Philologus 147 2003 1 70-90 DANIEL BABUT CHRYSIPPE A L'ACAD£MIE (Diogene Laerce
Philologus 147 2003 1 70-90 DANIEL BABUT CHRYSIPPE A L'ACAD£MIE (Diogene Laerce VII, 183-184) Vers la fin du livre VII de Diogene Laerce, dans la courte Biographie de Chrysippe qui suit Celles de Cleanthe et de Sphairos et precede le catalogue (incomplet) de ses Oeuvres, on trouve le passage suivant, qui revient sur la question de la formation philo- sophique du personnage, abordee un peu plus haut: «Pour finir, il philosopha ä l'Academie aupres d'Arcesilas et de Lacydes, selon ce que dit Sotion dans son livre VHP. C'est pour cette raison qu'il argumenta ä la fois contre rexperience commune et pour la defense de celle-ci, et aussi qu'il eut recours ä la construction con9ue par les Academiciens pour ce'qui est des grandeurs et des quantites»^. Ce temoignage de Sotion d'Alexandrie, auteur d'un volumineux ouvrage intitule Succession(s) des philosophes^, dont Diogene Laerce nous a conserve un nombre appreciable de fragments'', a suscite le scepticisme ou l'embarras de plus d'un historien du stoicisme. On a d'abord releve que Sotion etait le seul ä faire etat de cet episode de la carriere de Chrysippe^, et estime qu'il serait difficilement concevable que füt passe inapergu des adversaires du Portique un ralliement ä l'Academie du philosophe qui devait s'opposer de la maniere la plus constante au courant de pensee devenu ' Sotion, fr. 22 (Wehrli). 2 183-4 = Stoicorum Veterum Fragmenta (SVF), ed. H. von Arnim, II, 1, p. 2, 8-12: TeXo; ö' 'AQKeaiXÄw KTTI AAKÜÖTI, KTTOA cpnoi SCÜTICOV tv X Ü öyööcü, jiaQavEvönEvo? ev 'AKA6TI(i8(<;I ouv6(PIXOOÖ(ptiae- 6i' flv alxiav Kai, Kaiä Tfjg auvri^ia^ Kai VJWQ aÜTfj^ ^nexeiQTioe, Kai Jiegi neyeMjv Kai nXtfOtöv if) TÜV 'AKaörmaiKüv ODOxdoEi xßTlöaiiSVO^. Pour le sens de ovoxöoei dans le dernier membre de phrase, voir la note ad locum dans A.A. Long-D.N. Sedley, The Hellenistic philosophers, II, Cambridge, 1987, p. 191. Autre explication de P. Steinmetz, dans Die hellenistische Philosophie (F. Ueberweg, Grundriss der Geschichte der Philosophie, Die Philosophie der Antike, 4,1-2, ed. par H. Flashar, Basel 1994), p. 585, selon lequel il s'agirait de la Solution imaginee par Chrysippe et inspiree par les methodes academiciennes pour resoudre les arguments eristiques appeles sorites (cf. deja F. Wehrli, Die Schule des Aristoteles, Suppl. II (Sotion), Basel - Stuttgart 1978, p. 54). ^ Cf. Diogene Laerce (D. L.), II, 12, et, pour le nombre de livres que comprenait cette compilation, ibid., 1,1 et 7, avec la note de R. Goulet dans Diogene Laerce, Vies et doctrines des philosophes illustres, traduction fran9aise sous la direction de M. O. Goulet-Caze, Paris, 1999, pp. 65-6, note 6 de la page 65; voir aussi au sujet de Sotion F Wehrli dans Die Philosophie der Antike (ci-dessus, n. 2), 3, ed. Flashar, 1983, p. 584. " Voir ä ce sujet F. Aronadio dans Elenchos 11 (1990), pp. 203-35. 5 Cf. Goulet, ibid., p. 784, n. 5, et Dictionnaire des philosophes antiques (DPhA), ed. par R. Goulet, II, Paris 1994, C121 (Chrysippe de Soles), p. 334. Philologus 147 (2003) 1 71 prevalant dans cette ecole ä partir d'Arcesilas^. D'oü l'hypothese que cette notice ne serait rien d'autre qu'une construction doxographique ayant pour but de rendre compte de la coexistence dans l'oeuvre de Chrysippe de deux ecrits auxquels fait allusion Diogene Laerce tout de suite apres avoir cite Sotion, et qui doivent cor- respondre au Katä tfjg owndeiag et au FleQl (ou 'Yneg) tfig owirO^eiag, titres qui se repondent de maniere antithetique dans le catalogue partiellement conserve a la fin du livreVIF. Mais si l'auteur des Successions de philosophes avait seulement voulu expliquer que Chrysippe ait pu ä la fois se faire le detracteur et l'apologiste de «l'experience commune», on voit mal pourquoi il aurait ajoute ä son invention «etiologique» un detail manifestement superflu et apparemment saugrenu, en associant curieusement au sejour suppose du futur scholarque stoi'cien ä l'Academie les noms d'Arcesilas et de Lacydes, son successeur ä la tete de l'ecole. C'est peut-etre pourquoi meme ceux qui nourrissaient de serieux doutes sur la veracite du temoignage de Sotion ne se sont pas toujours resolus ä le rejeter purement et simplement®. D'autres ont pense resoudre le probleme en recourant ä un argument chrono- logique: Sotion se refererait ä un moment de la formation philosophique de Chry- ' Cf. dejä Brehier, Chrysippe et l'Ancien stoi'cisme, Paris 1951 (1910), pp. 10-1, qui parle de «l'invrai- semblance intrinseque d'un Chrysippe academicien» et, apres avoir envisage la possibilite d'une «brouille » survenue entre Chrysippe et son maitre Cleanthe et ayant entralne par la suite «la palinodie complete» que rapporte Sotion, renonce