pour éclairer comme sous le feu de la rampe les activités quotidiennes, c’est moins l’analogie qui l’intéresse que « les questions qui touchent à la mise en scène et à la pratique théâtrale ». Questions banales — souligne-t- il — mais qui semblent se poser partout dans la vie sociale et pourraient de ce fait fournir un schéma pour une analyse sociologique (1973, 1 : 23). Dès lors, si l’on admet que Goffman ne cède pas à la facilité du transfert des notions, on s’aperçoit qu’il puise des ressources conceptuelles dans les métaphores de « scène », « public », « personnage », « rôle », « coulisse », « mise en scène », etc. (Corcuff P., 1995). De même lorsqu’il s’intéresse à la représentation théâtrale. Il en tire des principes dramaturgiques, non pas pour dramatiser la vie mais pour accentuer ce qui est tapi dans nos routines mentales et gestuelles. À sa manière, E. Goffman participe sans heurt ni fracas à une sociologie du dévoilement. 5 Quoi qu’il en soit de cette heuristique dont il faudra plus loin montrer quelques aspects inédits, la perspective adoptée par Goffman est héritière d’un courant de pensée préoccupé par le problème de la réalité. Contrairement à une tradition philosophique qui s’interroge sur la nature de la réalité, ce courant opère un renversement en cherchant à décrire les circonstances qui conditionnent « la perception de la réalité », les situations vécues, les convictions, les engagements qui engendrent « l’impression de réalité » ; contrairement aussi à la prétention positiviste qui chosifie, définit, fixe sans hésitation le sens et la réalité, ce courant structuraliste et phénoménologique montre combien la réalité est multiple du fait de la diversité de nos attitudes face et dans le monde. 6 Mais Goffman n’est pas de ceux qui exhibent les étiquettes d’écoles et les références aux auteurs canoniques. Il sait employer le ton juste pour rappeler sa dette et ouvrir de nouvelles voies. Si le problème de la relation des fictions et des représentations à la réalité occupe ses premiers travaux, autrement dit s’il hérite d’une réflexion classique concernant la relation du modèle à la réalité, loin de la codifier dans un genre épistémologique, l’auteur travaille à montrer le caractère paradoxal et instable des rapports entre la copie et l’objet réel, le faux et l’authentique, l’imposture et la vérité, la mise en scène et la réalité, la représentation théâtrale et la vie sociale. Ce point de vue ne doute pas de l’existence du réel mais permet d’accéder à des moments de la vie sociale où la frontière entre l’activité symbolique et l’activité réelle s’efface, où la différence entre le masque et le moi individuel s’estompe. On peut affirmer qu’une Lecture de Goffman Corps et culture, Numéro 4 | 1999 2 indétermination fondamentale régit la réalité quotidienne dont Goffman montre à toute occasion le caractère préalablement structuré. 7 Il serait inutile de répéter les exemples présentés par Goffman, citer et réciter pour appuyer l’argument de l’incertitude de la réalité et du statut ambigu de la représentation dans sa fabrication. C’est plus conjoncturel pour nous, Corps et Culture, de montrer l’importance des questions soulevées par les représentations de la réalité et la réalité des représentations, en faisant un détour hors de l’interactionnisme mais pour affirmer en conclusion sa fécondité sur ce sujet. Il s’agit de la critique de « la société du spectacle » d’abord restreinte à la dénonciation de l’idéologie dominante, véhiculée par les médias et à la manipulation des consciences, orientée ensuite vers le dévoilement de l’interpénétration du politique et du médiatique dans la sphère du spectacle (Debord G., 1971 et 1992)3. Dans le même sillage, on peut aussi citer la déconstruction opérée par P. Champagne (1990) « des faits » et « des événements » médiatiquement construits et qu’un ensemble d’agents — les marchands de sondages, les politologues, les conseillers en communication et en marketing politique — ont intérêt à constituer en réalité. Dans un autre registre, J. Baudrillard (1981) rompt avec les analyses fondées sur la logique de la représentation qui croient encore en l’existence d’un monde de référence à partir duquel on peut critiquer l’illusion. Pour lui, nous sommes entrés dans « l’aire des simulacres et de la simulation ». Avec la TV et les nouvelles technologies nous sommes dans un cercle autistique où les signes renvoient aux signes, les images aux images dans un circuit de flux ininterrompu. Les médias ne médiatisent rien. De ce fait la réalité est dissoute et il n’y a plus de place pour la représentation ni même pour l’illusion4. 8 Ces analyses critiques sont là pour montrer que la réalité du monde fait aussi problème dans des domaines autres que les situations de face à face. Elles rejoignent par des voies et des développements différents l’idée qui affleure à tout instant dans les premiers livres de Goffman, celle de la difficulté de définir la réalité, de dire ce qu’elle est, de la fixer dans des concepts. Bien malin, celui qui prétend dire ce qu’est la réalité objective, sauf pour un positiviste borné. 9 Cependant pour éviter l’accentuation de notre lecture due certainement à un effet de champ, uploads/Philosophie/ goffman-rituel.pdf

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