a juste titre a cette explication - inconciliabk, de fait, avec le contexte de Diogene Laerce (cf. surtout les paragraphes 179 et 182, et voir ci-dessous pp. 73-74 sur la nature des relations personnelles qu'eurent Tun avec l'autre Cleanthe et son illustre eleve). Voir egalement J. Glucker, Consuetudo oculorum, dans Classical Studios in Honour cf David Sohlberg, Ramat (Bar Ilan University Press) 1996, pp. 106-7, n. 4, qui juge convaincantes les raisons invoquees par F. Wehrli (ci-dessus, n. 2, pp. 53-4) pour rejeter l'historicite du temoignage de Sotion, et ajoute que s'il avait existe une tradition fiable concernant des etudes de Chrysippe ä l'Academie, Ciceron et Plutarque auraient ete trop Contents d'en faire etat. Que d'autre part la vie de Sotion ne soit posterieure que d'une generation ä la mort de Chrysippe ne changerait rien, selon lui, ä l'affaire:« As an Alexandrian, and an author of books on öiaöoxai xwv qjiXooöcpürv, he would clutch at any piece of informa- tion to deduce such <facts> from it». ' § 198 = SVF II, 16, p. 8, 22-3. Pour le second titre, la le^on unanime des mss. est itegl, que l'on corrige souvent depuis Cobet en teeg d'apres le paragraphe 184, cf. Glucker, ibid., p. 105, n. 1 - ä tort selon M. Pohlenz, Die Stoa. Geschichte einer geistigen Bewegung, IF, Göttingen 1955, p. 17. Sur cette explication «etiologique» du fragment de Sotion, voir Brehier (ci-dessus, n. 6): «... le recit de Sotion n'est qu'une simple supposition, destinee ä expliquer la presence des theories academiciennes exposees pour elles-memes dans les ecrits de Chrysippe»; voir aussi H. Dörrie, RE (Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft) Suppl. XII (1970), p. 149, 13-20; T. Tieleman, Galen and Chrysippus on the soul. Argument and refutation in the De pUcitis books II-III, Leiden - New York - Köln 1996, p. 184. ' Cf. Dörrie, ibid., p. 149, 12-3; de meme W. Görler, Die hellenistische Philosophie (ci-dessus, n. 2), pp. 793-4: «Nicht ganz unverdächtig ist die bei Diogenes Laertios VII183f. aus Sotion ... stammende Nach- richt über Chrysipp. Das kann heissen, dass Chrysipp sich als Arkesilaos' Schüler vorübergehend zur skepti- schen Lehre bekannt hat; wahrscheinlicher ist - sofern dieses Schulverhältnis nicht nur doxographisch ist - dass sich Chrysipp lediglich mit der dialektischen Methode vertraut machen wollte.» 7 2 DANIEL BABUT, Chrysippe Ä l'Academie sippe qui aurait precede son adhesion au stoi'cisme'. L'hypothese fut notamment soutenue par l'eminent Historien du stoi'cisme que fut Max P o h l e n z S e l o n lui, le goüt du jeune Chrysippe pour la dialectique l'aurait d'abord Oriente, une fois etabli ä Athenes, vers l'Academie, oü au cote d'Arcesilas s'affirmait dejä son futur successeur Lacydes. Ii s'y serait alors familiarise ä fond avec les techniques de la confrontation systematique de theses opposees, quel que soit le sujet discute (enixeiQTiöig eig eKaxe- Qov, disputatio in utramque parternY^. Mais par la suite, son esprit incisif se serait revele trop epris de certitudes pour pouvoir se satisfaire de la suspension du jugement pronee par les philosophes de l'Academie depuis Arcesilas. Aussi se serait-il tourne (certainement apres la mort de Zenon)^^, ä l'instar de ses compatriotes Aratos et Athenodore [de Soles], vers le Portique, en mettant alors au Service du dogmatisme stoicien la virtuosite dialectique qu'il avait acquise. C'est ainsi qu'apres avoir ecrit dans un premier temps les six livres d'un traite Contre l'expirience commune, qui devaient plus tard causer quelque embarras aux Stoi'ciens de son temps et des generations posterieures il leur aurait oppose plus tard sept livres dans lesquels il prenait la defense du sensualisme dogmatique consubstantiel ä la doctrine du Portique. Ii n'y aurait des lors plus lieu de s'offusquer de ce que nous rapporte Sotion sur le passage de Chrysippe ä l'Academie ' Cf. dejä H. von Arnim, dans RE III, 2 (1899), 2502, 50-5 et 2503,2-4: «Dass die Schrift Kata xfj? OWT)- Oeiag einer akademischen Epoche seiner Entwicklung entstammte, geht aus Plutarch de Stoic. 10 mit Sicher- heit hervor .... Aber bald wandte er sich selbst von der Skepsis ab und dem stoischen Dogmatismus zu ». Die Stoa (ci-dessus, n. 7), 1,1972 (1948), pp. 28-9. " Cf. D. L., IV, 28 = Arcesilas, T 1», 26-9 (Mette); Ciceron, De orat. III, 21, 80 = Arcesilas, T 5», 14-7 (M.) et Carneade, F 4«, 25-8 (M.); De nat. deorum I, 5, 11 = Arcesilas, F 13- (M.) et Carneade, F 8, 13-6. Voir ä ce sujet J. Glucker, Antiochus and the late Academy, Göttingen 1978, p. 34, n. 79; C. Levy, Cicero Academicus. uploads/Philosophie/ chrysippe-a-l-x27-academie.pdf
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- Publié le Fev 03, 2021
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